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résolutions. C'est elle qui énerve tous les caractères. C'est elle qui rapetisse tous les esprits. C'est elle qui a ôté à la pusillanimité son nom pour lui donner faussement le nom de prudence. C'est elle qui, accusant la prévoyance de s'élever trop haut, lui a coupé les ailes et l'a réduite à l'attitude piteuse d'un aigle emprisonné dans une cage. Banalité, véritable fléau, tu es l'oïdium de la France! Oïdium, ce que tu fais de ses vignes les plus précieuses, Banalité, tu le fais non moins impitoyablement de ses intelligences les plus merveilleuses! Banalité, le jour où la guerre éclatera, ce sera ton triomphe!

Tu devras être contente et tu pourras être fière; le Congrès n'aura pas eu lieu AVANT la guerre; il n'aura eu lieu qu'APRÈS.

Donc rien n'aura été changé aux traditions de la diplomatie. Elle n'aura pas eu la douleur et l'humiliation de voir le rail combler et remplacer l'ornière qu'elle a mis tant de siècles à creuser!

XIII.

ROME, TRIESTE, CONSTANTINOPLE.

18 mai 1868.

« A Monsieur Émile Ollivier, député.

» Mon cher ami,

» Est-il vrai, ainsi que vous l'avez dit (1) à la tribune du

(1) La guerre (bruit), bien des gens pensent qu'elle est nécessaire, qu'il y a une question d'honneur à vider entre la France et l'Allemagne. Cela se dit, cela s'écrit et est propagé. (Nouvelles interruptions.) Et c'est une opinion sérieuse et grave, dès qu'elle est celle de l'éminent publiciste dont je m'honore d'être l'ami

Corps législatif, est-il vrai que nous ayons cessé, vous et moi, d'être d'accord sur le premier des deux termes du programme qui nous a été si longtemps commun, et qui se résume dans ces mots : Paix et Liberté ?

» Aurais-je apostasié? Aurais-je abjuré le culte de l'humanité et du progrès, pour retourner à l'idolâtrie de la force et de la victoire?

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Aurais-je, à ma dernière heure, renié les principes de Turgot, mon maître, et de Cobden, mon ami, pour me convertir à ceux du cardinal de Richelieu et du comte de Bismark?

» Aurais-je cessé d'aimer la paix autant que j'aime la liberté?

» Aurais-je cessé de hair et de mépriser la guerre à l'égal de la barbarie?

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Aurais-je déserté le drapeau que je portais et sur lequel, opposant la politique intercontinentale à la politique internationale, et les regards fixés sur le drapeau de l'Union américaine, j'ai écrit: UNION EUROPÉENNE ?

"

» Aurais-je enfin brusquement oublié tout ce que j'ai laborieusement appris?

et dont je regrette de me séparer en cette occasion. Mais, selon moi, la guerre serait un désastre. Je ne parle pas au nom de la fraternité, au nom de ces sentiments qui n'ont rien à faire avec la politique, je parle au nom des intérêts. L'expérience a confirmé cette parole de Montesquieu Ce sont les hommes de guerre qui ruineront l'Europe. » La guerre n'a jamais rien fait, rien terminé.

En vain vous seriez victorieux, en vain vous auriez repoussé l'Allemagne, conquis le Rhin, après la victoire vous pourriez désarmer moins facilement encore qu'avant la guerre. Vous seriez obligés d'augmenter encore vos armées, et le malaise du monde ne cesserait pas. (C'est vrai! c'est vrai! sur plusieurs bancs.)

La guerre n'est donc, selon moi, qu'une solution impraticable, néfaste, un expédient empirique.

La véritable solution c'est la paix, mais la paix avec le désarmement, mais la paix avec la liberté, avec la liberté sans laquelle la paix n'est ni glorieuse ni sûre.

ÉMILE OLLIVIER, Corps législatif, séance du 16 mai 1868.

"

» Non, mon cher ami; croyez-le, je n'ai rien désappris et rien oublié. Tout ce que j'ai écrit pour glorifier la paix et flétrir la guerre; tout ce que j'ai écrit pour substituer la politique économique à la politique territoriale, la politique de la richesse à la politique de la force, l'esprit de réciprocité à l'esprit de rivalité, le génie de la production au génie de la destruction, je l'écrirais encore à la date où je l'ai écrit ; je l'écrirais encore si, après avoir préparé, en juin 1859, l'unité de l'Italie, la France s'était hautement et franchement ralliée en août 1866 à l'unité de l'Allemagne, déclarant que celle-ci était la conséquence de celle-là, et que l'une et l'autre de ces deux unités n'étaient que la conversion en faits accomplis de la doctrine des grandes agglomérations, dont le père adoptif est Napoléon Ier, mais dont le père légitime est Henri IV.

» Le 28 avril 1866, alors qu'il en était temps encore, j'ai indiqué en ces termes ce qu'il y avait à faire pour empêcher de l'Allemagne entre l'Autriche et la Prusse :

la

guerre

LA SITUATION.

Pour faire rentrer dans leurs fourreaux toutes les épées prêtes à en sortir, à commencer par celle de M. de Bismark, et empêcher la guerre d'éclater, la France n'aurait à prononcer que ces seuls mots : Quelle que soit la puissance qui attaquera, je me rangerai immédiatement du côté de la puissance attaquée.

