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s'établirait forcément entre la France et la Prusse; ce serait nécessairement à laquelle de ces deux puissances donnerait à ses provinces annexées le plus de liberté et le plus de bien-être !

Sur les deux rives du Rhin, le militarisme n'est à craindre que s'il s'y perpétue par la paix armée.

Paix armée et liberté durable sont incompatibles. En quels pays a-t-on jamais vu vivre longtemps d'accord armées permanentes et liberté ?

XXXVIII.

LA FIN ET LES MOYENS.

2 septembre 1868.

S'il nous fallait une preuve que les ministres qui inspirent en France la presse officieuse n'ont aucune politique et ne sont pas des hommes d'État, cette preuve, nous la trouverions dans l'article que le Constitutionnel publie en tête de sa première page, article dans lequel il reproche à la Liberté, après avoir tour à tour, premièrement, prêché l'alliance de l'Autriche, de l'Italie et de la France contre la Prusse; deuxièmement, de la France, de l'Italie et de la Prusse contre l'Autriche; troisièmement, de la France, de l'Italie et de la Prusse contre l'Europe, de pousser finalement à la guerre de la France contre la Prusse, à moins que cette dernière puissance ne consente à concourir à la formation soit d'un seul État neutralisé, qui comprendrait la Belgique et les pays rhénans, et se composerait de dix millions d'habitants, soit de deux États neutralisés de cinq millions d'habitants chacun, l'un gardant son nom de royaume de

Belgique, l'autre prenant le nom de royaume des PaysRhénans, sous la réserve expresse, dans la première comme dans la seconde combinaison, du rasement de tous les forts enclavés entre nos frontières actuelles et nos frontières naturelles.

Si le Constitutionnel confond sciemment la fin avec les moyens de l'atteindre, cela fait peu d'honneur à sa bonne

foi.

Si de la part du Constitutionnel cette confusion a eu lieu sans qu'il s'en rendît compte, cela fait peu d'honneur à son bon sens.

Oui, cela est vrai, en 1866, avant que la guerre éclatât entre l'Autriche et la Prusse et après qu'elle eut éclaté, nous avons successivement cherché et indiqué, selon leur opportunité, toutes les combinaisons possibles pour que l'agrandissement territorial de l'une ou de l'autre de ces deux puissances n'eût pas lieu sans qu'il profitât à la France dans la mesure que déterminerait l'équité prévoyante et qu'exigerait le désarmement européen.

C'est là une peine que nous n'eussions pas eu besoin de prendre si la France avait eu le bonheur de posséder dans les conseils de son gouvernement un ministre qu'elle pût opposer au comte de Bismark, et qui, étant son rival, fût son égal. Cette peine, il nous l'eût épargnée, car nous n'avons cherché que parce que personne ne cherchait et ne trouvait: M. le marquis de Moustier moins encore que son prédécesseur M. Drouyn de Lhuys.

Lorsque, le 28 avril 1866, soixante-six jours avant la bataille de Sadowa, nous mettions dans la bouche de la France le langage qu'il suffisait qu'elle tînt pour qu'elle empèchât la guerre de s'allumer entre l'Autriche et la Prusse, est-ce que nous n'avions pas raison? Est-ce qu'il était trop tard?

Lorsque, le 11 mai suivant, revenant à la charge sur ce

que nous avions dit le 21 avril, nous insistions pour que l'Autriche consentît à l'abandon volontaire de la Vénétie, moyennant que le gouvernement autrichien rentrât victorieusement dans la possession de la Silésie et s'assurât pleinement l'hégémonie de l'Allemagne, est-ce que nous n'avions pas raison? Est-ce qu'il était trop tard?

Lorsque, le 10 septembre 1866, avant que l'esprit de rivalité et de défiance s'allumât entre la France et la Prusse, nous pressions la France, l'Italie et la Prusse de nouer entre elles la triple alliance qui eût fait de ces trois puissances les trois arbitres suprêmes de la paix en Europe, est-ce que nous n'avions pas raison? Est-ce qu'il était trop tard?

Après les sentiments d'hostilité qui se sont fait jour entre la France et la Prusse, en avril 1867, à l'occasion de la malencontreuse acquisition de la province de Luxembourg et de sa forteresse, clandestinement négocié entre la France et la Hollande, hostilité que la conférence de Londres et le traité du 11 mai 1867 ont apaisée, mais qu'ils n'ont point éteinte, reste-t-il un autre parti à prendre, une autre politique à suivre que la mise en demeure que nous avons proposé d'adresser à la Prusse, avec la guerre le lendemain en cas de refus? S'il y a une autre politique à suivre, que les hauts inspirateurs du Constitutionnel la lui tracent donc! Nous l'avouons, nous serions curieux de la connaître, car nous ne saurions appeler une politique ce qui est l'absence de toute politique, à moins que ce ne soit la politique d'abdication.

