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la liberté d'aller déposer une couronne d'immortelles sur la tombe de Manin, de faire une conférence purement littéraire ou de siffler une inconvenance théâtrale.

La prospérité! La France l'a-t-elle? Non; elle ne l'a pas : la grève du milliard et les souffrances d'Amiens, de Lille, de Roubaix, de Lyon, etc., sont là pour l'attester.

La gloire! La France l'a-t-elle ? Non, elle ne l'a pas, car en 1866 elle n'a su ni maintenir l'équilibre qui faisait d'elle la première puissance territoriale après la Russie, ni le rétablir après la bataille de Sadowa et la chute de la Confédération germanique.

Si la guerre entre la France et l'Allemagne est logiquement inévitable, si elle est fatale, si elle doit s'allumer même contre le désir et la volonté de l'empereur des Français, du roi de Prusse, de M. Rouher et de M. de Bismark, alors elle est imminente et ne tardera pas à embraser l'Europe.

Si la guerre est imminente, la loi que défendent MM. Niel, Rouber et Gressier n'était évidemment pas la loi qu'il fallait présenter. Au lieu de fortifier l'armée, cette loi l'affaiblit. Dès que le gouvernement impérial ne se contentait pas la loi de 1832, dès qu'il ne la trouvait pas suffisante, quel but devait-il se proposer?

Un seul.

A tout prix gagner la première bataille.

Pour la gagner que

faut-il?

Devant l'ennemi, tous soldats français aguerris.
Derrière eux, l'élan national que donne la liberté.

de

II.

L'ENNEMI.

2 janvier 1868.

« L'ennemi contre lequel il faut être prêt; l'ennemi contre lequel pour être prêt il faut que les soldats soient désignés à l'avance; l'ennemi contre lequel pour être prêt il faut se mettre à l'œuvre; l'ennemi contre lequel il faut toujours être prêt; l'ennemi contre lequel il faut être prêt aujourd'hui; l'ennemi contre lequel on aura rarement vu l'armée française dans une meilleure position et répondant mieux à la confiance que tout le monde peut avoir », c'est M. le maréchal Niel qui l'a déclaré, car ce sont ses expressions que nous reproduisons ici (1); cet ennemi quel est-il?

Ce n'est pas l'Angleterre, car, désabusée par Richard Cobden et Robert Peel, elle ne vise plus qu'à être et qu'à rester « le grand empire maritime »; les petites querelles européennes d'États mitoyens ont cessé de l'intéresser. Sur ce point, cabinet whig et cabinet tory, lord Russell et lord Derby, M. Gladstone et M. Disraeli sont d'accord.

Ce n'est pas la Russie, car elle a tout intérêt à gagner le plus de temps possible, puisque sa population augmente considérablement chaque année, et que chaque année qui s'écoule en paix permet à l'empire des czars d'étendre son réseau de chemins de fer, qui sera l'immensité de l'étendue territoriale multipliée par la rapidité du parcours équivalant à la suppression des distances.

Ce n'est pas l'Autriche, car si elle a un espoir de prendre

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sa revanche contre la Prusse, cet espoir, elle ne peut le puiser que dans' un triomphe de la France.

Ce n'est pas l'Italie, car entre elle et nous le combat serait par trop inégal.

Ce n'est pas l'Espagne, car il y a longtemps qu'elle ne compte plus parmi les États dont l'agression soit à redouter. Il n'y a donc qu'une seule puissance en Europe à laquelle, en France, dans la bouche d'un ministre de la guerre, puisse s'appliquer ce mot : l'Ennemi.

Cette puissance, c'est l'Allemagne militarisée aux mains du gouvernement prussien.

Pas plus en Prusse qu'en France, personne ne s'y trompe, malgré les discours pacifiques échangés au palais des Tuileries le 31 décembre 1867 entre S. M. l'empereur Napoléon III et S. Exc. le comte de Goltz, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Confédération de l'Allemagne du Nord.

