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du juge, évidemment, s'il y avait un coupable, le moins coupable c'était l'écrivain, le plus coupable c'était le législateur, et après le législateur le juge qui avait ordonné la poursuite.

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...

Si c'est le droit commun qui est appliqué aux crimes de la presse, dans les pays où la justice a la publicité pour garantie, qu'arrivera-t-il? Il arrivera cette inconséquence, que le mal s'aggravera par sa répression, puisqu'une publicité infiniment plus grande sera donnée par la publicité de l'audience des comptes rendus de la publicité incriminée.

» Au journaliste qui aura attaqué, injurié, diffamé, calomnié, se joindra l'avocat qui attaquera, injuriera, diffamera, calomniera impunément, pour établir que le journaliste, son client, n'a point calomnié, n'a point diffamé, n'a point injurié, n'a point attaqué; qu'il n'a ni franchi les limites de la loi, ni outrepassé les bornes de la vérité. » Qu'aura gagné le diffamé à faire punir le diffamateur? Il aura gagné d'avoir été diffamé par deux au lieu de n'être diffamé que par un seul ! Il aura gagné d'avoir donné à la diffamation une plus grande étendue ou une plus grande consistance.

»De ces paroles citées, de ces paroles qui datent de 1862, quoique six années de maturité et de réflexion aient passé sur elles, je n'ai pas un mot, pas un seul mot à retrancher. Elles sont la vérité prise sur le fait; mais de cette vérité fouillée jusque dans ses entrailles quelle déduction en ai-je tirée ?

J'en ai déduit, sans reculer timidement devant lui, le principe de l'impunité de la presse.

» La crainte d'être une fois de plus taxé d'esprit absolu ne m'a point arrêté.

» C'est avec raison que M. Émile Ollivier, qui n'a jamais été mieux inspiré que dans toute cette discussion de la presse, a rappelé ces paroles d'un membre éminent du Conseil d'État :

» Ce qui nous menace, ce n'est pas l'envahissement des esprits absolus, quoi qu'on en dise, il en existe fort peu; ce qui nous menace, c'est l'envahissement des esprits inconséquents, et ceux-là pullulent.

» La preuve que les esprits inconséquents pullulent, c'est que les prétendus crimes et délits de la pensée exprimée et de la parole imprimée ne sont pas encore allés rejoindre dans la même tombe les prétendus crimes et délits punis, sous le nom d'hérésie, des peines de la potence et du bûcher. Autrefois si sacré, le pouvoir divin a-t-il donc présentement moins de droits au respect des hommes que les pouvoirs terrestres? Est-ce que le doute politique et le doute religieux ne sont pas les fils du même père, se nommant le libre examen? Ayant cessé de poursuivre et de punir les dissidences religieuses, à quel titre continue-t-on de poursuivre les dissidences politiques? En quoi celles-ci sont-elles moins légitimes que celles-là?

"

Croyez-en ma longue expérience, Monsieur! La vérité, toute la vérité en matière de presse a été dite par votre honorable collègue M. Jules Simon, lorsqu'il a terminé son discours par ces paroles, que j'emprunte aussi au Moni

teur :

» Le temps approche où toutes les fictions et toutes les barrières vont enfin disparaître, et où sera absolu le règne de la critique, qui est la véritable souveraine de la démocratie et des sociétés modernes.

» Je vote d'ici le premier pour une loi que je crois celle d'un avenir prochain, pour une loi sur la presse ainsi formulée : la pensée est libre sans restriction ni réserve.

Si j'avais l'honneur de vous compter parmi mes amis, Monsieur, je vous répéterais :

» Laissez, laissez tout dire! Laissez, laissez tout écrire! Laissez, laissez tout imprimer! Laissez, laissez-les tous se critiquer, se contredire, se réfuter les uns les autres! Gouvernement, ne vous occupez que d'une chose, d'une seule, de la vôtre! Ne vous occupez que de commettre le moins de fautes, le moins d'écarts, le moins d'excès, le moins d'abus possible!

» De tous les arguments qui aboutissent à l'impunité de la presse, l'impuissance manifeste de la loi soit à prévenir, soit à réprimer les prétendus crimes et délits de la pensée imprimée, impuissance attestée par l'histoire, n'est pas le moins concluant.

Lorsque la loi allait jusqu'à l'extrémité qu'il lui était impossible de dépasser, puisqu'elle allait jusqu'à la peine de mort, variée sous toutes les formes et étendue à de simples contraventions, qu'a-t-elle arrêté? A-t-elle empêché la pensée humaine de prendre son essor? A-t-elle empêché la critique de fendre la nue pour saisir sa proie?

