Images de page
PDF
ePub

admirablement dites. Un bon conseil qu'il donne est celui-ci, qui ne saurait être trop souvent répété :

Ah! laissez-moi vous le dire, vous tous gens de talent, vous avez intérêt à la publicité, à la plus grande publicité. Plus il y en aura, plus vous y trouverez votre compte. Pour le vrai mérite chez un homme public, la publicité à la longue est toujours impartiale et équitable.

Et m'autorisant plus que jamais de mon expérience d'homme de la presse et avec qui la presse sait bien qu'elle peut tout se permettre sans aucun risque, je dirai : « O vous tous qui avez du mérite, un mérite social et de nature à être apprécié de vos concitoyens, ne faites pas la guerre à la publicité. Au prix de quelques ennuis, de quelques contrariétés passagères, elle vous apportera des torrents d'air salubre, respirable, favorable au développement des facultés, des avertissements utiles, des surveillances parfois importunes, plus souvent profitables. "

On a tout dit sur la presse en bien ou en mal; on peut, dans un sens ou dans un autre, s'étendre là-dessus à l'infini : je ne ferai qu'une simple observation, qui a son à propos. La presse, messieurs, n'est pas de sa nature si ingrate qu'on se le figure et que toute cette loi (sauf le premier article) le suppose. Je demande si elle n'a jamais manqué de rendre justice à aucun de ceux des hommes constitués en autorité qui, sous ce régime préventif qui va cesser, ont usé envers elle de bons procédés, de douceur, d'urbanité et d'indulgence, et qui ont corrigé l'arbitraire, ne fût-ce que par le sourire?...

Oui ou non, ces paroles sont-elles vraies ?

Oui ou non, la publicité ne finit-elle pas toujours par être impartiale et équitable?

Demandez-le à M. Berryer!

Demandez-le à M. Thiers!

Demandez-le à M. Guizot!.

Demandez-le à M. Rouher lui-même !

Est-il un seul journal ayant le respect de ses lecteurs qui conteste à M. Rouher son incontestable talent?

S'il en est ainsi, pourquoi n'avoir pas la patience d'attendre

que la publicité, ayant commencé par être la partialité, ait fini par devenir la justice, et ait pris ainsi d'elle-même son niveau? Est-ce que le pouvoir n'a pas ses écarts et ses abus? Pourquoi la presse n'aurait-elle pas aussi les siens? Pourquoi serait-elle tenue à une perfection dont lui serait dispensé ? Que les journaux auxiliaires du pouvoir relèvent les erreurs et les exagérations des journaux qui lui sont contraires, c'est le droit! Mais le droit s'arrête là. Punir ceux que l'on a combattus, c'est l'excéder. Ce n'est plus le droit, c'est la barbarie, comme aux temps où le vainqueur ajoutait à la douleur morale des vaincus la peine physique de l'esclavage.

XXXIV.

LES PENTES IRRESISTIBLES.

2 juillet 1868.

Il y a des pentes irrésistibles! il y a des pentes fatales! Du nombre de ces pentes est celle que la loi du 11 mai 1868 a rétablie.

Ce qui est dangereux pour un gouvernement, ce ne sont pas les excès commis contre lui par la presse, ce sont les procès qu'il multiplie contre elle.

Toujours ces procès le rapetissent! toujours ces procès l'ébranlent! C'est ce qu'atteste l'expérience d'un siècle. Vaine expérience! Que fait le second Empire? Il verse dans l'ornière creusée par la Restauration de 1815 et par la Royauté de 1830; il fait ce qu'à deux époques tous les bonapartistes étaient unanimes à blâmer et à trouver stupide. Avaient-ils tort?

Ah! si notre doctrine de l'impunité de la presse eût pré

valu, moins que le gouvernement le journalisme en eût profité, car sur la pente tracée par la loi du 11 mai 1868 le gouvernement ne s'arrêtera pas, il ne pourra pas s'arrèter. Plus il aura fait de procès de presse, plus il en fera.

LA LOI DU 31 MAI 1868.

Les hommes non armés ont le droit de se réunir en tel nombre qu'ils veulent pour communiquer leurs lumières, leurs vœux et leurs titres; les empêcher, c'est attaquer les droits de l'homme. MIRABEAU.

As one of our great political safety valves. Je regarde la liberté de réunion comme une de nos grandes soupapes de sûreté en politique.

DISRAELI. Août 1865.

12 mars 1868.

Aujourd'hui jeudi 12 mars 1868, vingt ans après la révolution du 24 février 1848, faite en revendication du droit de réunion, est inscrite à l'ordre du jour du Corps législatif la discussion du projet de loi sur les réunions publiques, ce qui signifie qu'après quatre révolutions: la révolution de 1789, la révolution de 1830, la révolution de 1848 et la révolution de 1851, les Français ne sont pas encore en possession de la liberté de se réunir, liberté dont jouissent pleinement les Allemands, les Américains, les Anglais, les Belges, les Hollandais, les Italiens et les Suisses.

Cette liberté, le nouveau projet de loi ne la leur donne pas, car son premier article a expressément pour objet d'interdire, à moins d'autorisation préalable, la discussion des matières politiques ou religieuses.

Or, qu'est-ce que la liberté de réunion lorsque n'existe pas la liberté de dire ce que l'on pense et ce que l'on croit utile de faire entendre?

M. Disraeli, le chef actuel du cabinet britannique, a dit de la liberté de réunion que c'était « une des grandes soupapes de sûreté EN POLITIQUE ».

En s'exprimant ainsi, il a parlé en véritable ingénieur de cette science nouvelle qui sera à la politique telle qu'elle fut ce que l'astronomie est à l'astrologie.

Que faut-il penser de la France privée de la liberté de réunion?

Il faut en penser ce qu'on penserait d'un chemin de fer sur lequel les locomotives appliquées à la traction n'auraient pas de soupapes de sûreté.

Quand donc, en France, les conducteurs de la locomotive gouvernementale comprendront-ils que ce sont eux qui sont les véritables auteurs des explosions nommées révolutions! De la liberté de la presse on peut dire que, même dans les pays où elle est le plus entière, c'est une liberté dont l'usage est essentiellement le privilège d'un petit nombre, car est journaliste qui peut, mais n'est pas journaliste qui veut; par sa nature, la liberté de la presse sera toujours une liberté restreinte, aristocratique, exceptionnelle, tandis qu'il n'en est pas ainsi de la liberté de réunion et de la liberté d'association; libertés à l'usage de tous, libertés démocratiques, libertés essentiellement générales et sans lesquelles il est impossible à aucun grand progrès, à aucune réforme profonde de s'accomplir.

En effet, sans la liberté de réunion et sans la liberté d'association, ou l'abolition de la législation sur les céréales et le triomphe du libre échange n'eussent pas eu lieu en Angleterre, ou ils n'y eussent prévalu qu'au prix d'une révolution terrible. C'est la liberté de réunion, c'est la liberté d'association, personnifiées par Richard Cobden et par John Bright, qui ont vaincu Robert Peel en 1846, et empêché en 1848 que la révolution qui venait d'éclater en France et à Paris le 24 février éclatât en Angleterre et à Londres, comme elle a éclaté, en Allemagne, à Berlin et à Vienne.

Ces deux libertés préservatrices ont agi relativement à la révolution comme agit le vaccin relativement à la variole. Quand nous interdisons en France la liberté de réunion et la liberté d'association, nous agissons absolument de même politiquement, que si médicalement nous prohibions

« PrécédentContinuer »