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« les plébiscites qui ont fondé l'Empire » n'eussent jamais vu le jour si l'Élu du 10 décembre 1848, qui aura pour juges l'histoire et la postérité, eût scrupuleusement respecté le serment qu'il avait solennellement prêté « en présence de Dieu et devant le peuple français, représenté par l'Assemblée nationale, de rester fidèle à la République démocratique, une et indivisible, et de remplir tous les devoirs imposés par la Constitution. » M. Garcin fait passer l'effet avant la cause; c'est ce qui, logiquement, ne saurait avoir lieu. Toujours et partout la cause précède l'effet.

Oui ou non, « les plébiscites qui ont fondé l'Empire » ontils eu pour cause le coup d'État du 2 décembre? L'ont-ils précédé ou l'ont-ils suivi? N'est-ce pas lui qui les a engendrés? Si la République décennale (plébiscite du 20 décembre 1851), si l'Empire héréditaire (plébiscite du 21 novembre 1852) étaient réellement ce que voulait le peuple français souverain, c'est-à-dire libre car sans liberté pas de souveraineté, -comment M. Garcin explique-t-il que le premier acte de l'auteur du coup d'État du 2 décembre ait été de supprimer la liberté de la presse, d'établir la censure et d'interdire la liberté de réunion et d'association? Est-ce ainsi qu'avaient procédé les auteurs de la révolution du 24 février? Leur premier acte, au contraire, n'avait-il pas été d'abroger toutes les lois qui faisaient obstacle à la liberté de la presse, à la liberté de réunion, à la liberté d'association?

Oui ou non, le 20 décembre 1851 et le 21 novembre 1852, le peuple français était-il en possession de ce qui constitue essentiellement, nécessairement la souveraineté ?

Etait-il libre?

Avait-il la liberté de la presse?

Avait-il la liberté de réunion?

Si les auteurs de la révolution du 18 septembre 1868 qui vient d'éclater en Espagne, au lieu de vouloir le rétablissement de la forme monarchique, voulaient l'établissement de

la forme républicaine, et que, pour le rendre plus certain, ils privassent le peuple espagnol de la liberté de la presse et de la liberté de réunion, qu'en penserait et qu'en dirait M. Garcin? Qu'en penseraient et qu'en diraient tous ceux qui nourrissent dans leur cœur l'espérance, les uns de voir le duc de Montpensier monter sur le trône de sa belle-sœur, les autres de voir le duc de Madrid régner sous le nom de Charles VII? Ne penseraient-ils pas, ne diraient-ils pas, ne seraient-ils pas fondés à penser et à dire que le peuple espagnol, n'ayant pas agi dans la plénitude de sa liberté, n'a pas agi dans l'exercice de sa souveraineté?

XV.

L'ESSENCE DE LA SOUVERAINETÉ.

28 octobre 1868.

« L'essence de la souveraineté, c'est de ne pas être enchaînée et rivée à ses résolutions, c'est d'avoir aujourd'hui une volonté différente de celle d'hier. Supposer que la souveraineté est immuable et ne saurait changer ses résolutions, c'est nier cette souveraineté, c'est en concevoir l'idée la plus inexacte. Telle est l'opinion du journal la France, tel est l'avis de son docte rédacteur, M. Garcin.

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Cet avis est parfaitement conforme à celui qui se trouve consigné en ces termes, chapitre XXV, VISITE AU FORT DE HAM, dans le volume de M. Louis Blanc, intitulé: RÉVÉLATIONS HISTORIQUES :

Aussi longtemps que l'entretien porta sur la politique de LouisPhilippe, nous fumes d'accord; mais aussitôt que la question de l'avenir fut posée, le dissentiment éclata.

Comme Louis-Bonaparte se proclamait un sincère démocrate et déclarait reconnaître le principe de la souveraineté du peuple : Mais comment, lui demandai-je, entendez-vous l'application de ce principe?

Il répondit sans hésiter :

- Par le suffrage universel.

Jamais, repris-je, le suffrage universel n'a eu de plus chaud partisan que moi, en principe; mais il faut avoir le regard constamment tourné vers le résultat. Vous n'ignorez pas combien, en France, l'ignorance est grande parmi les paysans, et que beaucoup ne savent même pas lire. D'autre part, que d'hommes du peuple, dans l'ordre social actuel, dépendent d'autrui pour leur pain quotidien et celui de leurs familles !

Voulez-vous dire qu'il n'y a pas à tenir compte de la volontė de la nation, et que vous avez le droit, si vous en avez le pouvoir, d'imposer vos convictions politiques à une majorité qui les repousserait?

