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Cependant, quelle occasion s'offrira jamais plus propice que celle qu'a offerte l'Exposition universelle de l'industrie, réunissant à Paris, en juin 1867, à la table de l'empereur des Français l'empereur de Russie et le roi de Prusse, qui n'avaient qu'à décider entre eux trois l'abolition du servage militaire, l'abolition de l'impôt corporel, l'abolition du recrutement obligatoire, pour qu'il disparût immédiatement de toute l'Europe!

Lorsqu'il n'y aurait plus eu que l'enrôlement militaire, comme en Angleterre et aux États-Unis, pour alimenter les armées permanentes, ah! celles-ci n'eussent pas tardé à rentrer dans leurs justes limites.

Une politique qui, s'apercevant des énormes fautes qu'elle a commises, veuille fermement les réparer, même au prix des risques de la guerre; une politique qui ait une pensée qu'elle poursuive, un but qui apparaisse clairement à tous les regards; une politique qui ait un programme dont elle ne dévie plus; une politique enfin qui nous arrache au cauchemar de l'incertitude qui nous oppresse : voilà ce que nous voulons.

Voulons-nous donc trop?

XXIII.

LES DEUX PROGRAMMES.

6 août 1868.

Etant reconnue la nécessité d'un programme politique qui devienne la grande pensée commune et constante, la grande pensée de l'immense majorité des Français, quel devra être ce programme?

Voilà ce que nous voudrions que se demandassent, chacun de son côté, le gouvernement et l'opposition.

Si nous en jugeons par tous ses discours dans la dernière session et par le langage de ses journaux les plus autorisés, l'opposition aurait définitivement adopté pour programme ces deux mots : PAIX, LIBERTÉ.

Ce programme a été le nôtre jusqu'à la fin de l'année 1866; nous n'en connaissions pas un plus beau et plus complet.

Mais maintenant que l'armée et la garde nationale mobile appellent sous leurs drapeaux toute la génération valide de vingt à vingt-neuf ans, plus de douze cent mille hommes, la paix est un mot qui exige impérieusement qu'on le définisse.

A ceux qui la veulent nous disons :

Quelle paix voulez-vous?

Est-ce la paix armée à perpétuité énervant la nation, condamnant le chiffre de la population à rester stationnaire, ou est-ce la paix désarmée ?

Si c'est la paix désarmée, par quelle voie, par quel moyen espérez-vous arriver au désarmement, dont aucun gouvernement ne veut prendre l'initiative?

Expliquez-vous, car il est important de se prononcer à cet égard afin de ne pas flotter plus longtemps dans le vague et de ne pas se perdre dans le vide.

Si l'opposition a raison quand elle accuse le gouvernement de n'avoir pas de système, de n'avoir pas de programme, il ne faut pas que le gouvernement puisse, avec non moins de raison, adresser les mêmes reproches à l'opposition.

Donc, qu'elle ait un programme que nous puissions rationnellement défendre et dont tous les hommes de bon sens puissent se rendre compte avec certitude.

Si nous avons tort de persister à demander la formation d'un État mixte, d'un État franco-germanique, comprenant la Belgique, la Hollande rhénane, la Prusse rhénane, la

Hesse rhénane et la Bavière rhénane, entièrement neutralisé, se composant de dix millions d'habitants, et, en conséquence de cette neutralisation, le rasement de toutes les forteresses existant entre nos frontières actuelles et nos frontières naturelles, entre nos frontières de 1815 et nos frontières de 1801, ces forteresses se nommant Mayence, Cologne, Venlo, Nimègue, Breda, Berg-op-Zoom, Maëstricht, Anvers, Mons, Charleroi, Liége, Sarrelouis, Landau et Germersheim; ce qui nous permettrait de réduire immédiatement et considérablement notre effectif militaire, ce qui nous permettrait de faire plus encore, ce qui nous permettrait de substituer l'enrôlement volontaire au recrutement obligatoire et de donner à l'Europe le grand exemple de l'abolition de la « traite des blancs »; si, à défaut de la formation de cet État mixte et neutralisé, nous avons tort d'insister pour que la France rentre, par la porte triomphale de la revanche victorieuse, dans la possession de ses limites de 1801, limites dont la nécessité était unanimement reconnue en 1814 par les puissances coalisées contre nous, dont le recouvrement, rendons-lui cette justice, fut de 1815 à 1830 la pensée constante de la Restauration; ce tort, qu'on nous le démontre en nous opposant un autre programme qui aboutisse plus sûrement et plus rapidement au désarmement européen et à l'unité de liberté! Par unité de liberté, nous entendons l'Europe civilisée, jouissant tout entière d'une liberté égale à celle qui fait de l'Angleterre, de la Belgique, de l'Italie et de la Suisse quatre pays privilégiés.

