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et à l'emprisonnement les seconds, uniquement coupables d'une divergence d'opinion?

Si les deux régimes représentés : l'un par M. Fernand Giraudeau, l'autre par M. Prévost-Paradol, n'ont pour fondement aucun droit; si, en matière de pensée imprimée, il n'y a que lois inefficaces et délits imaginaires; si le mensonge, la calomnie et l'erreur ont pour châtiment la vérité et pour supplice leur impuissance, n'en faut-il pas conclure que le seul régime qui prévaudra sera celui que représente M. Émile de Girardin?

Le jour du triomphe de ce régime n'est pas encore venu; mais patience! Combien de temps n'a-t-il pas fallu avant que les gouvernements, d'accord avec les multitudes, qui les dépassaient en intolérance, renonçassent à ranger l'hérésie parmi les crimes, et comme telle à la punir de mort!

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Est-ce qu'en 1546, il a trois cent vingt ans, fut pas la Sorbonne qui condamna comme hérétique Étienne Dolet, lequel fut d'abord pendu, puis brûlé en place Maubert? Si, à cette époque, il y eût eu un jury, ce jury, étant plus ignorant que la Sorbonne, eût-il été moins intolérant qu'elle? Qu'en pense M. Prévost-Paradol, l'apologiste persévérant du jury en matière de presse?

Le livre de M. Renan qui nie la divinité de Jésus-Christ a paru il y a quatre ans ; il s'est tiré à deux cent mille exemplaires; il n'a pas été condamné; il n'a pas même été poursuivi; M. Renan n'a pas été pendu; il n'a pas été brûlė. Cette impunité, qui en d'autres temps, cette impunité, qui en ce temps-ci, mais en d'autres pays, eût révolté et blessé l'immense majorité des esprits, a-t-elle ébranlė la société? a-t-elle détruit la foi? l'a-t-elle seulement attiédie? Les églises sont-elles moins pleines en l'année 1867 qu'en l'année 1864? Les prédicateurs qui parlent au nom de Jésus ont-ils moins d'auditeurs, et des auditeurs moins assidus et moins ardents? Ne faut-il pas faire le siége des portes de

Notre-Dame dès cinq heures du matin les jours où le R. P. Hyacinthe tient ses conférences, auxquelles cependant ne sont admis presque exclusivement que les hommes? Que pense de cela M. Fernand Giraudeau, qui, niant l'évidence, persiste à croire aux dangers de la pensée imprimée?

Inutile de demander à M. Émile de Girardin ce qu'il pense; il l'a dit assez de fois, et voici la question qu'il pose :

Puisque cette même société, qui se fût crue perdue en 1546 si elle n'eût pas pendu et brûlé Étienne Dolet, a pu laisser vivre sain et libre en 1864 M. Renan, sans qu'elle s'écroulât, comment cette expérience n'a-t-elle pas suffi pour éclairer et convaincre nos gouvernements et nos législateurs qu'en matière d'opinions, comme en matière de foi, l'homme ne devait avoir d'autre tribunal que son éducation, et d'autres juges que sa raison et sa conscience?

XVI.

LE LECTEUR ET LE JOURNAL.

13 février 1868.

Seul dans le journalisme nous avons osé proclamer et revendiquer l'impunité de la presse, impunité sans laquelle la liberté de la presse ne saurait exister en droit; mais dès qu'il s'agit de la placer sous le coup d'une interdiction, d'une restriction ou d'une répression, on le voit, c'est à qui démontrera l'impuissance, l'impossibilité, l'inutilité de cette répression, de cette restriction, de cette interdiction. Messieurs nos honorables confrères qui baissez timidement les yeux devant la logique, ayez donc le courage de la regarder en face et d'appeler la liberté de la presse par son vrai nom, qui est celui-ci : l'impunité de la presse.

La liberté de la pensée est índivisible; ce qu'on a le droit

de penser, on a le droit de le dire; ce qu'on a le droit de dire, on a le droit de l'écrire; ce qu'on a le droit d'écrire, on a le droit de l'imprimer, au risque d'être justement dédaigné, au risque d'être justement méprisé, si l'on est tombé dans la calomnie, la diffamation, l'injure; au risque d'être contredit, au risque d'être aplati si l'on s'est avancé inconsidérément; au risque d'être convaincu d'ignorance, de légèreté ou d'ineptie, si l'on a commis des erreurs flagrantes ou de honteux non-sens.

