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passible: tel est le but qu'il faut poursuivre et qu'on peut facilement atteindre: c'est l'idée juste, c'est l'idée simple.

» La PUBLICITÉ complète la POLÉMIQUE, elle ne la limite pas,

» Droit absolu d'exprimer votre opinion, mais interdiction expresse de mettre dans ma bouche d'autres paroles que celles que j'ai prononcées. »

Ce que nous pensions et ce que nous soutenions en 1850 et longtemps avant, nous n'avons pas cessé de le penser et de le soutenir en 1868; mais si nous sommes d'avis qu'il ne faut jamais craindre de pousser un principe jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes, attendu que si le principe est juste il n'y aura pas une seule de ses conséquences qui ne soit juste, nous pensons qu'il ne faut jamais tenter de confondre ce qui s'exclut par nature.

La PUBLICITÉ est une chose, la POLÉMIQUE est une autre chose. Ne vous efforcez jamais de réunir ce qui est distinct par essence. Ce serait en vain. Laissez-les coexister séparément, comme deux lignes parallèles se côtoyant à l'infini sans jamais se rencontrer.

Dès que la fidélité de la publicité est pleinement assurée, que ce soit par la loi, comme en France, ou par les mœurs, comme en Angleterre, ne vous occupez pas du surplus! Laissez la polémique libre, entièrement libre! Ne vous occupez pas d'elle! Ne tentez pas de la réglementer, car ce serait œuvre chimérique!

Oui, ce serait œuvre chimérique; si cette affirmation est fausse, gouvernement et majorité, prouvez-le donc en traçant la ligne de séparation entre l'appréciation légitime et l'appréciation suspecte!

Journalistes vaincus et désarmés le 2 décembre, que demandons-nous?

Nous demandons que la porte soit ouverte ou fermée. Nous demandons que, toute satisfaction ayant été préalablement donnée à la PUBLICITÉ, la POLÉMIQUE sur les orateurs

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du Sénat et du Corps législatif, sur leurs discours et leurs opinions, soit pleinement libre ou qu'elle soit alors absolument interdite.

Nous ne nous faisons aucune illusion. Nous savons que nous n'existons, ne parlons, n'écrivons, n'imprimons que grâce à la tolérance. Intellectuellement, notre condition est celle du serf corporellement dans les pays où le servage n'a pas encore été aboli. Que le Pouvoir daigne ordonner, et nous obéirons tête basse, sans répliquer, car il est le Pouvoir, et nous ne sommes plus la Liberté. Mais qu'il ordonne, comme le vainqueur ordonne à ses prisonniers de guerre; qu'il ordonne en termes précis qui ne laissent aucune place ni à l'équivoque ni au doute! Qu'il nous fasse aussi étroite qu'il lui plaira la part de tolérance qui nous sera accordée! Peu nous importe, à nous, qu'elle soit large ou étroite, grasse ou maigre! Ce ne sera point nous qui serons responsables devant l'histoire et la postérité de la liberté dont nous aurons été privés. Qu'on le sache bien! quand nous revendiquons la liberté, toute la liberté, c'est moins pour l'usage de notre plume que pour l'honneur de notre pays et de notre temps.

Il y a des optimistes qui prétendent que la liberté existe en France!

La preuve qu'elle n'existe sûrement à aucun degré, c'est que ni le gouvernement, ni le Sénat, ni le Corps législatif, ni la magistrature ne sauraient nous dire avec précision si nous avons la liberté d'exprimer le sentiment si vivement éprouvé par tous ceux qui ont entendu MM. Thiers, Émile Ollivier et Ernest Picard; la preuve qu'elle n'existe sûrement à aucun degré, c'est qu'un amendement de bon sens et de bonne foi qui aurait dû être voté sans discussion et à l'unanimité, a fait éclater des orages, et qu'il est possible que cet amendement, si simple, après deux jours de discussion, ne soit pas pris en considération par la majorité.

XXIV.

LA DÉFIANCE DE LA VÉRITÉ.

22 février 1868. ·

Peu importe que la minorité du Corps législatif vote pour ou contre la loi qui n'admet pas que la vérité suffise à la répression de l'erreur, à son extinction! Peu importe que cette loi de défiance de la vérité soit adoptée ou rejetée par la majorité! Peu importe que cette loi, en retard d'un siècle. et de trois révolutions, après avoir été admise par le Corps législatif, soit repoussée par le Sénat! L'important ne sera pas le vote de cette loi plagiaire, ramassée dans le sang versé en 1820 par la main de Louvel, et en 1835 par la main de Fieschi. L'important sera le débat éclatant et opiniâtre qu'elle a provoqué, et qui a donné la double mesure de tout le talent dont l'opposition a été prodigue et de tout le talent dont, au contraire, le gouvernement a poussé l'économie jusqu'à la parcimonie presque sordide. Jamais la liberté n'a fait paraître plus grands ses défenseurs et plus petits ses adversaires. C'est à ce point qu'entre M. Pinard et M. Jolibois, il nous a été impossible de distinguer et de reconnaître M. Rouher, une ample et mâle parole cependant ! Comment a-t-il pu se résigner à ce triste rôle de guichetier de la liberté, lorsque s'offrait à lui un rôle si différent et si séduisant !

