Images de page
PDF
ePub

bien, que l'empereur des Français et ses ministres le fassent! Qu'à l'exemple de ce philosophe de l'antiquité qui démontra le mouvement par le mouvement, ils démontrent la prospérité par la prospérité et la liberté par la liberté! Qu'ils nous couvrent de confusion en prouvant qu'il n'est pas vrai que l'alternative qui fut leur force soit détruite!

X.

LE CERCLE VICIEUX.

12 avril 1868.

Sous peine de déficit universel, de banqueroute générale, de crise financière et de révolution sociale, l'Europe ne peut rester à perpétuité sous le poids écrasant de l'exagération de ses armements.

Les nations et les gouvernements pauvres commenceront par succomber; leur débâcle entraînera successivement la débâcle des autres nations et des autres gouvernements relativement riches. Entre ces derniers et les premiers il n'y aura de différence que l'écart de temps. Finalement le sort sera le

même.

A cet égard il n'y a qu'une voix, et le discours impérial du 5 novembre 1863 demeure à l'état de vérité qui n'a pas été contredite.

La nécessité du gouvernement est unanimement reconnue et proclamée; mais qui désarmera? qui donnera l'exemple? La Russie dit à la France: Donnez-le !

La France répond à la Russie : Après vous.

Tel est le cercle vicieux dans lequel on tourne, et dans lequel on tournera sans fin, s'il ne se trouve pas un grand souverain ou un grand ministre qui ose, soit refaire la carte

de l'Europe et rectifier équitablement par la force l'œuvre de la force, soit, comme en Amérique, licencier l'armée et prendre fermement son point d'appui sur les peuples, tous intéressés au succès de cette hardiesse, qui serait plus apparente que réelle.

Ce grand souverain, ce grand ministre sachant ainsi prendre l'un de ces grands partis, l'anéantissement de la guerre par l'audace de la paix ou la stabilité de la paix par l'équité de la guerre, ce grand souverain, ce grand ministre se trouvera-t-il?

Qui prendra l'initiative et donnera l'exemple du désarmement? Si cette initiative était crânement prise, si cet exemple était crânement donné par la France, nous n'aurions aucune frayeur, et nos deux mains s'ouvriraient pour applaudir avec enthousiasme.

Sachant que cette initiative ne sera prise, que cet exemple ne sera donné ni par la France, ni par la Prusse, ni par la Russie, ni par aucune autre puissance, nous nous demandons combien de temps, sans succomber, l'Europe pourra tourner aveuglément dans ce cercle vicieux, dans ce cercle périlleux où elle consume ses forces stérilement et aveuglément?

XI.

L'ALLUMETTE SLESVIGOISE.

13 avril 1868.

Le jour où la guerre éclatera entre la France et la Prusse, que ce ne soit pas sur une question d'immixtion étrangère où, de l'aveu de tous, nous aurions tort, que ce soit sur une question de sécurité nationale, où, de l'aveu de tous, nous aurons raison!

Tout prétexte est toujours un masque et une hypocrisie. Pas d'hypocrisie ! Pas de masque !

« Le véritable auteur de la guerre n'est pas celui qui la déclare, mais celui qui l'a rendue nécessaire. »

Si ces paroles célèbres sont vraies, quel sera le véritable auteur de la guerre le jour où elle éclatera en Europe? Ne sera-ce pas M. le comte de Bismark, qui a renversé la Confédération germanique et détruit l'ancien équilibre européen, sans appeler l'Europe à le remplacer par un nouvel équilibre consacré par un nouveau congrès de

Vienne?

En 1815 et 1816, après la bataille de Waterloo, qui fut suivie du congrès de Vienne, toute l'Europe a pu désarmer et toute l'Europe, en effet, a désarmė.

En 1866 et 1867, après la bataille de Sadowa, dont aucun congrès n'a encore légitimé les conséquences, toute l'Europe, loin de réduire ses armements, déjà excessifs et ruineux, les a considérablement augmentés.

Cet état fébrile, cet état « précaire et maladif», qui, selon l'expression de Montesquieu, aboutit à « l'éreintement des peuples, ne saurait se prolonger à perpétuité.

Si le désarmement européen ne peut s'accomplir que par un effort suprême, mieux vaut encore la guerre immédiate que l'éreintement perpétuel !

