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l'une où les capitaux, trop demandés, sont devenus rares et où la Banque manque de numéraire; l'autre où son portefeuille est vide et où ses caves regorgent de numéraire. Tout le monde sait à quelles circonstances est due la situation actuelle. Tout en ne dissimulant pas à la Chambre que je ne la regarde pas comme prospère, car elle tient au ralentissement des affaires et du commerce, je demande la permission de lui dire que J'AI L'ESPÉRANCE ET LA CONFIANCE QUE NOUS NE TARDERONS PAS A EN SORTIR, et que les événements extérieurs dans la situation que vous connaissez ne TARDERONT pas à rendre aux affaires le mouvement et l'activité qui leur sont nécessaires.

Le 29 juillet 1868 — une année s'est écoulée, — le successeur de M. Vuitry au poste de gouverneur de la Banque de France, M. Rouland, monte à la tribune du Sénat, d'où il fait entendre ces paroles :

Il faut bien le dire, il y avait aussi partout cette défiance générale qui s'était emparée des esprits devant l'incertitude des événements politiques. Toutes ces causes réunies ont contribué à produire cette dépression universelle, cette stagnation générale qui caractérisent l'année 1867... Aussi y a-t-il une chose que nous devons tous désirer, c'est que le CAUCHEMAR DE L'INCERTITUDE cesse et en France et dans l'Europe entière........

L'Europe, plus que la France encore, l'Europe éprouvée par des crises, réduite presque partout à des emprunts demandés à notre pays, l'Europe doit désirer le repos et les bienfaits du commerce et de l'industrie, qui réparent toutes les plaies. Pourquoi ici donc, comme ailleurs, la défiance de l'avenir semble-t-elle persister?

Le 11 juillet 1867, le lendemain du discours de M. Vuitry, l'encaisse de la Banque de France était de 860,816,805 f. Le 30 juillet 1868, le lendemain du discours de M. Rouland, l'encaisse de la Banque de France s'élevait à 1,264,752,821 francs.

Loin d'avoir diminué, l'encaisse avait donc, du 11 juillet 1867 au 30 juillet 1868, augmenté de 403,936,016 francs. Au mois de juillet 1869, à quel chiffre s'élèvera cet en

caisse, si « la dépression universelle », si « la défiance de l'avenir», si, enfin, « le cauchemar de l'incertitude» sont aussi rebelles aux accents de M. Rouland qu'ils l'ont été à la voix de M. Vuitry?

Le cauchemar de l'incertitude! Cette expression de M. Rouland, qui a dû vivement contrarier M. Rouher, se gravera dans la mémoire de tous nos lecteurs, parce qu'elle caractérise avec une grande justesse une situation dont il a longtemps que nous signalons la gravité méconnue.

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Lorsqu'il s'agit d'une grande nation, l'incertitude à l'état de maladie chronique est ce qu'il y a de plus fâcheux, car c'est ce qu'il y a de plus difficile à faire cesser, à moins d'une vigoureuse et heureuse détermination, que cette détermination se nomme coup d'éclat ou autrement.

L'incertitude qui arrête la circulation du numéraire, l'incertitude qui ralentit l'activité du travail est plus ruineuse cent fois que la dissipation qui se laisse aller à des dépenses exagérées, même à de fausses dépenses; c'est la réflexion que nous ne pouvons nous empêcher de faire en lisant les minutieuses et interminables discussions sur le budget, dont le compte rendu nous est apporté par le Moniteur.

Voulez-vous avoir une armée? Ayez-la! Payez bien les officiers, nourrissez bien le soldat.

Voulez-vous combattre l'ignorance? Ne marchandez ni le nombre des instituteurs ni leur traitement.

Lorsque des travaux sont utiles et que vous les entreprenez, si considérables qu'ils soient, ne les faites pas languir en alléguant que les crédits répartis par année ne vous permettent pas de mener plus vite ces travaux.

Lorsque vous avez l'honneur de vous appeler la France, ne dites pas que l'argent vous manque pour des dépenses nécessaires; ne dites pas qu'il vous manque pour rétribuer vos facteurs ruraux, pour donner à votre système postal et à votre service télégraphique le développement le plus rapide

possible. C'est rapetisser la France. Elle est assez riche pour payer tous les travaux de la paix qu'exige la civilisation.

L'argent sur lequel il importe qu'elle ait les yeux fixés, ce n'est pas sur celui qui circule, c'est sur celui qui ne cir

cule pas.

L'argent qui ne circule pas est une force perdue.

Un milliard de plus mal dépensé depuis cinq ans eût été moins funeste à la France que ce cauchemar de l'incertitude qui accuse l'absence de tout système politique.

