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à la fois centralisé et personnel, est tenu à être un grand gouvernement.

C'est la loi de son existence.

Les longs discours des discoureurs, qui trop souvent parlent pour ne rien dire, sont l'abus inhérent à toutes les assemblées où il y a une tribune et des auditeurs. Cet abus, ce sera l'usage qui le détruira. Toute liberté non réglementée ne tarde pas à creuser son lit et à régler elle-mème son cours: Ayons la patience d'attendre qu'il en soit ainsi! Dès que les réunions auront formé un nombre suffisant d'orateurs exprimant avec concision et autorité leur pensée, ces réunions ne tarderont pas à devenir impitoyables pour les bavards, d'autant plus longs qu'ils ont moins à dire. La liberté ne s'apprend pas sans apprentissage.

LA RÉVOLUTION DU 19 SEPTEMBRE 1868.

La grande difficulté des révolutions est d'éviter la confusion dans les idées populaires.

Une erreur fatale est de croire qu'il suffise d'une déclaration de principes pour constituer un nouvel ordre de choses.

Après une révolution, l'essentiel n'est pas de faire une constitution, mais d'adopter un système qui, basé sur les principes populaires, possède toute la force nécessaire pour fonder et établir, et qui, tout en surmontant les difficultés du moment, ait en lui cette flexibilité qui permette de se plier aux circonstances. D'ailleurs, après une lutte, une constitution peut-elle se garantir des passions réactionnaires? Et quel danger n'y a-t-il pas à traduire en principes généraux des exigences transitoires?

L. N. BONAPARTE, t. Ier, p. 211.

I.

L'AMENDEMENT GRÉVY EN ESPAGNE.

22 septembre 1868.

Le 7 octobre 1848, l'Assemblée nationale commettait l'immense faute de rejeter à la majorité de 643 voix contre 158 voix, l'amendement Grévy, lequel était conçu en ces termes, qu'on ne saurait trop souvent rappeler :

L'Assemblée nationale délégue le pouvoir exécutif à un citoyen. qui reçoit le titre de président du conseil des ministres.

Le président doit être né Français, âgé de trente ans au moins, et n'avoir jamais perdu la qualité de Français.

Le président du conseil des ministres est nommé par l'Assemblée nationale, au scrutin secret et à la majorité absolue des suffrages.

Le président du conseil des ministres est élu pour un temps illimité; il est toujours révocable.

Si l'amendement Grévy, au lieu d'être rejeté, eût été votė, la France eût joui de tous les avantages du gouvernement

constitutionnel, moins la superfétation de la Royauté, moins la superfétation de la Présidence de la République. C'eût été le gouvernement de tous par tous réduit sinon à son expression la plus simple, du moins à son expression très-simplifiée.

Si l'insurrection prend en Espagne le caractère d'une révolution, et si cette révolution proclame la déchéance de la reine Isabelle et de ses descendants, que les chefs victotorieux de cette révolution ne versent pas dans l'ornière où versa si aveuglément la révolution de 1854 (1)! Qu'ils profitent de l'expérience acquise! Qu'ils ne tombent pas dans la faute commise par la France en 1848! Qu'ils ne nomment pas un gouvernement provisoire nécessairement condamné à l'impuissance et à l'arbitraire! Qu'ils ne perdent pas leur temps à faire élire une assemblée constituante, laquelle perdrait son temps à rédiger et à débattre une Constitution qui, à peine votée, risquerait d'avoir le sort de la Constitution française du 4 novembre 1848! Qu'ils se bornent purement et simplement à supprimer du rouage gouvernemental la poulie qui se nomme Royauté! Qu'ils réunissent immédiatement les Cortès telles qu'elles existent, et que les Cortès nomment au scrutin secret et à la majorité des suffrages « le Président du Conseil des ministres ÉLU POUR UN TEMPS ILLIMITÉ, mais TOUJOURS RÉVOCABLE » !