Mais la guerre précédée d'un manifeste adressé au peuple français et à tous les peuples intéressés dans les questions que le sabre devra trancher, puisque la diplomatie aura été inhabile et impuissante à les dénouer;

Mais la guerre précédée d'un manifeste où ne soient invoqués ni le Slesvig ni le traité de Prague, où soit uniquement invoquée la nécessité impérieuse de mettre fin à l'exagération des armements de l'Europe et de résoudre équitablement, logiquement, définitivement, dans l'intérêt commun,

toutes les questions en suspens, toutes les questions qui s'aggravent en s'ajournant;

Mais la guerre précédée d'un manifeste où le Passé ne prenne la parole que pour la donner à l'Avenir, lequel ne doit pas tarder plus longtemps à devenir le Présent;

Mais la guerre précédée d'un manifeste qui, par sa franchise entière, ne laisse aucune place au soupçon d'aucune arrière-pensée ;

Mais la guerre précédée d'un manifeste au-dessus duquel ne plane aucune obscurité;

Mais la guerre précédée d'un manifeste dont puissent se rendre exactement et également compte tous les États à qui profitera et tous les États à qui préjudiciera le nouvel ordre européen ;

Mais la guerre précédée d'un manifeste qui explique hautement aux combattants et aux neutres ce qui ne leur est jamais sincèrement dit: Pourquoi a lieu la guerre engagée.

Cela est vrai et cela honore la France, elle n'a plus le goût de la guerre, elle n'a plus la soif des victoires. A la gloire et aux conquêtes elle préféré avec raison la liberté et la prospérité; mais si le retour de la prospérité et de la liberté n'est pas possible sous l'état de choses auquel l'année 1866 a donné naissance, la France ne voudra pas voir toutes ses forces se consumer dans le marasme, tandis que l'Allemagne verrait s'épanouir toutes les siennes sous la radieuse influence d'une grande idée commune.

Il ne faut pas demander à la France une abnégation qui équivaudrait à une abdication, une abnégation qui ne serait pas une vertu, mais une déchéance.

La France peut renoncer à la revendication des territoires belges, hollandais et rhénans qui lui appartinrent de 1801 jusqu'en 1814; mais lorsque l'Allemagne, puissance morcelée presque à l'infini, est devenue une grande et formidable

puissance compacte de trente-sept millions d'habitants, la France ne saurait sans imprudence et sans faiblesse laisser aux mains de cette puissance geôlière les clefs de toutes les forteresses qui émaillent ces territoires enclavés, dont la perte a livré notre indépendance nationale à la chance. « d'une SEULE BATAILLE et à une guerre de HUIT JOURS (1) » ; dont la perte dictait, le 19 janvier 1814, à l'empereur Napoléon Ier ces paroles mouillées de larmes : « La France sans « les départements du Rhin, sans la Belgique, sans Ostende, « sans Anvers, ne serait RIEN »; dont la perte enfin n'a pas été moins vivement et douloureusement ressentie par l'empereur Napoléon III, ainsi que l'attestent ces lignes : L'Empereur, mon oncle, aima mieux abdiquer l'Empire « que d'accepter par des traités les frontières restreintes qui devaient exposer la France à subir les dédains et « les menaces que l'étranger se permet aujourd'hui. Je « n'ai pas respiré un jour dans l'oubli de tels enseigne« ments (2).

[ocr errors]

"

[ocr errors]

Oui, la France peut renoncer à la revendication de son ancien territoire demeurant à l'état d'enclave; mais à la condition expresse que cette enclave soit désarmée et que toutes les forteresses dont elle est hérissée soient démantelées.

Ou spontanément rasées par leurs possesseurs de 1815, ou ces forteresses de nouveau victorieusement occupées par leurs propriétaires de 1801: telle est la seule alternative qu'admettent depuis 1867 la prévoyance et la prudence.

Si elle était consultée par un plébiscite qui lui exposerait que ce n'est qu'à cette condition que le désarmement auquel elle aspire peut avoir lieu, la France tout entière, nous n'en doutons pas, serait de notre avis; la France tout entière

(1) CHATEAUBRIAND, Congrès de Vérone.

(2) OEuvres de L. N. BONAPARTE, t. 1er, p. 26.

« PrécédentContinuer »