aussitôt qu'il se trouvera un souverain qui osera souffler dessus. Finissons-en donc avec toutes les banalités, avec tous les lieux communs, avec toutes les phrases creuses, sur la prétendue impossibilité de supprimer la guerre, et, conséquemment, sur la prétendue nécessité de maintenir à perpétuité des armées permanentes, qui sont la permanence de la misère et de l'ignorance! Ne perdons pas le temps à discuter petitement si la durée du service sous les drapeaux doit être portée de sept ans à neuf ans, si les hommes de la réserve pourront se marier quelques mois plus tôt ou devront se marier quelques mois plus tard, si le remplacement sera oui ou non autorisé dans la garde nationale mobile, si les exercices et les réunions excéderont ou n'excéderont pas tel nombre de jours par année; osons prendre la guerre corps à corps et lui dire en face la vérité : Guerre, c'est te faire trop d'honneur que de t'appeler la barbarie; ce que tu es, c'est la bêtise. Nous portons à tous tes défenseurs le défi de démontrer le contraire. Quelles raisons donneront-ils pour te justifier? Prétendront-ils que tu es la conséquence de la mauvaise division de l'Europe, et ajouteront-ils que la paix ne régnera définitivement entre les grands et les petits États qui la composent qu'après un remaniement plus équitable opéré par le sabre et homologué par un congrès? Nous leur répondrons: Si tu es la conséquence d'une vicieuse division de l'Europe, il n'y a pas une minute à perdre ! Fais-toi absoudre de tous tes crimes et de tous tes désastres en changeant cette division vicieuse! Le plus tôt sera le mieux. Nuit et jour fabriquons les fusils reconnus les meilleurs, fondons des canons, approvisionnons-nous abondamment de cartouches et de boulets! Que les munitions de toute nature ne puissent nous manquer, quelque considé rable qu'en doive être la consommation, et que le service des ambulances ne laisse rien à reprendre! Puis, dès que tout sera prêt, faisons un effort suprême, afin que cet effort suprême soit l'enterrement de la guerre et le désarmement de l'Europe! Mieux vaut encore l'amputation que la gangrène. La paix armée c'est la gangrène, et ce sera la révolution sociale! Tous les gouvernements européens en ont le vague pressentiment, sans qu'aucun d'eux fasse rien pour la prévenir, malgré ce cri prophétique dont le rocher de SainteHélène nous a renvoyé l'écho: « Le vieux monde est à bout. » Oui, le vieux monde est à bout, et cependant ceux qui le gouvernent se conduisent comme s'ils devaient durer toujours. Que le vieux monde fasse ce qu'a fait le nouveau monde, ce qu'ont fait les États-Unis quand ils ont voulu abolir l'esclavage et la traite des noirs ! Que le vieux monde se donne pour mission et pour tâche d'abolir à tout prix le servage militaire et la traite des blancs! Si cette œuvre tardive de civilisation que trois souverains auraient dû dater à Paris de juin 1867, ne peut plus s'accomplir que par la guerre, prenons-en résolûment notre parti, et levons-nous comme un seul homme; mais à la condition que cette guerre sera la dernière, et qu'il n'y aura plus ni de recrutement militaire obligatoire ni de paix armée. La paix armée, c'est la guerre expectante, cette guerre qui ne tue pas, mais qui fait mourir, qui arrête la population dans son essor, qui la fait baisser dans sa taille, qui l'appauvrit dans son travail, qui l'énerve, qui l'étiole, qui désagrége la famille et la commune, qui enlève au champ et à l'atelier leurs bras les plus robustes, qui est la ruine des nations, qui n'est pas la force et qui n'est pas la richesse, qui n'est pas le progrès et qui n'est pas la stabilité, qui n'est pas la gloire et qui n'est pas la liberté. Le passé, l'emprunt et le déficit sont là qui l'attestent! Sous