XXI.

LES DEUX POLITIQUES.

3 août 1868.

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Le journal la France a parfaitement raison de défendre la politique flottante que le gouverneur de la Banque, M. Rouland, a appelée « le cauchemar de l'incertitude car la politique qui, après l'expédition de Rome, en 1849, a entrepris, en 1859, l'expédition d'Italie; qui, en 1862, a conçu et exécuté l'expédition du Mexique; qui, en 1863, a pris parti pour l'insurrection polonaise contre la Russie et a laissé enlever à la Pologne jusqu'à son nom; qui, en 1866, a soufflé la guerre entre l'Autriche et la Prusse, quand il aurait fallu l'empêcher, et qui, après qu'elle a été allumée, n'a su se mettre ni avec l'Autriche contre la Prusse à la condition que la France rentrerait dans ses limites de 1801, ni avec la Prusse contre l'Autriche à la même condition; qui, en 1867, a applaudi avec frénésie à la lettre du 19 janvier sans voir que c'était trop ou trop peu; cette politiquelà, qui n'est ni la paix ni la guerre, ni la liberté ni le pouvoir, c'est la sienne!

Oui, c'est la sienne, car cette politique de la paix armée et de la liberté comprimée, c'est celle que le journal la France a constamment conseillée, constamment défendue, constamment glorifiée.

Où nous a-t-elle menés?

Répondre à cette question est un soin que nous laissons à M. Rouland; elle nous a menés, c'est le gouverneur de la Banque de France qui l'a déclaré à la tribune du Sénat, elle nous a menés « à la dépression universelle, à la stagnation générale, à la défiance de l'avenir, au cauchemar de l'incertitude. »

Aussi, entre l'honneur d'avoir inspiré cette politique, honneur qui revient à la France, et le reproche railleur qu'elle nous adresse « de n'avoir jamais su faire accepter aucun de nos plans politiques», préférons-nous le reproche encouru à l'honneur obtenu. Chacun son goût comme chacun son rôle.

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En tout cas, si nous avons « une politique par jour nous n'en avons jamais qu'une à la fois, tandis que le journal la France en a toujours deux la politique de ses discours, dans lesquels il confesse et déplore les fautes commises, et la politique de ses articles, dans lesquels il les nie et les change en actes glorieux, qu'il loue à outrance.

Nous, ce que nous blâmons quand nous parlons, nous ne le vantons pas quand nous écrivons; ce que nous disons à voix basse et la canne à la main, nous le répétons à haute voix et la plume entre les doigts.

Ce que nous indiquons, c'est toujours ce que nous ferions à l'heure précise où ce serait opportun, car en politique la question d'heure est aussi importante au moins que la question de principe. La question d'heure, c'est la question de conduite; la question de conduite, c'est la question de l'échec ou du succès.

Les deux politiques ainsi rétablies chacune dans sa ligne, la politique de la France et la politique de la Liberté, répondons à cette objection de notre spirituel persifleur :

Prendre la rive gauche du Rhin par le seul motif que cela serait à notre convenance, c'est inaugurer et légitimer le règne de la force; celte politique ne serait pas le désarmement, elle serait la guerre universelle.

A l'heure actuelle, nous traversons une phase d'apaisement; cet apaisement peut nous conduire à une paix stable et solide, et alors les armements qui pèsent sur l'Europe pourront être réduits. Dans le cas contraire, si des ambitions nouvelles éclatent, LA FRANCE EST ASSEZ FORTE POUR EMPÊCHER TOUTE SOLUTION QUI SERAIT

CONTRE ELLE.

Cette objection prouve que le journal la France, afin d'avoir plus de temps pour nous répondre, n'a pas pris le temps de nous lire, car s'il nous avait fait cet honneur, il se fût rendu compte que nous ne proposions à la France de rentrer dans ses limites de 1801, qui lui ont été enlevées en 1815, qu'après le refus de la Prusse soit de convoquer un Congrès européen qui statuerait sur les événements de 1866, soit de concourir à la formation d'un État intermédiaire et neutre, n'étant ni exclusivement français ni exclusivement allemand, et se composant de la Belgique, d'une portion de la Hollande (moyennant compensation pécuniaire ou autre donnée à la Hollande) et des provinces rhénanes, mais sous la réserve expresse du démantèlement de toutes les forteresses enclavées dont les canons, tournés contre la France, sont une menace qui se traduit par la nécessité pour nous d'appeler chaque année sous les drapeaux, soit à titre d'armée active, soit à titre de garde nationale mobile, toute la génération de vingt ans en état de porter les armes, toute, absolument toute.

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