et

Sera-ce l'opposition, se ravisant, ou sera-ce le gouvernement, se décidant, qui adoptera le programme que nous avons écrit sous la dictée de la logique, notre tyran, qui ne nous a pas laissé la liberté d'en écrire un autre sous peine de manquer à la prévoyance? Nous ne le savons pas; mais ce que nous savons pertinemment, c'est que les coups que se porteront l'opposition et le gouvernement seront des coups

frappés dans l'obscurité et dans le vide, aussi longtemps que l'opposition n'aura pas un programme à opposer au gouvernement n'en ayant pas, ou que le gouvernement n'aura pas un programme qui lui permette de dire à l'opposition : « Puisque vous n'approuvez pas le mien, présentez le vôtre, afin que le pays juge entre les deux. »

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Le gouvernement n'ayant pas de programme, ce n'est pas le gouvernement, c'est l'aveuglement.

L'opposition n'ayant pas de programme, ce n'est pas l'opposition, c'est le dénigrement.

Des deux côtés c'est l'impuissance.

Qu'est-ce qui a fait la force et finalement le triomphe de M. de Bismark contre l'opposition de la Chambre des députés prussiens, opposition qui de minorité était devenue majorité? C'est que M. de Bismark avait un programme et que la majorité opposante n'en avait pas.

Si, depuis 1852 qu'il a la plénitude du pouvoir, l'Empereur des Français avait eu un programme nettement tracé et constamment suivi, n'importe lequel, que de fautes n'eussent pas été commises, que de sang n'eût pas été inutilement versé, que d'argent n'eût pas été ruineusement dépensé! Oui, n'importe lequel!

On va le voir.

En 1854, la Russie menace la Turquie.

Que fait la France?

Sans même attendre de s'être mise d'accord avec le gouvernement britannique, elle se hâte de donner à sa flotte l'ordre de partir pour aller protéger « l'intégrité de l'empire ottoman », au nom du maintien de l'équilibre européen et du respect des traités.

De la part du nouvel Empire, il se pouvait que la meilleure politique à suivre ne fût pas celle du roi Louis-Philippe et de M. Guizot, ministre des affaires étrangères; il se pouvait que la politique du respect des traités et du maintien de

l'équilibre de 1815 ne fût pas celle qu'il dût adopter; mais enfin c'était une politique, et dès qu'on lui donnait la consécration du sang de cent mille Français tués ou blessés pour elle, et de trois emprunts successifs s'élevant à quinze cents millions, il fallait y persister inébranlablement; il ne fallait pas descendre inconsidérément du faîte auquel le Congrès de Paris de 1856 avait fait si rapidement monter l'Empire de 1852.

Est-ce la politique du respect des traités et du maintien de l'équilibre européen qui a inspiré la guerre de 1860 contre l'Autriche et en faveur de l'Italie? Assurément non, puisque cette guerre a été entreprise au nom du principe des nationalités.

Le prétendu principe des nationalités n'étant qu'une généreuse erreur, c'était l'adoption d'une mauvaise politique; mais enfin la politique des nationalités, quoique en contradiction avec toute l'histoire, pouvait encore être réputée une politique; et puisqu'on venait de lui imprimer, en 1859, l'éclat de la victoire, au prix, il est vrai, du sang de cinquante mille Français et d'un nouvel emprunt de cinq cents millions, il fallait la poursuivre.

Étant donnée la politique des nationalités : le rétablissement de la Pologne, au risque d'avoir contre soi les trois puissances copartageantes, l'Autriche, la Prusse, la Russie, s'expliquait, se justifiait de la part de la France; mais ce qui ne saurait s'expliquer autrement que par le désœuvrement d'une politique ennuyée d'elle-même, c'est l'occupation du Mexique dans l'intérêt de l'empereur Maximilien, occupation qui, vidant nos cadres et nos magasins, nous a paralysės en 1866 et jusqu'en 1867.

:

L'occupation du Mexique n'appartenait à aucune politique, à aucune ni à la politique du respect des traités et du maintien de l'équilibre européen; ni à la politique des nationalités, qui est la négation de la politique de conquête; ni

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