Ces mots, auxquels applaudirait toute l'Europe, qui empêche la France de les dire?

Ils ne seraient pas encore la féconde réalisation du désarmement, mais ils en seraient la glorieuse préface.

L'Europe ressemble en ce moment à un convoi de chemin de fer qui serait sorti du rail, ou à une voiture qui aurait versé dans l'ornière ; si chacun regarde sans que personne agisse, la voiture restera dans l'ornière, la circulation de la voie demeurera interrompue.

La France n'a qu'un mot à dire pour que ce mot soit un acte et que toutes les mains se mettent à l'œuvre. Que la France le dise! et la situation, qui est sombre, ne tardera pas à s'éclaircir. Ce serait une victoire sans bataille. Cette victoire sans effusion de

sang, cette victoire qui dissiperait toutes les perplexités, qui mettrait fin à toutes les manœuvres, qui chasserait tous les doutes, il dépend de la France et du chef de l'Etat de la remporter (1).

» Le 22 mai, l'état des choses a empire; empêcher la guerre de s'allumer entre l'Autriche et la Prusse n'est plus possible; l'Italie et la Prusse ont signé le traité d'alliance offensive et défensive conclu à Berlin dans le courant d'avril (2), quoique nié le 3 mai par M. Rouher à la tribune du Corps législatif; il n'y a plus de temps à perdre; il ne s'agit plus de flotter dans l'indécision; il s'agit de prendre un parti décisif; le parti que j'indique est celui-ci :

TROIS CONTRE UN.

Toute guerre est haïssable, toute guerre est désastreuse; mais entre deux guerres inévitables, celle qu'il faut choisir, n'est-ce pas la plus courte?

Notre choix est fait pour la guerre qui nous ramènera le plus vite à la paix.

-

Aussi étions-nous pour l'union de l'Autriche, de la France et de l'Italie contre la Prusse; l'Autriche reprenant à la Prusse la Silésie, rendant à l'Italie la Vénétie et à la Confédération germanique les duchés de l'Elbe. Mais puisque l'Autriche persiste à repousser cette occasion de dénouer à la fois ces trois questions, la question d'Italie, la question d'Allemagne et la question d'Orient, - occasion que peut-être l'Autriche ne retrouvera jamais, arrivons au même but par le chemin opposé, en écartant de nos pieds toutes les considérations secondaires. Le chemin opposé, c'est l'union de la France, de l'Italie et de la Prusse contre l'Autriche. Dans l'une comme dans l'autre combinaison, le chiffre reste invariablement le même trois contre un.'

:

Si nous insistons sur ce chiffre de trois contre un, c'est qu'offrant la garantie de la guerre rapidement menée, il donne la certitude de la paix promptement rétablie.

(1) Le Succès, Questions de l'année 1866.

(2) Voir les lettres des 9 mars et 3 avril 1866, signées du général La Marmora, ministre des affaires étrangères, adressées au ministre du roi d'Italie à Berlin, spécifiant la mission du général Govone et précisant les termes du traité à conclure.

» Non, mon cher ami; croyez-le, je n'ai rien désappris et rien oublié. Tout ce que j'ai écrit pour glorifier la paix et flétrir la guerre; tout ce que j'ai écrit pour substituer la politique économique à la politique territoriale, la politique de la richesse à la politique de la force, l'esprit de réciprocité à l'esprit de rivalité, le génie de la production au génie de la destruction, je l'écrirais encore à la date où je l'ai écrit ; je l'écrirais encore si, après avoir préparé, en juin 1859, l'unité de l'Italie, la France s'était hautement et franchement ralliée en août 1866 à l'unité de l'Allemagne, déclarant que celle-ci était la conséquence de celle-là, et que l'une et l'autre de ces deux unités n'étaient que la conversion en faits accomplis de la doctrine des grandes agglomérations, dont le père adoptif est Napoléon Ier, mais dont le père légitime est Henri IV.

» Le 28 avril 1866, alors qu'il en était temps encore, j'ai indiqué en ces termes ce qu'il y avait à faire pour empêcher la guerre de l'Allemagne entre l'Autriche et la Prusse :

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LA SITUATION. Pour faire rentrer dans leurs fourreaux toutes les épées prêtes à en sortir, à commencer par celle de M. de Bismark, et empêcher la guerre d'éclater, la France n'aurait à prononcer que ces seuls mots : Quelle que soit la puissance qui attaquera, je me rangerai immédiatement du côté de la puissance attaquée.

Ces mots, auxquels applaudirait toute l'Europe, qui empêche la France de les dire?

Ils ne seraient pas encore la féconde réalisation du désarmement, mais ils en seraient la glorieuse préface.

L'Europe ressemble en ce moment à un convoi de chemin de fer qui serait sorti du rail, ou à une voiture qui aurait versé dans l'ornière; si chacun regarde sans que personne agisse, la voiture restera dans l'ornière, la circulation de la voie demeurera interrompue.

La France n'a qu'un mot à dire pour que ce mot soit un acte et que toutes les mains se mettent à l'œuvre. Que la France le dise! et la situation, qui est sombre, ne tardera pas à s'éclaircir. Ce serait une victoire sans bataille. Cette victoire sans effusion de

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