Ce n'est pas à la loi et aux tribunaux à faire la police de la liberté de la pensée, de la parole, de la plume et de la presse; c'est à la science et aux mœurs. Lorsqu'un journal spécule sur le scandale, la calomnie, la diffamation, l'injure, que l'abonné ou l'acheteur ne se fasse pas l'associé du trafiquant de scandale, de calomnie, de diffamation et d'injures! Ne vous abonnez pas à ce journal si vous n'y étiez pas abonné, et si vous l'étiez, désabonnez-vous, en motivant hautement votre désabonnement. Ce n'est pas le journal qui fait le lecteur, c'est le lecteur qui fait le journal.

S'indigner contre les journaux de la lecture desquels on se délecte, savourer les journaux que l'on flétrit, c'est de l'hypocrisie, c'est presque de la complicité. Si vous criez contre eux, ne les lisez pas, et si vous les lisez, ne criez pas contre eux! Il n'y a pas à craindre que l'impunité de la presse ait pour effet le débordement de la calomnie, de la diffamation et de l'injure dans les journaux ; car aussitôt que la censure des journaux ne se fera plus par les lois, elle se fera, et bien plus sévèrement, par les mœurs. Longtemps on a débattu la question de savoir si c'étaient les mœurs qui faisaient les lois, ou si c'étaient les lois qui faisaient les mœurs. Tenez pour certain qu'au moins en matière de liberté de la presse, ce qui empêche les mœurs de se faire, ce qui les empêche de se développer, de se fortifier, de se viriliser, ce sont les lois.

XVII.

CE QUI EXISTE.

13 février 1868.

Ce que l'on qualifie de paradoxe en France, c'est ce qui existe en Suisse. Ouvrez la constitution du canton de Vaud, vous lirez :

ART. 6.

La liberté de la presse est garantie. L'exercice ne peut en être réglé, suspendu ou entravé par aucune loi. La répression de son abus rentre dans le droit commun.

Que demandons-nous? Rien de plus que ce que les Vaudois se sont donné à eux-mêmes dans leur dernière constitution. Nous demandons que l'exercice de la liberté ne puisse être réglé, suspendu ou entravé par aucune loi. Audessus de la légalité, la liberté.

XVIII.

QUOUSQUE TANDEM?

Jusqu'à quand ? C'est la question que se pose ainsi en latin the Saturday Review à l'occasion de la loi en cours de discussion au Corps législatif.

Le sentiment qu'éprouve the Saturday Review est celui qu'exprime presque toute la presse anglaise.

Triste loi que celle qui continuera de laisser la France, ce pays plus grand encore intellectuellement que territoria

lement, en arrière de l'Angleterre, de l'Autriche, de la Belgique, de la Hollande, de l'Italie et de la Suisse ! Rester ainsi dernière est une humiliation que n'a pas méritée la France.

XIX.

LE SPECTRE DE LA DIFFAMATION.

18 février 1868.

Lord Palmerston et M. Gladstone ont rendu à la presse britannique la plus éclatante justice dans deux discours que tous les journaux ont reproduits; la même justice a été rendue à la presse française par M. le duc de Persigny dans sa lettre du 17 janvier 1868, lettre dictée par le désir sincère que « la presse sérieuse et utile » ne soit pas compromise par « la presse scandaleuse et nuisible», par la basse presse.

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Si la presse française a droit aux mêmes éloges que la presse britannique, comment expliquer que le gouvernement, promoteur de la loi en cours de discussion, au lieu de traiter la presse en alliée, l'aidant à rechercher la vérité, à accélérer le progrès, à diminuer les abus, la traite en ennemie contrainte de fournir un cautionnement qui n'est demandé qu'à elle, ce qui est pousser l'exception jusqu'à l'injure?

L'explication de cette inconséquence injurieuse est dans la peur que cause la diffamation; peur irréfléchie, peur puérile, peur invétérée, contre laquelle tous les raisonnements sont impuissants, contre laquelle restent vaines toutes les démonstrations de l'évidence.

La diffamation, c'est là le grand spectre que le gouverne

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