Pour répondre à qui le méprise, Qu'il nous suffise que souvent, Pour fuir un tumulte brillant, Thémire voudroit être Lise, Et voler du sein des grandeurs Sur un lit de mousse et de fleurs. Feuillage antique et vénérable, Temple des bergers de ces lieux, Orme heureux, monument durable De la pauvreté respectable,
Et des amours de leurs aïeux; O toi qui, depuis la durée De trente lustres révolus, Couvres de ton ombre sacrée Leurs danses, leurs jeux ingénus, Sur ces bords, depuis ta jeunesse Jusqu'à cette verte vieillesse, Vis-tu jamais changer les mœurs, Et la félicité premiere
Fuir devant la fausse lumiere De mille brillantes erreurs?
Non; chez cette race fidele
Tu vois encor ce pur
De l'innocence naturelle Que tu voyois briller chez elle Lorsque tu n'étois qu'arbrisseau; Et, pour bien peindre la mémoire De ces mortels qui t'ont planté,
Tu nous offres pour leur histoire Les mœurs de leur postérité. Triomphe, regne sur les ages; Échappé toujours aux ravages D'Éole, du fer, et des ans,
Fleuris jusqu'au dernier printemps, Et dure autant que ces rivages; Au chêne, au cedre fastueux Laisse les tristes avantages D'orner des palais somptueux : Les lambris couvrent les faux sages, Tes rameaux couvrent les heureux. Tandis qu'instruit par la droiture Et par la simple vérité,
Mon esprit, toujours enchanté, Pénetre au sein de la nature, Et s'y plonge avec volupté; Hélas! par une loi trop dure, Poussés vers l'éternelle nuit, Le Plaisir vole, le Temps fuit, Et bientôt sous sa faux rapide, Ainsi que les jardins d'Armide, Ce lieu pour nous sera détruit. Trop tôt, hélas! les soins pénibles, Les bienséances inflexibles, Revendiquant leurs tristes droits, Viendront profaner cet asile, Et, nous arrachant de ces bois,
Nous replongeront pour six mois Dans l'affreux chaos de la ville, Et dans cet éternel fracas
De riens pompeux et d'embarras, Qui, pour tout esprit raisonnable Sujets de gêne et de pitié, Ne sont que le jeu misérable
D'un ennui diversifié!
Mais, outre ces peines communes Qui nous attendent au retour, Outre les chaînes importunes
Et de la ville et de la cour, Il est un fatal apanage
De dégoûts encor plus nombreux, Qu'au retour des champêtres lieux Le funeste Apollon ménage A ses éleves malheureux.
Au milieu d'un monde frivole, Dont les nouveautés sont l'idole, Déjà je me vois revenu,
Et, pour le malheur de ma vie, Par l'importune poésie
Malgré moi-même un peu connu, Déja j'entends les périodes, Et les questions incommodes De ces furets de vers nouveaux, De ces copistes généraux, Qui, persuadés que l'étude
Me tient absent depuis trois mois, Vont s'imaginer que je dois
Le tribut de ma solitude
A l'oisiveté de leur voix.
<< Hé bien ! » me dit l'un, dont l'idylle Enchante l'esprit doucereux, << Sans doute, éleve de Virgile, << Sur des pipeaux harmonieux « De Lycidas et d'Amarylle « Vous aurez soupiré les feux? « Vous aurez chanté les beaux yeux, « Les premiers soupirs de Sylvie, « Et des bouquets de la prairie
aurez orné ses cheveux? »
Qu'apportez-vous? point de mystere (Me vient dire avec un souris
Quelque suivant de beaux-esprits, Insecte et tyran du parterre),
. L'ouvrage est-il
« Pour Pélissier, ou pour Gaussin?»> Je fuis, j'échappe à la poursuite De ces colporteurs trop communs. Suis-je plus heureux dans ma fuite? D'autres lieux, d'autres importuns! << Enfin, dit-on, de votre absence « Revenez-vous un peu changé? « Du sommeil de la négligence << Votre esprit enfin dégagé
<< Immolera-t-il l'indolence
« Aux succès d'un travail rangé? » Ainsi déclame sans justesse Contre les droits de la paresse Un froid censeur, qui ne sent pas Que sans cet air de douce aisance Mes vers perdroient le peu d'appas Qui leur a gagné l'indulgence Des voluptueux délicats,
Des meilleurs paresseux de France, Les seuls juges dont je fais cas. Par l'étude, par l'art suprême, Sur un froid pupitre amaigris, D'autres orneront leurs écrits: Pour moi, dans cette gêne extrême, Je verrois mourir mes esprits. On n'est jamais bien que soi-même; Et me voilà tel que je suis. Imprimés, affichés sans cesse, Et s'entrechassant de la presse, Mille autres nous inonderont D'un déluge d'écrits stériles, Et d'opuscules puériles, Auxquels sans doute ils survivront: A cette abondance cruelle
Je veux toujours, en vérité, Et de La Fare et de Chapelle Préférer la stérilité:
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