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Toujours l'inconséquence conduit à l'impuissance.
Où va l'Espagne?

Nul aujourd'hui ne le saurait dire.

XXI.

L'IMPUISSANCE DE L'INCONSÉQUENCE.

7 décembre 1868.

La Gazette de France m'interpelle en ces termes à l'occasion de la lettre que j'ai reçue de mon ami Emilio Castelar (1):

La république fédérale en Espagne est l'idéal de M. de Girardin. Pourquoi donc ne l'a-t-il pas demandée pour l'Italie? Pourquoi est-il monarchiste en Italie et républicain en Espagne?

Je réponds :

En 1859, prenant la plume contre la fameuse brochure de mon ami le vicomte de la Guéronnière, j'ai combattu à outrance la guerre d'intervention de la France contre l'Autriche pour l'Italie, prévoyant et annonçant l'invincible résistance que ferait le Pape à toutes les combinaisons, même à celle de la Confédération italienne, dont il lui a été offert d'être le président. Je n'ai cessé de combattre l'unité italienne qu'après qu'elle a été un fait accompli engageant la France, fait accompli qu'elle ne pouvait, qu'elle ne peut plus laisser détruire sans tomber elle-même dans des complications sans nombre et sans fin.

(1) A M. Émile de Girardin:

La révolution espagnole n'avortera pas. Nous résoudrons le problème d'allier a liberté la plus large qu'il y ait au monde avec l'ordre le plus inviolable. N'en doutez pas !

EMILIO CASTELAR. »

pas

Après la révolution de juillet 1854, qui a avorté, et avant la révolution de septembre 1868, qui est en travail d'enfantement, des Espagnols dans une haute situation, et dont le témoignage ne me ferait pas défaut si je l'invoquais, attesteraient que, consulté par eux dans une réunion, je n'hésitai à leur donner le conseil de soutenir énergiquement le maréchal O'Donnell, alors au pouvoir, au lieu de le combattre, ce qui devait avoir immanquablement pour conséquences de le river à la réaction et de le priver du point d'appui dont il avait absolument besoin pour contenir la reine. Le maréchal O'Donnel, je l'ai dit et je l'ai écrit, me paraissait à cette époque le seul ministre qui, ralliant et unissant à lui toutes les forces libérales existantes, pût donner au gouvernement parlementaire le temps de prendre racine en Espagne. Le général Prim sait si j'ai insisté à plusieurs reprises, et même par lettres, pour le détourner de la voie périlleuse des conjurations et des révolutions dans laquelle il est entré. Après le pronunciamiento de Cadix et la victoire d'Alcolea, les monarchistes n'avaient qu'une chose à faire, je l'ai imprimé tout de suite: c'était de placer sans perte de temps le fils sur le trône de la mère, réfugiée en France, avec un règent qui eût pu être le général Prim, ou un conseil de régence qui eût pu être composé des trois chefs de la conjuration maritime et militaire : le brigadier de marine Topete, le maréchal Serrano et le général Prim-.

Ce que la logique et la prévoyance prescrivaient de faire sans aucun retard n'ayant pas été fait, il ne restait plus qu'à proclamer et qu'à établir le plus vite possible, au moyen d'un plébiscite, la république fédérale, parce que cette forme de gouvernement avait l'avantage de se combiner sans résistance, sans difficulté, avec les fueros des provinces et les libertés des communes, dont elle eût été à la fois le lien et la garantie.

Il est inexplicable que ce second parti, que je lui conseil

lais de prendre, le général Prim, qui personnellement avait intérêt à l'adopter, ne l'ait pas pris, au lieu de se laisser user dans l'impuissance par le temps que perd le gouvernement provisoire, impuissance de l'inconséquence.

Combien de fois la Gazette de France me forcera-t-elle donc à lui répéter que je ne suis ni monarchiste ni républicain, mais exclusivement logicien ?

Une situation politique étant donnée, je ne perds pas le temps à récriminer; je me demande tout de suite ce qu'il y a de plus raisonnable à faire, et je dis en toute véracité ce qui m'a paru tel.

En 1848 je n'ai donné aux républicains, qui, depuis 1836, n'avaient pas cessé un seul jour de me traiter en ennemi qu'il fallait abattre ou perdre, je ne leur ai donné que des conseils qui, s'ils les avaient suivis, auraient affermi et sauvé la République. Ami depuis 1854 du général Prim, je lui ai donné en 1868 les conseils qui découlaient du fond des choses; l'avenir montrera qui, de lui ou de moi, a vu le plus clair dans la situation trouble qui est son œuvre.

Je comprends, j'admets que des républicains, au péril de leur liberté et de leur vie, prennent à tâche de renverser une monarchie qu'ils haïssent ou qu'ils méprisent; mais ce que je ne saurais comprendre ni admettre, c'est le renversement d'une monarchie par des monarchistes, au péril de leur liberté et de leur vie. Oui, je comprends Orense et Castelar agissant selon leur foi républicaine, mais je ne comprends pas le général Prim et le maréchal Serrano agissant contre leur foi monarchique. Renverser une monarchie pour en rétablir une autre, ce n'est pas même de l'inconséquence, c'est de l'enfantillage.

Enfantillage cruel! car il n'y a pas de sceptre brisé sans qu'il y ait du sang de versé et d'immenses ruines.

Ou ne renversez pas la monarchie, alors même qu'elle tombe dans l'arbitraire, ou, si vous la renversez, rempla

cez-la par la république la mieux appropriée aux exigences

du pays!

XXII.

LES ESPAGNOLS DEMANDANT UN ROI.

18 décembre 1868.

Si les Espagnols persistent à ne vouloir ni du prince des Asturies, ni du duc de Madrid, ni du duc de Montpensier, il ne leur restera donc à choisir que la république fédérative, la seule forme définitive de gouvernement qui convienne à leur pays, ainsi que l'a prouvé l'expérience qu'ils en ont faite de 1808 à 1814, l'une des époques les plus glorieuses de leur histoire.

C'est le lendemain d'une révolution que toutes les difficultés s'accumulent, que toutes les exigences se grossissent et s'amassent, que toutes les divisions intestines s'aigrissent, que le crédit s'arrête, que les caisses publiques se vident, que la misère augmente et fermente. Si depuis le 19 septembre l'Espagne a pu se passer d'un roi, quel moment choisirait-elle pour en prendre un? Elle choisirait le moment où toutes ces difficultés seraient aplanies, où toutes ces exigences seraient apaisées, lorsque enfin un roi serait moins nécessaireque jamais, si jamais un roi était nécessaire et bon à autre chose qu'à croquer les marrons tirés du feu par un gouvernement intérimaire.

Malgré les sanglantes journées de décembre à Cadix, malgré l'impitoyable victoire remportée sur les rebelles du lendemain par les rebelles de la veille, toutes les probabilités définitives sont en faveur de la république fédérative;

car, quoi qu'en ait dit le maréchal Prim, il sera plus facile de trouver en Espagne des républicains pour y fonder la République fédérative, que de trouver un monarque pour y rétablir la monarchie durable.

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