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de l'article 3 de la loi du 21 mars 1832, vous allez donc être TOUS soumis au maniement des armes, soit à titre de soldat, soit à titre de garde national mobile!

Français qui êtes nés en même temps que renaissait en France la République, ce qui vous arrive ne vous arriverait pas si, le lendemain du 24 février, notre voix eût été écoutée par les membres du gouvernement provisoire, auxquels nous disions :

27 février 1848. L'Europe nous regarde étonnée, émue, inquiète, aujourd'hui effrayée, demain menaçante.

La poudre à canon est un vieux procédé qu'il faut reléguer parmi les vieilles traditions.

Ne songeons qu'à nous faire admirer, et nous aurons bientôt triomphé sans avoir combattu.

28 février. Faisons de la politique à ciel ouvert, au grand jour de la publicité.

Toute politique souterraine est une politique marquée au coin de la faiblesse ou de la duplicité.

Ni duplicité,

Ni faiblesse.

Pourquoi et de qui nous cacherions-nous pour dire aux souverains que la France aspire à voir tous les peuples heureux et libres?

Ce n'est pas tout bas qu'il faut le dire! Ce n'est pas à l'oreille des rois qu'il faut le faire entendre, c'est à l'oreille des peuples. C'est en comprenant ainsi la politique extérieure que la paix sera assurée et glorifiée.

4 mars.

Nous dépensons follement des sommes considérables à entretenir des armées exorbitantes et des vaisseaux de guerre inutiles, pourquoi? - Pour protéger tous notre indépendance, qui n'est menacée par aucun. Dépense insensée, qui appauvrit les peuples sans enrichir les États.

Au lieu de fondre des canons et des boulets, de fabriquer des fusils, d'arracher à la charrue les bras les plus vigoureux, d'étioler les populations par le recrutement et par la guerre, ne ferions-nous pas mieux d'achever de toutes parts nos routes, nos canaux et nos chemins destinés à transporter gratuitement le tra

vailleur valide du point où l'ouvrage manque à l'endroit où l'ouvrage abonde?

Au lieu de construire de superbes vaisseaux de ligne, qui coûtent d'immenses sommes, et qui sont hors de service avant que l'éventualité en vue de laquelle ils ont été construits se soit réalisée, ne ferions-nous pas mieux tous d'améliorer nos ports et nos côtes afin de rendre moins périlleuse la navigation marchande?

Pourquoi le congrès européen qui, un jour ou l'autre, sera appelé inévitablement à délibérer sur les graves questions que soulève l'amélioration des classes ouvrières, ne déciderait-il pas que le moment est venu pour toutes les nations de n'avoir plus de force militaire que celle nécessaire au maintien de l'ordre et déterminée par le chiffre de la population de chaque État? Pourquoi ne compléterait-il pas son œuvre en déclarant que chaque nation n'entretiendra plus désormais de bâtiments de guerre que proportionnellement au chiffre des bâtiments de sa marine marchande; que tous ces bâtiments de guerre formeront en commun une assurance mutuelle de secours contre les pirates et les forbans et autres risques maritimes?

Peuples et gouvernements, ne dites pas que ce sont là des illusions ressuscitées du tombeau dans le délire d'une révolution dont le cratère fume encore! Avant que les chemins de fer, la navigation à vapeur, le télégraphe électrique fussent inventés; à une époque où les questions de territoire étaient principales; où les questions d'industrie et de commerce n'étaient pas même secondaires; où, dans les balances du monde, un roi pesait plus que son peuple; où les provinces et les royaumes s'apportaient en dot; où l'esprit de conquête et les guerres de succession remplissaient toutes les pages de l'histoire; où l'épée était souveraine; où le crédit n'avait pas encore fondé son empire; avant ce temps la paix européenne a pu, avec une apparence de raison, être traitée de chimère, non pas que l'idée de Henri IV ne fût juste, mais parce qu'elle était prématurée.

D'autres temps sont venus.

9 mars. Déjà en Prusse, à Cologne, ce cri a été poussé : « Plus d'armée permanente! »

Ce cri, il ne faut pas le laisser tomber, il faut le porter aux quatre coins de l'Europe.

Réduction successive et générale de toutes les armées de terre;

Réduction de la marine militaire et formation d'une flotte commune destinée à la répression des délits maritimes.

Telle est la pensée qui doit dicter à la République française toutes ses notes, toutes ses communications, tous ses discours.

» Pas de guerre avec la France! S'il faut opter entre les "Français et les Russes, marchons avec la France contre la » Russie! » Ainsi s'expriment les étudiants de Munich dans une adresse au roi de Bavière. Ils sont l'écho de toute l'Allemagne ; ils sont l'écho de tous les peuples. Que ce cri pacifique dissipe donc l'erreur qui a coûté à la France trois milliards depuis 1830! Le désarmement de la Paix est le salut de l'Ordre. Si l'on veut que tous nos grands travaux publics commencés ne soient pas suspendus, c'est à l'économie seule qu'il faut demander des ressources. Une économie considérable ne peut s'obtenir que par la réduction de l'armée. Les armées les plus nombreuses ne sont pas les plus fortes ayons une armée qui soit faible par le nombre, mais forte. par le choix. Cela est possible; il ne s'agit que de bien choisir les officiers généraux chargés de mettre en application le principe de Végèce, confirmé en ces termes par le maréchal de Saxe : « Il » vaut mieux avoir un petit nombre de troupes bien entretenues et a bien disciplinées que d'en avoir beaucoup et qui ne le soient pas; » ce ne sont pas les grandes armées qui gagnent les batailles, ce sont » les bonnes. »

15 mars. On peut nous traiter « d'esprit chimérique »; ce n'est pas une épithète dédaigneuse qui changera en nous une conviction profonde; c'est l'épithète qui a accueilli en Angleterre tous les réformateurs dont les réformes ont prévalu, à commencer par Wilberforce, à finir par Cobden.

