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En Prusse, tout le peuple est armé pour la défense du pays; en France, la bourgeoisie seule est armée pour la défense des intérêts privés; aussi a-t-on eu soin d'écrire sur ses drapeaux, non: GLOIRE, INDÉPENDANCE, mais: ORDRE PUBLIC. En Prusse, on ne connaît pas ce trafic, qu'on peut appeler TRAITE DES BLANCS, et qui se résume par ces mots : « Acheter un homme, quand on est riche, pour se dispenser du service militaire, et envoyer un homme du peuple se faire tuer à sa place. » IL N'Y A PAS DE REMPLAÇANTS. L'organisation prussienne est donc la seule qui convienne à notre nature démocratique, à nos mœurs égalitaires, à notre situation politique, car elle se base sur LA JUSTICE, L'ÉGALITÉ, L'ÉCONOMIE, et a pour but non la conquête, mais l'indépendance (1)..

Ce que le rédacteur du Progrès du Pas-de-Calais pensait en 1843, il y a vingt-cinq ans; ce que l'Empereur des Français pensait en 1864, il y a quatre ans, nous n'avons pas cessé de le penser. Son opinion sur le remplacement militaire a pu varier, la nôtre n'a pas changé. Elle est demeurée ce qu'elle a toujours été d'accord avec Montesquieu s'exprimant ainsi :

L'Europe se perdra par les gens de guerre.

C'est cet état d'effort qui maintient principalement l'équilibre, parce qu'il ÉREINTE les grandes puissances.

D'accord avec Mirabeau ajoutant :

Point de mercenaires et point d'armée permanente le peuple entier investi du droit d'avoir et de porter les armes pour la défense commune.

Nous persistons à penser que s'ils l'eussent fermement voulu, rien n'eût été plus facile, en juin 1867, à l'empereur des Français et à ses deux hôtes, l'empereur de Russie, accompagné du prince Gortschakoff, et le roi de Prusse, accompagné du comte de Bismark, d'abolir dans leurs États, conséquemment dans toute l'Europe, le service militaire obligatoire, avec ou sans tirage au sort, avec ou sans faculté

(1) Progrès du Pas-de-Calais, 5 mai 1843.

de remplacement, et de convertir ce servage détesté en profession libre, se nommant l'enrôlement volontaire et existant en Angleterre et aux États-Unis, ce qui prouve qu'il peut exister.

XV.

CONFÉRENCE MILITAIRE EUROPÉENNE.

Toute loi d'organisation militaire est une loi de désorga

nisation sociale.

S'il en est incontestablement ainsi, non pour la France seulement mais pour toute l'Europe, ne serait-ce pas le cas de proposer à toutes les puissances européennes, grandes et petites, la réunion d'une Conférence militaire dans laquelle seraient uniformément adoptées, après discussion et vote, les mêmes prescriptions en matière de recrutement?

Ces puissances, sans exception d'une seule, n'auraientelles pas toutes le mème intérêt à l'adoption d'une convention commune qui conserverait ou qui interdirait le recrutement obligatoire, le tirage au sort, le remplacement, qui, en cas de maintien du recrutement obligatoire, proportionnerait le chiffre des contingents annuels au chiffre de la population de chaque État; qui fixerait le nombre des années de service dans l'armée active et dans l'armée de réserve? etc., etc.

Supposons que cette Conférence militaire européenne se soit réunie et qu'elle ait adopté pour base commune du recrutement européen de l'armée active la fixation du chiffre de UN POUR CENT DE LA POPULATION, chiffre proposé par gouvernement prussien aux États de la Confédération du

le

:

Nord quelles seraient les conséquences de cette imitation judicieuse?

Rendons-nous-en compte par des chiffres, en plaçant en regard l'armée de chaque État réduite au centième de la population:

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Si les bases de cette équitable fixation de la force des armées, proportionnelle à la force des populations, étaient adoptées, cela ne vaudrait-il pas mieux que le régime contraire, emprunté aux moutons de Panurge, régime qui consiste à exagérer l'exagération contre laquelle on proteste, régime qui consiste à se plaindre de ce que la puissance rivale a trop de soldats, et à s'efforcer d'en avoir à tout prix et à tout risque un plus grand nombre qu'elle? Les peuples y gagneraient; qu'est-ce que les gouvernements y perdraient? quel contingent annuel imposerait à la France un effectif restreint à 370,000 hommes?

(1) Plus tard, ce chiffre se grossira des 9,000,000 d'habitants qui forment transitoirement l'union des États allemands du Sud; alors la Prusse, se nommant l'empire d'Allemagne, et ayant 37,000,000 d'habitants, aura une armée de 370,000 hommes, la même armée que la France.

Cela dépendrait de la durée du service.

Si la durée du service était réduite à cinq années, le contingent annuel serait de 75,000 hommes.

Si la durée du service était fixée à huit années, le contingent annuel serait de 47,000 hommes.

47,000 hommes au lieu de 100,000 hommes!

Est-ce que cela ne vaudrait pas la peine de proposer de réunir une Conférence militaire européenne?

Faisons une autre supposition:

Supposons que toutes les puissances continentales de l'Europe, Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Portugal, Russie, Suède, Suisse, Turquie, conviennent que la durée du service militaire dans l'armée active n'excédera pas cinq années et que les contingents annuels de chaque nation ne dépasseront pas le cinquième de chaque classe, composée de tous les nationaux ayant atteint le 1er janvier de chaque année l'âge de vingt ans révolus: militairement, une seule de ces puissances y perdrait-elle? Une seule de ces puissances y gagnerait-elle ?

Non; militairement, aucune de ces puissances n'y perdrait. Mais socialement, mais économiquement, mais physiquement, mais moralement, toutes y gagneraient.

Les gouvernements y gagneraient en accroissement de stabilité au moins autant que les populations en allégement du fardeau qui les écrase.

Développer cette idée serait superflu; il suffit de l'indi

quer.

Idée! qué ce mot impropre et malsonnant n'effraye aucun souverain ni aucun ministre! Cette idée, en réalité, n'en est pas une, c'est un expédient.

L'idée, ce serait le désarmement de l'Europe; l'idée, ce serait la constitution de la justice arbitrale et médiatrice contenue en germe dans le traité de Paris du 30 mars 1856.

Tout au plus si le recrutement tel que nous proposons de le restreindre en le rendant uniforme mériterait le nom de transition.

Quoi qu'il en soit, idée, expédient ou transition, le gouvernement qui en prendrait l'initiative, qu'il réussisse ou qu'il échoue, en retirerait certainement une popularité qui serait une force.

Se trouvera-t-il en Europe un gouvernement que tente cette perspective?

Nous tomberions dans le mensonge ou le lieu commun si nous disions que nous l'espérons.

L'espérance est une source à laquelle nous avons cessé de puiser. Les déceptions l'ont tarie.

Cependant le militarisme n'est pas seulement un danger pour les peuples auxquels il coûte la liberté, c'est aussi un danger pour les empereurs et les rois. Il a coûté en 1866 au roi de Danemark la perte de trois duchés, et à l'empereur d'Autriche la perte de son prestige. Il a failli lui coûter plus

encore.

XVI.

L'ENRÔLEMENT VOLONTAIRE.

Lorsqu'on propose de substituer en Europe l'enrôlement volontaire au recrutement obligatoire, il semblerait, en vẻrité, qu'on soit privé de la raison.

Cependant l'enrôlement volontaire existe aux États-Unis, il existe en Angleterre, il existe même en France; car, en résumé, qu'est-ce que le remplacement militaire, si ce n'est l'enrôlement volontaire?

Du rapport de la commission royale britannique chargée

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