Je ne dis pas cela; mais mon opinion est que le suffrage universel ne doit pas être un pistolet chargé dans les mains d'un enfant. La souveraineté du peuple n'implique en aucune façon l'abdication intellectuelle de ceux qui sont en état d'imprimer à la volonté publique, soit par leurs écrits, soit par leurs discours, une impulsion généreuse et éclairée. C'est le droit de tout honnête homme, et c'est un devoir de chercher à attirer la majorité à lui et de s'opposer à ce qu'on se serve du peuple lui-même pour l'opprimer.

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- Il ne suffit donc pas de proclamer théoriquement la souveraineté du peuple, il faut savoir où l'on veut aller en la proclamant, et de quel côté on contribuera, dans la mesure de ses forces, à la faire pencher; il faut avoir un Credo politique.

Mon Credo, dit Louis Bonaparte après un instant de silence, c'est l'Empire. L'Empire n'a-t-il pas élevé la France au sommet de la grandeur? Ne lui a-t-il pas rendu l'ordre? ne lui a-t-il pas donné la gloire? Pour moi, je suis convaincu que la volonté de la nation, c'est l'Empire.

- Mais l'Empire, c'est le principe héréditaire.

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Et comment concilier avec le principe héréditaire celui de la souveraineté du peuple? Il y a contradiction dans les termes mêmes :

le second est la négation du premier. La volonté d'un peuple peut changer, et il est conforme à la nature des choses qu'elle change, tandis que le pouvoir héréditaire est, par essence, immuable. Il est absurde que la volonté nationale d'aujourd'hui soit appelée à accumuler d'avance la volonté nationale de demain, et que le peuple renonce à la souveraineté par un acte de la souveraineté. Comment la génération présente pourrait-elle légitimement confisquer, par la déclaration d'hérédité, le droit de toutes les générations à venir?

Cet entretien historique m'a paru utile à mettre sous les yeux du peuple espagnol au moment décisif où il va être appelé soit directement, soit indirectement, à se prononcer sur les institutions monarchiques vers le choix desquelles le pousse le gouvernement provisoire dans son manifeste publié à Madrid.

XVI.

L'ERREUR DES GOUVERNEMENTS PROVISOIRES.

30 octobre 1868.

La question que le pronunciamiento de la flotte de Cadix, commandée par le brigadier de marine Topete, a mise à l'ordre du jour de la discussion à Madrid et à Paris, est la question la plus sérieuse qu'un journal politique sérieux puisse débattre, mais à la condition de le faire sérieusement et loyalement. C'est ce que fait le rédacteur en chef du Constitutionnel, M. Henri Baudrillart, dont les interpellations exigent une réponse dans l'ordre qu'il leur a assigné : La première est celle-ci :

Lorsqu'on a le respect de la liberté, est-ce être conséquent que de vouloir disposer de la forme du gouvernement sans consulter la nation?

Les interpellations précises font les réponses nettes.
Ma règle de conduite se résume dans ces deux mots :
Rien à demi.

Je comprends très-bien que l'on ait pour principe de ne jamais ourdir aucune révolution : ce principe est le mien; mais ce que je ne comprends pas, c'est que, tramant et faisant une révolution, on la trame et la fasse à moitié.

Je le déclare, si le 24 février 1848 j'eusse appartenu à l'école révolutionnaire du National et de la Réforme; si j'eusse été dans les rangs de M. Armand Marrast et de M. Ledru-Rollin; si j'eusse siégé avec eux à l'Hôtel de ville, je ne me serais pas inconsidérément arrêté dans la voie où ils étaient entrés en prenant sur eux la responsabilité de proclamer la République et de décréter le suffrage universel; alors j'aurais voulu aller jusqu'au bout; alors je leur aurais : « Ne scindez pas votre tâche ou ne faites aucun acte » de pouvoir constituant, ou alors constituez tout! Pourquoi >> une Assemblée constituante? Si vous jugez qu'une consti"tution soit nécessaire, faites-la vous-mêmes! vous la ferez

dit

"

plus vite et mieux en puisant vos inspirations dans la rẻ»volution de la veille et les nécessités du lendemain que ne » le fera une assemblée délibérante de sept cents membres ! » Elle mettra six mois à élaborer un projet qui, le jour de » son adoption, ne correspondra déjà plus à la pensée pri» mitive et n'en sera que la traduction infidèle. Soyez la » dictature, ne soyez pas l'arbitraire! Que tous vos actes » soient marqués au sceau de la grandeur! Qu'aucun ne soit » petit! Qu'ils découlent tous, sans une seule exception, d'un » principe unique la liberté! En la prenant pour guide, » vous êtes assurés de ne jamais vous égarer, puisque tous » vos efforts devront converger et se borner au renversement » de ce qui faisait obstacle à sa plénitude et à sa maturité. » Le suffrage universel, c'est la liberté du vote; décrétez-la! » Rien de plus juste; mais au lendemain d'une révolution.

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