Notre idée fixe, c'est le désarmement de la paix, c'est le désarmement de l'Europe, en commençant par le désarmement de la France.

Il y a quinze ans que nous insistons sur l'adoption de cette idée, et le seul regret que nous éprouvions aujourd'hui, c'est de n'avoir pas insisté avec assez de ténacité.

Ce que nous avions dit la veille, il fallait le répéter le lendemain, puis le redire, puis encore le répéter. La vérité s'accommode mal des intermittences; c'est une enclume sur laquelle il ne faut pas craindre de poser le fer rouge et de faire retentir le marteau. Les scrupules que la discrétion éveille sont aux convictions ce qu'est la paille dans l'essieu, le ver dans le fruit.

Si cette opinion, à force d'être reproduite, eût prévalu, la France, aujourd'hui, aurait à son actif social trois milliards qui ont été dévorés en rations de pain et de fourrages, en poudre brûlée dans de vains exercices, péniblement imposés à des travailleurs arrachés par le sort à leurs charrues, à leurs ateliers, à leurs chantiers, pour y être renvoyés quatre ans après, sachant faire sonner les capucines d'un fusil, mais ne sachant plus qu'imparfai#tement manier l'outil de leur métier. Barbarie! barbarie !

L'entretien d'une armée qui coûte à la France 365 millions par an est un crime de l'ignorance et de la peur contre le travail, le crédit, l'impôt, le contribuable, la société.

Lisez la réponse faite par Lamartine aux délégués du club du Marais; ce qu'il dit pour justifier l'armée est le meilleur argument qu'on puisse invoquer pour en motiver la réduction.

Cette fois encore, c'est du côté du peuple qu'est le bon sens. Il demande que les troupes soient éloignées de Paris, il a raison; mais il ne demande pas assez en demandant leur éloignement; ce qu'il faut qu'il demande à pleine voix, c'est qu'on réduise l'armée, et que le recrutement, cette loterie des hommes, soit aboli.

L'enrôlement volontaire, en ce temps où toutes les carrières sont encombrées, fournira plus de soldats, de sous-officiers et d'officiers qu'il n'en faudra pour entretenir, dans de justes proportions, notre armée d'Afrique et conserver la tradition militaire.

De la sorte, on aura une armée peu nombreuse, mais fortement constituée, largement soldée. Le service militaire sera une carrière; il ne sera plus un impôt prélevé presque exclusivement sur le pauvre, hors d'état d'acheter (c'est le mot) un remplaçant.

Le jour où nous écrivions ces dernières lignes, c'était le lendemain du jour où Lamartine, membre du gouvernement provisoire et ministre des affaires étrangères, écrivait : « Comme ministre des affaires étrangères, je puis le dire, » nous n'avons rien à craindre pour la paix de l'Europe. 1 C'était le jour même où la population de Berlin présentait au roi de Prusse une pétition qui lui demandait impérieusement « la réduction de l'armée. »

Si en février et mars 1848, ainsi que nous le demandions chaque jour sous une forme nouvelle, le recrutement obligatoire, le servage militaire, le tirage au sort, la loterie des

hommes, le remplacement, la traite des blancs eussent été abolis par un décret du gouvernement provisoire n'admettant que l'enrôlement volontaire, la République du 24 février vivrait encore, car elle eût été impossible à déraciner, impossible à renverser

D'abord, le décret des 45 centimes eût été inutile, puis la crainte de voir rétablir par un autre gouvernement la corvée militaire eût étroitement relié toutes les campagnes, toutes les familles à la conservation de la République devenue inébranlable.

Est-ce vrai?

A cette époque, le plus clairvoyant des républicains, quel était-il?

XXIV.

LE SERVAGE MILITAIRE.

Qu'on l'appelle recrutement, conscription ou autrement, les vrais noms du service militaire, dès qu'il est obligatoire, sont impôt corporel, corvée, servage.

Toute révolution, où qu'elle triomphe, soit en France, soit en Espagne, soit ailleurs, dont le premier acte n'est pas d'abolir le servage militaire, est une révolution dont on peut prédire avec certitude l'avortement.

Reconnaissons-le! les républicains de 1868 en Espagne ont été plus clairvoyants à cet égard que les républicains de 1848 en France. Si MM. Orense, Castelar et leurs amis eussent eu le pouvoir, eux, ils n'eussent pas hésité à remplacer, à titre transitoire, le recrutement obligatoire par l'enrôlement volontaire, car où le servage corporel subsiste à l'état de loi positive et permanente, la liberté n'a aucune

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