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sement sur toutes les belles qualités qu'elle possédait; mais il n'appartient qu'à l'illustre Floridor de faire le panégyrique funèbre de cette grande actrice, et son épitaphe regarde les auteurs qui lui sont obligés d'une partie de leur gloire. »

Mile OLIVIER.

Je ne vois point de destructions prématurées, disait Voltaire, que je ne sois tenté d'accuser la nature. La mort de Me Olivier, jeune actrice de la plus grande espérance, à laquelle on appliqua ces jolis vers si connus,

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses
L'espace d'un matin.

cette mort qui affligea tous les amateurs du Théâtre français, dut leur rappeler la réflexion simple et vraie par laquelle nous commençous cet article.

Jeanne-Adélaïde-Gérardine Olivier, fille de Charles-Simon Olivier, et de Marie-Louise Romagasse, naquit à Londres le 7 janvier 1764. Après avoir fait en province, et notamment à Versailles, quelques essais assez heureux, elle débuta au Théâtre français le mardi 26 septembre 1780 par les rôles d'Agnès dans l'École des

Femmes, et d'Angélique dans l'Esprit de Contradiction. Le lendemain 27 elle joua Junie dans Britannicus, et Julie dans la Pupille; le 29 Lucile de la Métromanie et Colette du Mari retrouvé ; le 50 Betty dans la Jeune Indienne, et le 8 octobre elle termina son début par Victorine dans le Philosophe sans le savoir.

On la jugea plus propre au service de Thalie qu'à celui de Melpomène : son débit parut sage et raisonnable; on s'apperçut seulement que sa timidité était extrême, et qu'elle arrêtait l'essor d'un talent destiné à se développer dans la suite : elle fut admise à l'essai, et pendant à-peu-près dix-huit mois qu'elle resta pensionnaire, mademoiselle Olivier fit des progrès si remarquables, que le public ne tarda point à lui donner des preuves flatteuses du plus vif intérêt. Aussi futelle reçue au nombre des sociétaires à la clôture de 1782.

Les charmes de sa figure virginale, la douceur de son organe touchant, sa jeunesse, ses grâces et la décence de son maintien, firent sur les spectateurs une impression très-vive. Elle rappelait par son éclat et par sa fraîcheur ce que le Comte d'Hamilton disait des beautés anglaises, lorsqu'il comparait leur teint à du lait, dans lequel on aurait effeuillé des roses. Mile Olivier offrait précisément ceue fraîcheur séduisante; et quoi

que blonde, elle avait les yeux noirs, chose assez rare pour mériter d'être remarquée. Mais c'était moins par les charmes de sa figure qu'elle devint bientôt en possession de plaire au public, que par le caractère d'ingénuité, de décence et de noblesse qu'elle portait dans tous ses rôles.

Cette décence si rare et si nécessaire au théâtre frappa surtout les spectateurs qui avaient vu Mile Gaussin; ils ne balancèrent point à lui com- . parer Mile Olivier, et nous croyons effectivement qu'elle aurait pu égaler cette actrice célèbre, si sa carrière eût été plus longue. Modeste, timide et douce, elle portait au théâtre les nuances des qualités estimables qu'elle possédait, et c'est ainsi que dans le rôle d'Alcmène, qui touche de près à l'indécence, elle se concilia les plus justes suffrages, en le jouant avec une noblesse mêlée de sensibilité. Elle mit un abandon touchant et une grâce charmante dans celui de Rosalie, que le marquis de Bièvre, auteur du Séducteur, lui offrit avec confiance; mais ce fut surtout dans le Mariage de Figaro qu'elle enchanta tous les spectateurs sous le costume du petite page Cherubino di amore. Ce fut une bonne fortune pour Beaumarchais que d'avoir, pour ce rôle charmant, une actrice comme Mile Olivier; l'impression qu'elle y produisit ne s'effacera sans doute de long-temps.

1or

Elle mérita les mêmes éloges dans tous les rôles nouveaux dont elle fut chargée; nous citerons encore celui qu'elle remplissait dans l'École des Pères, représentée le 1er juin 1787; ce fut le dernier que joua cette intéressante actrice. On n'oubliera pas le succès qu'elle obtint toujours dans l'Écossaise (Lindane), dans le Préjugé à la mode (Sophie), et si l'on ne fit pas autant d'attention au talent qu'elle montra lors de la reprise des Deux Nieces, comédie de Boissy, c'est à la froideur de l'ouvrage qu'il faut s'en prendre. Elle y fit voir une fermeté, une aisance que sa modestie ne lui rendait pas familières, et qui annonçaient un talent entraîné par le sentiment de sa force.

Elle portait dans la société les mêmes qualités aimables dont au théâtre elle savait si bien offrir l'intéressante image. Chérie des gens de lettres par ses talents, et de ses camarades par la douceur de son caractère, elle mourut universellement regrettée le vendredi 21 septembre 1787, âgée de vingt-trois ans, et fut inhumée à SaintSulpice.

On prétend que ses dernières paroles furent celles-ci« Mes amis pourraient être tentés d'honorer ma mémoire par des frais funéraires trop fastueux; je les supplie de donner aux pauvres ce qui pourrait être prodigué à l'os

tentation. » Nous ne doutons point que sa modestie n'eût pu lui suggérer une idée à-peu-près semblable; mais nous sommes obligés de dire qu'elle ne tint pas ce discours et qu'il fut supposé par les personnes chargées de son convoi, et qui voulaient en excuser la mesquinerie dont au reste on ne dut pas les accuser. En voici la véritable cause. Mlle Olivier était morte sans avoir pu faire aucun acte de catholicité : le curé refusa de l'enterrer. Obligé de céder à des instances pressantes, il voulut du moins qu'elle n'eût qu'un convoi d'indigent, et quatre prêtres. Le luxe que l'on aurait pu déployer dans cette occasion fut remplacé par une aumône de cent écus distribués aux pauvres ; et puisque des scrupules, qu'il ne nous appartient pas de juger, produisirent une bonne action, il semble difficile de s'en plaindre.

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