Images de page
PDF
ePub

naître en elle le talent le plus marqué; mais il regretta toujours les grandes espérances qu'elle avait données au théâtre français, et s'indigna des obstacles qui l'en avaient écartée.

C'est elle que Voltaire avait en vue, lorsque, révolté des contrariétés qui lui avaient fermé la scène française, il écrivait à Lekain: Je >> mourrai bientôt, et ce sera avec la douleur » d'avoir vu le plus beau des arts vilipendé et » tombé en France. >>

Quelques-uns des auteurs qui ont écrit sur l'histoire du théâtre à l'époque ou Me Durancy rentrait à la Comédie française, ont avancé qu'elle grassèyait, et prononçait mal les je; mais le plus grand nombre se borne à dire que Mile Durancy, quoiqu'avec de très-beaux yeux, et une physionomie fort expressive, n'était nullement jolie, ce qui suffit pour expliquer la sévérité d'une certaine classe de spectateurs pour qui la beauté forme la meilleure partie du talent d'une actrice.

Mile Durancy resta au théâtre de l'Opéra jusqu'à sa mort, arrivée le jeudi 28 décembre 1780, dans la trente-quatrième année de son âge; elle y fut constamment regardée comme l'une des plus grandes actrices de la scène lyrique.

Le détail des rôles qu'elle y joua, des succès qui couronnèrent ses efforts, n'entre point dans

le plan de cet ouvrage, uniquement consacré au Théâtre français. Nous ne pouvons pas même assurer avec certitude qu'elle ait été reçue, quoique nous la trouvions portée sur une liste de la Comédie au 1er janvier 1767, dans une classe différente de celle des pensionnaires. En lui donnant une place dans notre ouvrage, sans être bien certains de sa réception, nous avons voulu rendre hommage à un talent distingué qui mériterait une exception, si notre article sur Me Durancy en était réellement une à la règle que nous avons suivie.

Mad. DURIEU.

Anne Pitel, femme de Michel Durieu.)

FILLE de Pitel de Longchamp, et soeur aînée de Mad. Raisin, Mad. Durieu, née en 1651, débuta en 1685, fut reçue à Pâques de la même année pour les confidentes tragiques et les caractères dans la comédie, et se retira du théâtre à Pâques 1700, avec la pension de 1000 livres. Mad. Durieu était grande, bien faite et assez jolie; elle eut de la réputation dans son emploi, et joua d'original plusieurs rôles assez marquants, entr'autres ceux de Cidalise

dans l'Homme à bonnes fortunes, et de la Baronne dans le Chevalier à la mode.

Mad. Durieu mourut à la Davoisière, auprès de Falaise, au mois de janvier 1737, âgée de quatre-vingt-six ans.

Mad. D'ENNEBAUT.

(Françoise-Jacob de Montfleury, femme de Mathieu d'Ennebaut.)

LE Sonnet de Mad. Deshoulières, dont nous parlerons dans la suite de cet article, et le rôle de Julie dans la Femme juge et partie, perpétueront long-temps le souvenir de cette actrice, fille de Montfleury.

Il eut beaucoup de peine à consentir à son mariage avec M. d'Ennebaut, parce que ce dernier n'avait pour toute fortune qu'un emploi en Bretagne; mais sa fille l'aimait, il se rendit à ses prières, et l'union de d'Ennebaut avec Mlle de Montfleury eut lieu en 1661. Les nouveaux époux partirent pour la province où ils ne restèrent pas long-temps. Mad. d'Ennebaut revint à Paris, et fut reçue à l'hôtel de Bourgogne où elle avait déjà paru. Elle y fut chargée des seconds rôles dans les deux genres, et s'y fit bientôt une réputation brillante.

On remarque parmi ceux ceux qu'elle joua d'original Cléophile dans Alexandre, Stratonice dans Antiochus de T. Corneille, Ariane dans Laodice du même auteur, Cécilie dans le Marius de Boyer, Junie dans Britannicus et Aricie dans Phedre.

On sait que Mad. Deshoulières protégeait Pradon contre Racine, ce qui fait actuellement autant de tort à sa réputation littéraire, que d'avoir composé la tragédie de Genseric. Elle espéra qu'une pièce de vers bien mordante pourrait nuire à la pièce de Racine, et augmenter le succès de celle de Pradon, qui en obtint beaucoup aux six premières représentations, au moyen d'un sacrifice de quinze mille livres payées par ses protecteurs. Elle composa le sonnet qui commence ainsi :

Dans un fauteuil doré Phèdre tremblante et blême, etc. et n'osant probablement pas attaquer Mad. Champmeslé, dont le talent supérieur eût bravé sa critique, elle voulut au moins lancer quelques sarcasmes contre l'actrice qui jouait Aricie, et lui consacra le tercet suivant:

Une grosse Aricie, au teint rouge, aux crins blonds,
N'est là que pour montrer deux énormes tetons
Que, malgré sa froideur, Hyppolite idolâtre.

Il s'en fallait bien qu'il fût d'une exacte vérité;

Mad. d'Ennebaut était blonde et grasse, extrêmement jolie, quoique assez petite, et d'ailleurs elle avait beaucoup de talent. Ce fut la première actrice qui brilla dans les rôles travestis, devenus si communs au théâtre. Elle était charmante en habit d'homme, et ce fut pour elle que Montfleury son frère composa la Fille Capitaine et la Femme juge et partie. Le succès de cette dernière pièce balança celui du Tartuffe, auquel sans doute elle était fort inférieure; mais on peut croire qu'il fut dû en très-grande partie au talent des acteurs qui la représentaient, surtout à celui de Poisson (Raymond), chargé du rôle de Bernadille, et aux charmes de Mad. d'Ennebaut, qui jouait avec toute la grâce possible le rôle travesti.

Mad. d'Ennebaut fut regardée dans son temps comme une excellente actrice : la nature lui avait été très-favorable; outre les talents indispensables pour son emploi, elle possédait encore celui de chanter avec beaucoup de méthode et d'agrément.

Elle fut conservée à la réunion en 1680, quitta le théâtre à la clôture de 1685, qui eut lieu le 14 avril, et obtint la pension de mille livres qu'elle conserva jusqu'à sa mort arrivée le 17 mars 1708.

De son mariage avec Mathieu d'Ennebaut, elle

« PrécédentContinuer »