A tort ou à raison, l'ennemi de la France en janvier 1868, c'est la Prusse ayant l'Allemagne sous son commandement militaire et lui commandant comme un colonel à son régiment.

Loin de le nier vainement, loin de le dissimuler hypocritement, notre avis est qu'il est à la fois plus digne et plus prudent de l'avouer franchement et de le proclamer hautement, en prenant l'Europe pour juge et en lui disant :

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<< Vous le voyez ! l'anxiété et le marasme sont partout, » même en Angleterre. La situation actuelle ne saurait être >> une situation durable. L'ancien équilibre européen a été détruit; il faut qu'un nouvel ordre européen le remplace, » soit par un congrès qui rende la guerre inutile, soit par une guerre qui rende le congrès inévitable. Il n'y a pas de » troisième alternative. La France n'a contre l'unité géographique de l'Allemagne aucune objection, à la condition » que l'Allemagne n'aura, de son côté, aucune objection

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» contre l'unité géographique de la France. La nature a pris » soin de tracer elle-même la ligne de démarcation entre ces » deux grandes unités, entre ces deux grandes agglomérations >> se faisant contre-poids et complément l'une à l'autre. » Aussi longtemps que la France ne sera pas rentrée dans » ses limites de 1801, l'Europe, qui l'en a dépouillée en 1815, » sera toujours troublée, et ce trouble se traduira par des » armements de plus en plus excessifs et de plus en plus » ruineux. Ce sera la misère, ce sera la ruine, ce sera la » révolution. L'Europe tout entière est donc directement in» téressée à ce que la France reçoive la juste compensation

qui lui est absolument nécessaire, et qu'elle est fermement » résolue à demander à la victoire, si l'équité ne la lui donne » pas. »

C'est en d'autres termes ce qu'a dit M. le maréchal ministre de la guerre lorsque dans la séance du 31 décembre 1867 il a laissé tomber du haut de la tribune.du Corps législatif, ces paroles profondément vraies et qui méritent d'être relevées :

Quand je vois l'Europe transformée en une sorte de camp armé et qui se ruine pour s'armer, je me dis que cela ne peut pas durer longtemps. (Très-bien ! très-bien!) Il en est parmi nous qui croient qu'un pareil état de choses ne peut finir que par la guerre. Je ne sais pas si cela finira par la guerre; mais je suis convaincu que, dans tous les cas, cela finira par la paix, qu'on se fatiguera de cette situation.

M. le maréchal Niel a raison :

On se fatiguera de cette situation; cela ne peut pas durer longlemps.

Non, cela ne peut pas durer longtemps.

III.

LES PRÉPARATIFS MILITAIRES DE LA PRUSSE.

9 janvier 1868.

La France activant ses préparatifs militaires, il est tout simple que la Prusse active également les siens; mais quand on aura mis ainsi le feu sous la poudrière, faudra-t-il s'étonner qu'elle éclate? Si vis bellum, para bellum.

En recevant le comte de Goltz comme représentant de la Confédération du Nord, la France a non-seulement reconnu cette dernière, mais encore sa constitution, dont l'article 79 traite de l'entrée éventuelle des États du Sud dans la Prusse agrandie; donc il serait devenu impossible au gouvernement impérial de considérer comme un casus belli l'achèvement de l'unité allemande. » Ainsi argumente un journal de Berlin, la Poste. Aussi ne sera-ce pas sur l'unité allemande que se posera le casus belli; il se posera sur l'impossibilité de maintenir plus longtemps l'état actuel de l'Europe. Cet état d'incertitude, d'inquiétude, de langueur, de souffrance, de misère étant le fait de la Prusse, il lui en sera demandé compte, ce sera justice.

La guerre, toujours sur le point d'éclater, est aussi mortelle aux populations dont elle arrête le développement, qu'aux questions dont elle paralyse l'essor. La politique du morcellement territorial et du faux équilibre continental, cette politique caduque qui ne comprend l'avenir qu'à l'image du passé, est le tombeau de toutes les grandes

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