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Amérique, où ils retrouveront presque leur pays, puisqu'ils y pourront vivre au milieu d'un très-grand nombre de leurs compatriotes! L'émigration à bon marché, l'émigration à la portée de toutes les bourses est un germe qui ne fait encore que de poindre; mais il est appelé à des développements d'autant plus rapides que l'émigration deviendra de plus en plus facile, et que les périls et les fatigues d'une traversée qui n'est déjà plus que de neuf jours tendent à devenir presque nuls. L'émigration étant la soupape de sûreté de la liberté, ne tardera pas à rendre impossible en Europe la durée de toute tyrannie. 'Au lieu de s'insurger, au risque de périr, on émigrera au risque de s'enrichir. D'ici à dix ans quel sera le grand État européen qui pourrait résister à l'émigration pour cause de despotisme, si seulement cinq cents familles notables protestaient solennellement contre la tyrannie en adoptant hautement pour devise: Ubi libertas ibi patria!

La France n'a donc pas à craindre que le pouvoir personnel pousse dans son sol de longues et fortes racines. La liberté lui est pleinement assurée par tous les progrès de la science et par la connaissance de moins en moins rare de la langue anglaise; mais c'est précisément là ce qui doit faire réfléchir mûrement ceux dont le regard s'étend au delà d'un présent étroitement borné. La civilisation étant plus forte que lui, qu'il résiste ou qu'il cède, le pouvoir discrétionnaire ne saurait plus être qu'un régime provisoire; il n'y a plus de régime définitif possible que celui de la liberté. C'est ce que, instinctivement, tout le monde comprend, et de toutes les causes de défiance dans l'avenir, celle-ci n'est pas la moins profonde et la moins vive, parce que si le port apparaît distinctement à tous les yeux, plus on approche et mieux on voit les écueils qui en rendent l'entrée difficile et dangereuse, écueils qu'il faudra affronter et franchir.

Une autre cause de défiance dans l'avenir, c'est la néces

sité absolue en même temps que l'impossibilité non moins absolue de diminuer considérablement le poids de ces armements excessifs et sans précédents dans l'histoire, sous lequel l'Europe exténuée marche lentement mais certainement à l'abîme. Puisque aucun gouvernement n'ose prendre l'initiative et ne veut être le premier à donner l'exemple de la réduction de son armée, on se pose cette question : « Comment finira un état précaire qui ne saurait indéfiniment durer?»> Cette question, chacun se la pose, mais sans trouver une autre réponse que celle-ci : « Cela finira par la guerre et par un Congrès après la guerre. » En effet, puisque l'offre du Congrès avant la guerre, loyalement faite en novembre 1863, a été aveuglément repoussée, on ne voit pas comment cela pourrait finir autrement.

Ainsi s'explique la défiance de l'avenir par ces trois causes : Impossibilité de la transmission durable du pouvoir personnel et discrétionnaire dans un pays où il existe une Assemblée législative qui vote chaque année le budget, l'impôt, les lois;

Liberté qu'on n'a plus le moyen de retenir et qu'on a la peur de donner;

Paix menacée par l'excès même des armements qui ont pour prétexte de la protéger.

XXV.

LA DÉCLARATION DU 8 AOUT.

12 août 1868.

Rien ne menace la paix de l'Europe! C'est l'Empereur des Français qui l'a déclaré solennellement en ces termes dans sa réponse à M. le maire de la ville de Troyes :

Je n'ai pas voulu passer à Troyes sans m'y arrêter un instant,

afin de donner une preuve de mes vives sympathies pour les populations de la Champagne, qui sont animées de sentiments si patriotiques.

J'ai constaté avec plaisir, l'année dernière, les progrès de l'industrie dans votre département. Je vous engage à continuer, car rien ne menace aujourd'hui la paix de l'Europe.

Ayez confiance dans l'avenir, et n'oubliez pas que Dieu protége la France.

Cette déclaration du 8 août 1868, en flagrante contradiction avec la lettre du 4 novembre 1863, paraît dans le Moniteur universel du lundi 10 août :

Baisse le jour même de cette déclaration, lorsqu'elle aurait dû être saluée par un franc de hausse.

Baisse le lendemain mardi 11.

Baisse le surlendemain mercredi 12.

Quelle erreur était la nôtre lorsqu'au grand scandale de tous les journalistes et à l'ébahissement du plus grand nombre de nos lecteurs, nous fondions notre théorie de l'impunité de la presse sur l'impuissance de la presse!

