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>> ne demandez au suffrage universel que ce qu'il peut faire >> en connaissance de cause! Demandez-lui sans aucun re» tard d'élire l'éligible qu'il jugera le plus digne d'être le dépositaire et la personnification de la souveraineté nationale, car ce qu'il y a alors de plus urgent à rétablir, >> c'est l'unité de pouvoir. Ensuite, s'il y a lieu d'élire une » Assemblée législative (ce qui sera une question à exami» ner, à débattre, à résoudre), le suffrage universel l'élira, » mais simplement à titre de rouage du mécanisme nouveau. » Elle n'aura ni le nom ni les attributions d'Assemblée con»stituante. Si vous ne voulez pas finir par tomber dans l'impuisssance, ne commencez pas par tomber dans l'incon» séquence! Vous êtes la Révolution; soyez la Révolution jusqu'au jour où vous aurez accompli son œuvre, toute

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» son œuvre ! »>

L'erreur, la grande erreur, la profonde erreur des chefs de la révolution de 1848, en France, a été de prendre le titre faux de gouvernement provisoire, au lieu de prendre le titre vrai de gouvernement constituant. C'est la même erreur dans laquelle viennent de tomber les chefs de la révolution de 1868 en Espagne, erreur impardonnable de leur part, car ils avaient un exemple dans le pouvoir constituant que n'avait pas hésité à s'attribuer hautement l'auteur du coup d'État du 2 décembre 1851. Qu'est-ce que les membres du gouvernement provisoire de 1848, ayant institué la République et le suffrage universel, décrété la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté d'association, l'abolition de l'esclavage, etc., etc., avaient laissé à faire à l'Assemblée constituante convoquée par eux? Ce qui était fondamental, ce qui était essentiel, ne l'avaient-ils pas fait avant qu'elle fût élue? Pourquoi donc alors donner le nom de Constituante à une assemblée à laquelle il ne restait rien à constituer? Qu'auront à constituer en Espagne les Cortès constituantes? Comment sauront-elles quelle est la forme

de gouvernement véritablement préférée par les Espagnols? Comment le sauront-ils eux-mêmes? Est-ce donc chose si facile à discerner et à déclarer? S'il est vrai qu'il y ait monarchies et monarchies, républiques et républiques, la question se posera-t-elle entre une monarchie constitutionnelle nettement définie et une république fédérale non moins nettement définie, et respectant scrupuleusement son titre l'indique - toutes les autonomies provinciales, toutes les libertés communales?

Le lendemain de la révolution qui a renversé un trône et une dynastie, qui dit logique dit République et qui dit Monarchie dit inconséquence; car il n'est au pouvoir d'aucune dynastie de donner à une nation plus de garanties que la dynastie renversée. Est-ce que l'inconnu n'est pas ce qui caractérise essentiellement l'hérédité? Qui sait, qui peut savoir ce que sera et comment gouvernera l'héritier d'un trône le jour où la couronne lui sera posée sur la tête et le sceptre placé entre les mains? L'exemple de « l'innocente Isabelle » est là pour l'attester.

Le maintien d'une monarchie découlant du droit divin peut s'expliquer historiquement; le rétablissement d'une monarchie découlant du droit populaire ne saurait s'expliquer logiquement.

La seconde interpellation que m'adresse M. Baudrillart est la suivante :

Est-ce que Mirabeau et Sieyès, les deux hommes qui avaient le plus la capacité souveraine, n'ont pas échoué à l'œuvre d'organisateurs? Est-ce qu'il appartient à un individu de faire accepter, si supérieur, si puissant qu'il soit, une constitution politique de toutes pièces?

Je réponds :

Si Mirabeau, et plus particulièrement Sieyès, ont échoué,

c'est qu'ils avaient puisé dans la lecture du Contrat social de J.-J. Rousseau les notions les plus fausses sur la souveraineté du peuple. Ce livre, où l'erreur se mêle si habilement à la vérité qu'il est difficile de distinguer l'une de l'autre, a exercé et exerce encore une influence funeste. Pour les penseurs qui vont au fond des choses et qui ne se laissent pas duper par l'imposture des mots, la question n'est plus, la question n'est pas de remplacer la domination d'un seul, dite le droit divin, par la domination de tous, dite le droit populaire; la question, c'est de mettre fin à toutes les dominations quels qu'en soient l'origine et le nom; la question, c'est de tracer entre la liberté et le pouvoir une ligne que la nature des choses rende infranchissable.

