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qui ne ferait plus qu'une année d'augmentation au lieu de deux années.

Que cet amendement soit pris en considération ou qu'il soit repoussé, le vote nous laissera absolument indifférent. Nous ne prendrons aucune part soit à la victoire de l'opposition devenue majorité, soit à la défaite de l'opposition demeurée minorité. Sa victoire ne nous réjouira pas, sa défaite ne nous attristera point. Elle nous réjouirait plutôt. Pourquoi ?

Nous allons le dire.

C'est que plus le poids de la prestation militaire sera lourd, et plus l'effort des peuples éclairés pour s'en débarrasser sera vigoureux et aura de probabilités de succès. En y réfléchissant mûrement, et en y regardant de près, c'est là le bon côté des armements excessifs auxquels se livre en ce moment toute l'Europe, atteinte d'hystérie militaire.

Ces armements sont trop considérables pour être durables, n'en déplaise à ceux qui pensent et proclament qu'il vaut mieux que la France, au lieu de se mettre à la tête des peuples, se mette à la suite des gouvernements.

Chacun son avis.

Cet avis n'est pas le nôtre.

X.

L'AMENDEMENT DU 21 OCTOBRE 1848.

En 1848, un représentant du peuple, M. Deville, ayant proposé d'introduire dans l'article 107 de la Constitution une disposition portant que chaque citoyen français devait le service militaire en personne, et que le remplacement était INTERDIT, l'Assemblée constituante, issue du suffrage uni

versel, rejeta cet amendement au scrutin de division, le 21 octobre 1848, à la majorité de 663 voix contre 140.

Ce vote est la seule réponse que nous ferons à ceux qui prétendent qu'il n'est pas vrai que le sentiment causé par le recrutement obligatoire aux familles trop pauvres pour qu'elles puissent racheter leurs fils du servage militaire soit le sentiment de la terreur et de la désolation.

XI.

LA DÉCROISSANCE DE LA POPULATION.

Un recueil qu'on ne saurait accuser d'esprit de parti et d'esprit d'opposition, la Revue d'Édimbourg, constate en ces termes l'influence funeste exercée sur la population française par le recrutement obligatoire et l'excès des armées permanentes :

La population de la France augmente plus lentement que celle de tout autre pays, si même elle augmente. Une des causes les plus évidentes de ce phénomène, c'est que chaque année cent mille jeunes gens, forts et bien constitués, sont dirigés sur les dépôts; c'est que, pendant six, sept ans, ils ne peuvent se marier; c'est que leurs contemporains, plus heureux, qui restent chez eux, qui cultivent leurs champs, qui se marient et élèvent des enfants, sont précisément ceux qui ont été refusés par les conseils de révision à cause de leur faible constitution ou de quelque infirmité. De 1851 à 1856, l'augmentation annuelle de la population avait été incroyablement faible, et, dans la plupart des départements, il y avait décroissance. De 1856 à 1861, l'accroissement total, par année, était de 150,000, et le recensement quinquennal de 1866 démontré que la même proportion subsiste encore. Ce n'est pas,

toutefois, que les naissances diminuent, c'est parce que LES MORTS

AUGMENTENT.

A l'appui de ces chiffres, M. H. de Valori ajoute les chiffres

suivants :

Ce qu'il faut surtout bien méditer, c'est qu'un appel de 100,000 hommes produit instantanément un effet dépressif sur l'accroissement de la population. Quand le recrutement était de 40,000 hommes, la population augmentait rapidement"; à 60,000, le progrès était plus lent; à 80,000, plus lent encore; à 100,000, temps d'arrêt; à 140,000 (en 1854 et en 1855), diminution positive. Il est impossible de ne pas être convaincu que ces énormes contingents diminuent la force vitale du pays.

Deux graves questions sont en présence : la question du mariage et la question du recrutement. Laquelle sera subordonnée à l'autre ?

La question du recrutement, qui démoralise le pays?
Non.

La question du mariage, qui le moraliserait.