tous les règnes, la paix armée a conduit aux interventions inextricables et aux expéditions lointaines. Toujours la paix armée a été la guerre fatale. III. UNE LOI BOURGEOISE. Dites-nous quelle est votre politique extérieure, et nous vous dirons quelle doit être votre loi militaire. Dites-nous quelle est votre loi militaire, et nous vous dirons quelle est votre politique extérieure. Si nous interrogeons le projet de loi présenté au Corps législatif, notre réponse sera celle-ci : Émanant de la France, c'est le projet de loi d'un pays qui n'a aucune politique arrêtée ni à l'intérieur ni à l'extérieur : ce n'est pas la guerre, et cependant ce n'est pas la paix ; ce n'est pas la tyrannie, et cependant ce n'est pas la liberté; ce n'est pas l'inégalité de droit, et cependant c'est l'inégalité de fait; ce n'est pas une loi ayant pour base soit l'égalité, comme en Prusse, où tous les valides sont soldats, soit la liberté, comme en Angleterre, où l'enrôlement est volontaire : c'est une loi mixte; c'est une loi de laquelle ne se dégage aucun grand principe ; c'est une loi de transition et de transaction, c'est une loi essentiellement bourgeoise, ce n'est pas une loi franchement démocratique. De deux choses l'une ou se sentant menacée dans sa sécurité par l'unité militaire d'une puissance qui commande déjà à 37 millions d'habitants, la France entend contraindre le gouvernement prussien à compter avec elle; ou se trouvant assez grande et assez forte telle que l'ont restreinte les traités de 1815, il lui suffit en 1860 d'avoir acquis le versant septentrional des Alpes sans qu'elle ait besoin d'acquérir ou de conquérir la rive méridionale du Rhin. Qu'à cet égard la France s'explique sans réticences et sans détours! Que chacun de nous sache à quoi s'en tenir, afin que de grands sacrifices devant lui ètre imposés, il ait le temps de s'y préparer par la résignation ! La paix armée, qui mène fatalement à la politique d'ingérence, de toutes les politiques la plus funeste, la paix armée, depuis le temps qu'elle dure, a coûté trop cher à la France pour qu'il soit désirable de la perpétuer. Il faut en finir! Partisan de la paix, nous détestons la guerre; mais ce que nous détestons encore plus qu'elle, c'est cet état maladif et précaire qui est la paix un jour et la guerre le lendemain: guerre en Crimée, guerre en Italie, guerre en Chine, en Cochinchine, au Mexique, qui est l'insécurité et l'instabilité attestées par la grève opiniâtre du milliard. Si le gouvernement impérial n'a pas de politique, qu'il l'avoue! Mais s'il en a une, qu'il la proclame! Mieux vaut encore faire naître la crainte que la défiance. IV. TROIS MILLIONS D'HOMMES. Le rapport supplémentaire de M. Gressier se résume dans les chiffres suivants : CONTINGENT ANNUEL DE 100,000 HOMMES, 9 ANS 1/2 DE SERVICE. 734,000 soldats et 486,000 gardes nationaux mobiles, c'est trop, beaucoup trop, infiniment trop, si c'est pour continuer la politique du roi Louis-Philippe; ce n'est pas assez si c'est pour rétablir entre l'Allemagne et la France l'équilibre que la Prusse, en 1866, a détruit en supprimant la Confédération germanique telle qu'elle existait depuis cinquante ans. La France peut armer trois millions d'hommes (1). Qu'on appelle tous les célibataires au nombre de 1,900,000, si l'on pense qu'un effort suprême soit nécessaire pour lui rendre ses frontières naturelles, ses frontières républicaines de 1801, et changer en forteresses défensives qui nous protégent les forteresses offensives qui nous menacent; mais qu'on n'impose pas à perpétuité au pays une charge aussi lourde, qui serait la ruine de son agriculture et de son industrie; qui ne serait pas seulement son appauvrissement, qui serait encore son amoindrissement, car ce serait sa |