Ainsi réduit à ces termes, le problème à résoudre est ce qu'il y a de plus facile, et le mécanisme à imaginer ce qu'il y a de plus simple, puisqu'il ne s'agit plus que de rendre inviolable la liberté de tous et de chacun dans son acception la plus étendue. Pour cela point n'est besoin d'une «< constitution politique de toutes pièces »; point n'est besoin d'un inventeur de génie; il suffit d'un simplificateur de bon sens. L'écueil, c'est l'ingénieux et le compliqué; rien de compliqué, rien d'ingénieux. La meilleure constitution serait celle qui se bornerait à cette déclaration sommaire :

La liberté étant la loi naturelle de l'homme, il n'y pourra être porté atteinte par aucune loi positive. Sont abrogées de droit et de fait toutes les lois existantes qui la restreignent ou la violent.

La chose publique est administrée par UN, sous le contrôle de Tous.

Que gagnerait cette constitution à être votée par une Assemblée constituante? Quelle Assemblée constituante se résignerait à voter une constitution à la fois si simple et si puissante?

La troisième interpellation de M. Baudrillart est conçue

en ces termes :

Est-ce que le mécanisme de M. Grévy aurait eu la vertu miraculeuse de faire par lui-même une France républicaine? Est-ce que les divisions qui se sont montrées dans l'Assemblée législative n'auraient pas éclaté même avec l'amendement Grévy, et surtout avec cet amendement? Est-ce que les partis, ayant la carrière libre et l'espoir devant eux, ne se comptaient pas tous les jours? Est-ce qu'il n'y avait pas des légitimistes, des orléanistes? Est-ce qu'il n'y avait pas un parti napoléonien? Est-ce que les cadres de la guerre civile n'étaient pas prêts?

Je réponds :

Mon opinion est que le mécanisme Grévy, quoiqu'il ne fût pas encore le plus simple qu'on pût adopter, eût suffi en très-peu de temps pour substituer à jamais en France la forme républicaine à la forme monarchique; mais, en admettant que je m'abuse, est-ce que la constitution du 4 novembre 1848, est-ce que la constitution du 14 janvier 1852 ont eu « la vertu miraculeuse » d'effacer les divisions politiques et d'anéantir les anciens partis? Est-ce qu'il n'y plus ni légitimistes, ni orléanistes, ni républicains formalistes, ni républicains socialistes? Si la constitution du 4 novembre 1848 a eu pour effet de dissoudre « les cadres toujours prêts de la guerre civile », comment alors M. Baudrillart explique-t-il et justifie-t-il le coup d'État du 2 dėcembre 1851, invoquant le salut public pour excuse?

Je veux faire beau jeu à M. Baudrillart. Il prétend que ce qui a renversé la République de 1848, « c'est le besoin d'un pouvoir respecté qu'avait une grande partie de la bourgeoisie, et le culte qu'avait le peuple pour le nom de Napoléon ». Soit! mais alors pourquoi l'Élu du 10 décembre 1848 n'a-t-il pas patiemment attendu que la bourgeoisie et le peuple le renommassent en mai 1852, à l'expiration de son mandat? Mais si l'opinion presque unanime était pour

l'Empire contre la République, pour le pouvoir héréditaire contre le pouvoir électif, pourquoi n'avoir pas posé tout de suite la question de l'Empire héréditaire le 2 décembre 1851, et avoir supprimé la liberté de la presse, la liberté de réunion, la liberté d'association, toutes les garanties publiques et toutes les garanties individuelles? Est-ce que la souveraineté peut exister et s'exercer sans la liberté? Est-ce qu'un peuple qui n'est pas libre est souverain?

en

Si toujours et partout les gouvernements provisoires, Espagne aussi bien qu'en France et ailleurs, font l'office de gouvernements constituants, pourquoi n'en prennent-ils pas tout de suite hautement et franchement le titre, sans minauder?

Rien à demi. Révolutionnaires, ne faites pas de révolution, et n'instituez pas de gouvernement provisoire; ou, si vous faites une révolution, ne la faites pas à moitié, et érigez-vous tout de suite en pouvoir constituant! Est-ce que l'auteur du coup d'État du 2 décembre a laissé à une Assemblée constituante le soin de faire la constitution du 14 janvier et ce qu'il a appelé les décrets organiques?

XVII.

L'ÉPÉE DE L'ORDRE.

2 novembre 1868.

Quoique ayant été improvisée et imposée, quoique n'ayant pas été débattue et délibérée par une Assemblée constituante, est-ce que la Constitution du 14 janvier 1852 a duré moins longtemps que la Constitution du 4 novembre 1848, qui avait été débattue et délibérée pendant sept mois par une

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