Ce sera l'adoption judicieuse par l'Espagne de l'amendement Grévy, inconsidérément rejeté par la France.

Cette adoption aurait pour l'Espagne l'immense avantage d'écarter d'un seul coup:

Toutes les difficultés que présenterait la composition d'un conseil de régence ou l'établissement d'une régence avec le prince des Asturies succédant à sa mère, expulsée, la reine Isabelle;

(1) QUESTIONS DE MON TEMPS, tome VIII, p. 849 Voir L'ORNIÈRE DES RÉVOLUTIONS.

Toutes les difficultés qui surgiraient de l'établissement d'une nouvelle royauté faisant succéder à Marie-Isabelle II sa sœur Marie-Louise, duchesse de Montpensier, et au roi nominal François d'Assise le roi nominal Antoine-MariePhilippe-Louis d'Orléans, duc de Montpensier;

Toutes les difficultés qui naîtraient du remplacement de la Monarchie par la République et de la nomination d'un président;

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Toutes les difficultés que rencontrerait des deux parts, — du côté du Portugal aussi bien que de l'Espagne, — la réalisation de l'Union ibérique, fusion des deux royaumes en un seul royaume, avec Louis Ier pour roi ;

Toutes les difficultés auxquelles pourraient donner lieu les prétentions du duc de Madrid, neveu du roi Ferdinand VII;

Enfin toutes les difficultés que commencerait par soulever la question de savoir en vertu de quel principe électoral sera élue l'Assemblée constituante. Sera-ce en vertu du suffrage universel? sera-ce en vertu du suffrage restreint et du cens actuel?

Telle qu'elle a été amendée en 1857, la Constitution espagnole de 1845 consacre la liberté de la presse, le droit de pétition, l'égalité devant la loi, la sécurité personnelle, l'inviolabilité du domicile, les garanties de la justice et l'institution du jury. C'est assez pour qu'il soit facile de l'améliorer et de la compléter promptement au moyen de lois votées par les Cortès, lesquelles Cortès se composent présentement de deux assemblées, comme en Angleterre et en Belgique. Le Sénat comprend de droit les grands d'Espagne possédant un certain revenu, les archevêques, évêques, capitaines gėnėraux de terre et de mer et présidents des cours suprêmes; il comprend de plus les membres choisis dans certaines catégories déterminées par la loi. Cette catégorie de sénateurs est nommée à vie, tandis que les grands possèdent hėrėdi

tairement la dignité sénatoriale. La Chambre des députés se compose de 349 membres, élus directement pour cinq ans. Pour être électeur, il suffit de payer 100 fr. d'impôt direct, ou la moitié si l'on figure sur la liste des capacités; pour être éligible, il suffit de payer 250 francs d'impôt direct, ou justifier d'un revenu de 3,000 francs provenant de biens propres. Les Cortès ont le droit d'initiative.

En vertu de ce droit d'initiative-avant que les divisions aient eu le temps de se glisser entre les chefs de l'insurrection victorieuse, faire voter d'urgence toutes les grandes mesures nécessaires, à commencer par l'amendement Grévy: voilà ce qu'enseignent et ce que prescrivent l'expérience, au nom du passé, et la prévoyance, au nom de l'avenir.

II.

UN FUNESTE CONSEIL.

2 octobre 1868.

Le conseil que le Journal des Débats se hâte de donner à la révolution espagnole, c'est d'organiser un gouvernement provisoire et de convoquer au plus tôt des Cortès constituantes.

Tel n'est pas notre avis.

En temps de révolution, les minutes sont des semaines, et les semaines sont des années.

On l'a vu en France en 1848.

Est-ce que le gouvernement provisoire a empêché la journée du 15 mai?

Est-ce que l'Assemblée constituante a empêché les journées des 22, 23, 24 et 25 juin, terminées par la mise en état de siége de Paris, la transportation sans jugement de neuf mille

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