La presse impuissante! Elle qui, d'un coup de plume, a renversé de son trône le roi Charles X.

La presse impuissante! Elle qui n'a eu que quelques gouttes d'encre à verser pour noyer la couronne du roi LouisPhilippe.

La presse impuissante! Elle qui n'a eu besoin que d'un seul journal pour dicter à cinq millions d'électeurs leur vote du 10 décembre 1848.

La presse impuissante! Elle qui vient de prouver sa puissance par la déclaration du 8 août.

Nous appuyant sur la lettre du 4 novembre 1863, adressée par l'Empereur des Français à tous les souverains de l'Europe, n'avons-nous pas démontré jusqu'à l'évidence que, selon son expression, la guerre était « fatale »>?

N'avons-nous pas également démontré jusqu'à l'évidence que si la guerre était fatale, la prudence commandait impė

rieusement de ne pas laisser échapper le moment où les avantages sont encore de notre côté?

N'avons-nous pas démontré non moins évidemment qu'ayant les motifs les plus sérieux, tirés de la situation précaire faite à l'Europe par M. de Bismark, qui a rompu l'ancien équilibre européen sans le remplacer par un équilibre nouveau sur lequel le Congrès européen eût nécessairement prononcé, nous n'avions pas besoin d'attendre, l'arme au bras, que la Prusse nous fournît un prétexte qui ne serait jamais qu'un prétexte, lequel, alors, au lieu de passionner la France et de l'unir, la refroidirait et la diviserait?

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Enfin, n'avons-nous pas démontré de la manière la plus claire qu'un état qui n'est ni la paix ni la guerre, qui est « la dépression universelle, la stagnation générale, la défiance » de l'avenir, le cauchemar de l'incertitude » attestés par le discours du gouverneur de la Banque de France à la tribune du Sénat, ne peut se prolonger indéfiniment sans porter la plus grave atteinte d'abord à l'accroissement de notre population, que cet état condamne à demeurer stationnaire, puis à notre agriculture et à notre industrie, auxquelles il enlève ses bras les plus robustes?

La preuve manifeste et matérielle que lorsque nous érigions en doctrine l'impuissance de la presse démontrée par elle-même, ce n'était de notre part qu'un paradoxe, qu'un tour de polémique, qu'une jonglerie de plume, qu'un jeu d'esprit, c'est qu'il nous a suffi de prendre en mains la défense de l'Unité géographique de la France se reconstituant au même titre et du même droit que se sont faites d'abord l'Unité géographique de l'Italie, et ensuite l'Unité géographique de l'Allemagne, pour vaincre les irrésolutions de l'héritier du vaincu de Waterloo, et rendre à la France ses frontières naturelles, ses frontières de 1801, devenues ses frontières nécessaires.

O puissance de la presse!

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XXVI.

LE RHIN OU LES VOSGES.

13 août 1868.

Si rien ne menace la paix, pourquoi rester sous les armes?

Cette question, c'est la Gazette de France qui se la pose à elle-même dans les termes que nous venons de citer textuellement.

La Gazette de France nous permettra de lui répondre que, puisque la France et l'Europe persistent à rester sourdes à tous les vœux de désarmement qui leur sont journellement adressés, c'est qu'apparemment la France et l'Europe considèrent la paix comme étant très-sérieusement menacée.

Si la paix est sérieusement menacée, que doit faire la France?

Doit-elle aller au-devant de la guerre, ou doit-elle l'attendre?

Là est la question.

Ayant sous les yeux la fameuse note de M. d'Usedom, adressée le 17 juin 1866 au général de La Marmora, qui l'a divulguée, notre avis est que si la guerre est inévitable, il vaut mieux qu'elle soit immédiate; il vaut mieux qu'elle éclate tout de suite, lorsque les probabilités de victoire sont de notre côté, que d'éclater dans un an, dans deux ans, dans trois ans, lorsque les probabilités auront passé du côté opposé. Cet avis n'est pas celui de la Gazette de France; elle aime mieux la guerre expectante avec ses chances contraires nous menaçant, que la guerre opportune avec ses chances favorables nous protégeant.

Cela ne peut s'expliquer qu'ainsi : deux fois, en 1814 et en 1815, la France a été envahie, et deux fois l'invasion,

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