» Non.

» Cessez donc d'agir en enfants auxquels la peur des fantômes donne des convulsions!

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» Ne fermez plus les yeux à l'expérience et à l'évidence! » Finissez-en avec les lieux communs, ces ennemis mortels du sens commun!

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Quand des gouvernements tombent, cherchez la vraie cause de leur chute, et ne répétez plus inconsidérément que c'est la presse qui les a renversés, car si la presse avait le pouvoir de renverser les gouvernements, elle aurait le pouvoir de briser les liens qui la garrottent, et son plein affranchissement serait le premier acte par lequel elle démontrerait sa puissance.

» Ce qui atteste précisément l'impuissance de la presse, c'est sa servitude légale.

» Comme j'ignore, Monsieur, si vous faites au journal dont je suis le journalier laborieux l'honneur de le lire avec quelque attention, vous me permettrez de vous faire remarquer que je me suis tenu à l'écart du débat sur la nature et gravité des peines, sur l'adoption du jury à l'exclusion de magistrature, sur la grave et délicate question soulevée

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par M. Berryer avec cette majesté et cette toute-puissance dont sa parole inspirée par sa conscience a le secret inaccessible; au fond de ma pensée, ce que je souhaite, je vous le confie, Monsieur, mais je ne le confie qu'à vous : ce sont les procès de presse les plus nombreux, les peines les plus exorbitantes, les condamnations les plus impitoyables et les plus multipliées, car ce moyen est le plus sûr d'arriver le plus vite à l'anéantissement par lui-même de l'arbitraire, dont vous vous glorifiez d'être le champion et dont je m'hohore d'être l'ennemi.

» Je suis,

» Monsieur,

» Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

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Ce que du haut de la tribune de l'Assemblée législative, le 13 juillet 1850, M. Léon Faucher, ancien rédacteur en chef du Courrier français, devenu ministre de l'intérieur, proclamait « impraticable» (1), est ce qui se pratique ad

(1) La proposition de M. de Girardin est impraticable. Ce n'est qu'une ma→ nière de tuer la presse et d'ajouter au DROIT AU TRAVAIL le DROIT AU COMPTE RENDU.

(LÉON FAUCHER. Assemblée législative, séance du 13 juillet 1850.) Votre douzième commission d'initiative parlementaire est d'avis que vous devez prendre en considération la proposition de M. Émile de Girardin.

(Assemblée législative, 25 juillet 1850.)

mirablement depuis 1852, et notamment depuis le décret du 24 novembre 1860.

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Les deux comptes rendus des débats législatifs, rendu sténographique et compte rendu analytique, tables modèles du genre que la presse britannique n'a pas dépassés, qu'elle n'atteint pas, ont été d'incontestables progrès, quoique des esprits mal faits prétendent encore qu'ils sont une atteinte portée à la liberté.

A la liberté, de qui?

A la liberté de quoi?

Vous avez la liberté de critiquer mes discours, de prétendre qu'ils sont incorrects, lourds, superficiels, mais vous n'avez à aucun titre la liberté de me faire dire autre chose que ce que j'ai dit, de dénaturer mon opinion ou de la tronquer.

C'était là ce que nous soutenions de 1836 à 1850! C'est là ce que nous sommes parvenu à faire prévaloir en 1852

et 1860!

En juillet 1850, les motifs que nous donnions reposaient sur cette distinction fondamentale entre la PUBLICITÉ et la POLÉMIQUE :

«La presse peut discuter toutes les opinions. C'est son droit, c'est son devoir; mais pour que la POLÉMIQUE conserve toute sa liberté, il faut que la PUBLICITÉ garde toute son impartialité.

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Que les journaux s'abstiennent de rendre compte des débats parlementaires et judiciaires, ou que leurs comptes rendus soient scrupuleusement et rigoureusement exacts! Rien n'est plus conforme au principe de liberté, car la liberté n'est que la lumière de la vérité. Faites que la PUBLICITÉ soit le miroir de toutes les opinions qui se produisent à la tribune, et la POLÉMIQUE se trouvera soumise au plus efficace et au plus certain de tous les contrôles! La fraude alors ne sera plus possible, les lois de répression deviendront inutiles.

» Qu'on le sache bien! Le correctif naturel de la polémique passionnée, ce n'est pas la répression légale, c'est la publicité im

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