La guerre que nous paraissons prêcher n'est pas un cri que jettent nos passions, c'est tout simplement une conséquence que tire notre logique d'une situation qui n'est pas notre œuvre; car cette conséquence, nous avons tout tenté pour l'étouffer dans son germe, et, n'y ayant pas réussi, nous avons tout fait pour qu'elle ne donnat point naissance

à une rivalité ombrageuse, mais qu'elle donnât naissance à une alliance durable.

La guerre n'a pas d'ennemi plus déclaré que nous; elle n'a pas cessé d'être, à nos yeux, la bêtise humaine élevée à sa plus haute puissance; mais telle qu'elle résulte des fautes. commises, ce n'est plus entre la guerre et la paix qu'est posée la question (autrement, nous serions énergiquement pour la paix contre la guerre), c'est entre la guerre avec ses chances favorables pour que la France soit victorieuse, et la guerre avec ses chances contraires pour que la France ait le sort de l'Autriche.

La lettre de l'impératrice Marie-Thérèse, écrite en 1778(1), et la fameuse note de M. Usedom du 17 juin 1866, sont des avertissements qui ne doivent s'effacer de la mé

(1)

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Lettre de Marie-Thérèse.

Chacun sait quel cas on peut faire du roi de Prusse et de sa parole. La France l'a appris dans bien des circonstances; aucun prince d'Europe n'a échappé à ses perfidies, et c'est un tel roi qui s'est érigé en dictateur, en protecteur de l'Allemagne! Mais le plus étonnant, c'est que toutes les puissances ne songent point à se donner la main pour éloigner un pareil malheur, qui doit tôt ou tard retomber sur elles. Depuis trente-sept ans cet homme, avec sa monarchie et son despotisme militaire, avec ses méfaits et sa violence, est le véritable fléau de l'Europe. Il s'est départi de tous les principes reconnus du droit et de la vérité; il se rit des traités et des alliances.

. C'est nous qui sommes le plus exposés à ses coups, et l'on nous abandonne! Nous nous en tirerons pourtant encore cette fois tant bien que wal.

• Je ne parle point pour l'Autriche en particulier; ce que je dis s'adresse à toutes les puissances de l'Europe.

L'avenir ne me semble pas riant. Ma vie ne se prolongera pas jusque-là❤ seuls, mes enfants et mes arrière-neveux, notre sainte religion et mon cher peuple, auront à subir de tristes épreuves. Nous sentons nous-même déjà les premières atteintes de ce despotisme insolent, mais plein de force, qui ne connaît d'autre règle, d'autre mobile que son intérêt. Si on laisse cette politique prussienne gagner encore du terrain, quelle perspective s'offrira à ceux qui viendront après nous ? Car, il ne faut pas se faire illusion, ce système grandit chaque jour....

Qu'on ne se laisse point tromper par les flatteries de la politique prussienne. Le roi vous cajole pour atteindre son but; mais dès qu'il y aura réussi, il s'empressera de faire le contraire de ce qu'il aura promis. C'est ainsi qu'il

moire d'aucun Français qui a lu ces paroles de Montesquieu :

Comme toutes les choses humaines ont une fin, l'État dont nous parlons perdra sa liberté; il périra. Rome, Lacédémone et Carthage ont bien péri.

Au dedans et au dehors, il y a des complications graves que nous pressentons; la prévoyance et la prudence commandent de ne pas les attendre les bras croisés et les yeux fermés. Mais si les fautes commises en 1859, aggravées en 1863, accumulées en 1866, ne peuvent se réparer que par une guerre résolûment entreprise, rapidement conduite, heureusement terminée, est-ce à dire que la guerre soit notre politique? Non, jamais la guerre n'a été et ne sera la politique de nos sympathies et de nos préférences, de nos études et de nos idées. Nous haïssons la guerre, nous la méprisons, mais il y a des non-sens dans lesquels il faudrait pour tomber avoir perdu la vue ou la raison. En 1860, après la conclusion du traité de commerce signé avec l'Angleterre, que disions-nous que devait chercher la France? Nous disions qu'elle devait chercher parmi ses ministres, ses diplomates, ses conseillers d'État, ses députés, ses financiers, ses économistes, ses publicistes, un Cobden français à opposer au Cobden anglais.

agit avec tout le monde, excepté avec la seule puissance qu'il redoute, c'est-àdire la Russie.

» La Russie suit les mêmes principes politiques que la Prusse, et l'intérêt réciproque unit toujours étroitement ces deux puissances, alors même qu'elles n'ont point conclu d'alliance verbale et formelle. Elles se tiennent par la main parce qu'elles ont la même tendance à s'agrandir, bien que cette tendance n'ait point le même objet chez chacune d'elles. Voilà pourquoi je considère la Russie et la Prusse comme formant une seule et unique puissance.

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Il ne faut plus songer aux vieux préjugés qui devraient être ensevelis depuis longtemps, à cette ancienne rivalité entre nous et la France. Il s'agit maintenant de nos biens les plus précieux, de nos intérêts les plus chers. Nous serons renversés, écrasés l'un après l'autre, si nous ne nous unissons dans la défense. »

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