Font un sermon contre l'ouvrage; Qu, sans projet, sans autre loi Que les erreurs d'un goût volage, Sages ou fous à l'unisson Joignent la flûte à la trompette, Le brodequin à la houlette, Et le sublime à la chanson. Hors la louange et la satire, Tout s'écrit ici, tout nous plaît, Depuis les accords de la lyre Jusqu'aux soupirs du flageolet; Et depuis la langue divine De Malebranche et de Racine, Jusqu'au folâtre triolet.
Que l'insipide symétrie Regle la ville qu'elle ennuie; Que les temps y soient concertés, Et les plaisirs mêmes comptés: La mode, la cérémonie,
Et l'ordre, et la monotonie,
Ne sont point les dieux des hameaux;
Au poids de la triste satire
On n'y pese point tous les mots, Et si l'on doit blâmer ou rire; Tout ce qui plaît vient à propos; Tout y fait des plaisirs nouveaux, Le hasard, l'instant les décide: Sans regretter l'heure rapide
Qui naît, qui s'envole soudain, Et sans prévoir le lendemain, Dans ce silence solitaire, Sous l'empire de l'agrément, Nous ne nous doutons nullement Que déja le noir Sagittaire, Couronné de tristes frimas, Vient bannir Flore désolée, Et qu'avec Pomone exilée L'astre du jour fuit nos climats. Oui, malgré ces métamorphoses, Nos bois semblent encor naissants; Zéphyr n'a point quitté nos champs, Nos jardins ont encor des roses : Où regnent les amusements Il est toujours des fleurs écloses, Et les plaisirs font le printemps. Échappé de votre hermitage,
Et sur ce fortuné rivage Porté par les songes légers,
Voyez la nouvelle parure
Dont s'embellissent ces vergers*;
Éleve ici de la Nature,
L'Art, lui prêtant ses soins brillants,
Y forme un temple de verdure
Bosquet de Minerve, récemment ajouté au jardin de C*, dessiné par
A la déesse des talents. Sortez du sein des violettes,
Croissez, feuillages fortunés; Couronnez ces belles retraites, Ces détours, ces routes secretes, Aux plus doux accords destinés! Ma muse, pour vous attendrie, D'une charmante rêverie Subit déja l'aimable loi;
Les bois, les vallons, les montagnes, Toute la scene des campagnes Prend une ame, et s'orne pour Aux yeux de l'ignare vulgaire Tout est mort, tout est solitaire, Un bois n'est qu'un sombre réduit, Un ruisseau n'est qu'une onde claire; Les zéphyrs ne sont que du bruit; Aux yeux que Calliope éclaire Tout brille, tout pense, tout vit; Ces ondes tendres et plaintives, Ce sont des nymphes fugitives Qui cherchent à se dégager De Jupiter pour un berger; Ces fougeres sont animées; Ces fleurs qui les parent toujours, Ce sont des belles transformées ; Ces papillons sont des Amours.
Mais pourquoi ma raison oisive,
D'une muse qui la captive Suivant les caprices légers, Cherche-t-elle sur cette rive Des objets au sage étrangers, Sans fixer sa vue attentive Sur l'exemple de ces bergers? Si dans l'imposture éternelle De nos mensonges enchanteurs Il reste encor quelque étincelle De la nature dans nos cœurs; Sauvés du séjour des prestiges, Et cherchant ici les vestiges De l'antique simplicité,
Sans adorer de vains fantômes, Décidons si ce que nous sommes Vaut ce que nous avons été; Et si, malgré leur douceur pure, Ces biens pour toujours sont perdus, Voyons-en du moins la figure, Comme on aime à voir la peinture
De quelque belle qui n'est plus.
Oui, chez ces bergers, sous ces hêtres, J'ai vu dans la frugalité
Les dépositaires, les maîtres
De la douce félicité;
dans les fêtes champêtres,
J'ai vu la pure Volupté
Descendre ici sur les cabanes,
Y répandre un air de gaîté, De douceur et de vérité,
Que n'ont point les plaisirs profanes Du luxe et de la dignité.
Parmi le faste et les grimaces Qu'entraînent les fêtes des cours, Thémire, dans ses plus beaux jours, Avec de l'esprit et des graces, S'ennuie au milieu des Amours: Ici j'ai vu la tendre Lise,
A peine en son quinzieme été, Sans autre esprit que la franchise, Sans parure que la beauté, Plus heureuse, plus satisfaite D'unir avec agilité
Ses pas au son d'une musette, Et, parmi les plus simples jeux, Portant le plaisir dans ses yeux Écrit des mains de la nature Avec de plus aimables feux Que n'en peut prêter l'imposture A l'œil trompeur et concerté D'une coquette fastueuse,
Qui, par un sourire emprunté, Dans l'ennui veut paroître heureuse, Et jouer la vivacité.
Qu'on censure ou qu'on favorise Ce goût d'un bonheur innocent;
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