Le 19 mars 1866, M. Rouher, ministre d'État, avait porté à la tribune cette solennelle déclaration, acquise aux annales du Corps législatif :

C'est aujourd'hui un aphorisme politique, que les moyens répressifs employés contre la presse par l'autorité judiciaire et le

jury sont des moyens souverainement impuissants pour sauvegarder le principe du gouvernement, le principe de la dynastie et les institutions du pays. Si cela est vrai, IL FAUT CHOISIR ENTRE CES DEUX THÈSES: ou la LIBERTÉ COMPLÈTE ou le POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE placé entre les mains du pouvoir exécutif.

Le 4 février 1868, quelle attitude devait prendre, quel langage devait tenir le ministre d'État, qui, après avoir déposé sa démission le 18 janvier 1867, l'avait retirée le lendemain 19?

Le seul langage qui pût racheter et effacer cette déclaration érigée en aphorisme, le seul langage que dût tenir M. Rouber, c'était celui-ci :

« La France a essayé de tous les régimes en matière de presse; elle a essayé du régime restrictif; elle essayé du régime préventif; elle a essayé du régime répressif; elle a essayé de la magistrature; elle a essayé du jury; elle a essayé des juridictions exceptionnelles telles que la Cour des pairs; elle a essayé enfin de la liberté complète, car c'est sous ce dernier régime qu'a eu lieu, sans le plus petit désordre, il est juste de le reconnaître, l'élection du 10 décembre 1848, laquelle a appelé à la présidence de la République le banni de 1815, l'exilé de 1830, l'héritier de Napoléon Ier. Puisque le dilemme est posé, puisqu'il faut opter entre ces deux thèses, entre le pouvoir discrétionnaire et la liberté complète, en cette circonstance, pas plus que lorsqu'il s'est agi, en 1851, du rétablissement du suffrage universel, et, en 1860, de l'amnistie avec ou sans restrictions, le gouvernement impérial n'a pas hésité; il s'est prononcé pour la liberté complète, pour la liberté sans restrictions et sans complications. C'est un grand exemple que la France veut et va donner à l'Europe! L'Empereur des Français ne doute pas que tous les Français ne mettent leur honneur à ce que leur pays sorte glorieusement de cette décisive épreuve; mais s'il en était autrement, si la confiance de l'Empereur était trom

pée, l'ordre matériel et la tranquillité publique n'en ressentiraient aucune atteinte grave, car il a dans les mains tous les pouvoirs et tous les moyens nécessaires pour en assurer le maintien. Votre tâche, Messieurs, sera facile, car il vous suffira de voter purement et simplement l'abrogation de toutes les lois répressives, restrictives et fiscales qui ont régi la presse jusqu'à ce jour. Ni rigueur ni faveur. Le timbre est supprimé, mais le droit de poste, 'justement rémunérateur, est maintenu. Entre les lois de 1822 et de 1835, condamnées l'une et l'autre par la révolution de 1830 et la révolution de 1848; entre ces lois et la loi rationnelle de 1868, ayant pour elle la présomption favorable des quatre mois de septembre, octobre, novembre et décembre 1848, 'l'hésitation n'était pas possible. Il a réussi à l'Empereur en 1851 et en 1852 de ne pas vouloir être la branche cadette du suffrage universel; il lui réussira également, n'en doutez point, de ne pas vouloir être la branche cadette de la liberté de la presse. Toute comparaison qui ferait paraître l'Empire plus petit ou plus timoré que les gouvernements qui l'ont précédé serait une comparaison que son origine lui interdit d'accepter.»

Ce langage n'ayant pas été celui qu'a tenu le gouvernement impérial, le beau rôle est resté à l'opposition législative, qui, elle, ne l'a pas laissé échapper. Si elle n'a pas conclu explicitement à l'impunité de la presse, elle y a conclu implicitement.

L'impunité de la presse est désormais une cause gagnée devant l'évidence.

La vérité n'a besoin ni de juges ni de jurés qui la pèsent dans leurs balances; elle suffit à elle seule à sa propre défense.

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