Sermons et réquisitoires contre la dépravation des mœurs, tonnez donc contre la loi militaire, puisque c'est elle qui leur porte la plus grave et la plus profonde atteinte.

XII.

LE DESARMEMENT DE LA FORCE PAR LA FORCE.

117 voix contre 81 ont refusé de prendre en considération l'amendement dont le résultat eût été de réduire de neuf à huit ans la durée du service militaire, laquelle est actuellement de sept ans.

L'amendement luttait afin que l'augmentation de la durée du service ne fût que d'une année.

Le gouvernement insistait afin que cette augmentation fût de deux années.

C'est le gouvernement qui l'a emporté.

Combattues avec une grande fermeté par MM. Buffet et de Talhouët, les neuf années de corvée militaire ont prévalu. Tant mieux!

Oui, tant mieux! puisqu'il paraît qu'il faut absolument que les armements de l'Europe atteignent à la dernière limite de leur exagération pour que la nécessité du désarmement européen s'impose invinciblement aux applaudisseurs inconsidérés de paroles telles que celles-ci, tombées des lèvres de M. Rouher:

Je n'engagerai jamais mon pays à désarmer, à s'enlever les ressources militaires nécessaires pour résister à une attaque ou à une atteinte portée à nos intérêts et à notre honneur. (Vive approbation sur un grand nombre de bancs.) Que ceux qui auraient le courage de soutenir une pareille proposition viennent la porter à cette tribune, et je suis convaincu que la Chambre et la NATION TOUT ENTIÈRE les désapprouveraient. (Nouvelle approbation.)

Puisque ce défi n'a pas été relevé à la tribune nationale, relevons-le ici, à cette tribune personnelle qui se nomme un journal. Nous n'aurons pas les approbations de la majorité élue, mais si la majorité électorale pouvait être consultée, si la « NATION TOUT ENTIÈRE » pouvait être saisie de la question dans les termes que nous venons de citer et que nous repoussons hautement, ce ne serait pas, non, ce ne serait pas à M. Rouher, ministre d'État, que la nation consultée donnerait raison; ce serait au publiciste puisant sa force dans la bonté de sa cause.

Sur quoi se fonde M. Rouher, ministre d'État, pour prétendre que les disciples de Montesquieu ne sont pas des « hommes sérieux » lorsqu'ils disent qu'au point où ils en sont venus les effectifs de l'Europe en sont la ruine »?

M. Rouher se fonde sur les chiffres ci-dessous, alignés par lui en bataille :

Il y a en Europe, dit-il, quatre grandes puissances continentales :

L'Italie,

L'Autriche,

La Prusse,

La Russie.

En Italie, la classe entière est appelée. Onze ans de service. En dehors des gardes nationales et des volontaires, l'armée permanente et régulière peut mettre sous les drapeaux 900,000 hommes.

En Autriche, l'obligation du service pèse aussi sur la classe entière. Six ans de service. Indépendamment de la garde nationale, réservée pour la défense des forteresses et des côtes, la loi est appliquée à 1,200,000 hommes sous les drapeaux.

En Prusse, toute la classe, puisée dans la population de toute la Confédération du Nord, est engagée. Sept ans de service trois ans dans l'armée active, quatre ans dans la réserve. L'effectif produit par cette organisation militaire est de 1,300,000 hommes.

:

En Russie, la levée annuelle est de 4 hommes par 1,000 hommes. Quinze ans de service douze ans sous les drapeaux, trois ans dans la réserve. Cette organisation militaire, sur le pied de guerre, peut s'élever à 1,440,000 hommes.

Des chiffres ci-dessus, s'élevant en total à 4,900,000 hommes, M. Rouher tire cette conclusion qu'un effectif de 700,000 hommes ne suffit plus à la sécurité de la France, qu'il lui en faut absolument 800,000.

Tenant pour exacts les chiffres exorbitants qui précèdent, nous répondons :

Combien de temps peut durer ce monstrueux état, cet état contre nature, cet état contre civilisation, cet état contre raison, cet état contre moralité ?

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