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Quarante fois de la lumiere
J'ai vu disparoître les feux,
Quarante fois dans sa carriere
J'ai vu rentrer l'astre des cieux;
Et dans un si long intervalle,
La Parque, d'une main fatale
Arrachant de mes yeux les paisibles pavots,
Pour moi ne fila point une heure de repos;
Par le souffle brûlant de la fievre indomtée
Chaque jour ma force emportée

Renaissoit chaque jour pour des tourments nouveaux :
Dans la fable de Prométhée

Tu vois l'histoire de mes maux.
Après l'effroi qui suit l'attente du supplice,
Voilé des plus noires couleurs,

Parut enfin ce jour de malheureux auspice
Où de l'humanité j'épuisai les douleurs;
Couché sur un bûcher, et l'autel et le trône
D'Esculape et de Tisiphone,

Courbé sous le pouvoir de leurs prêtres cruels,
J'ai vu couler mon sang sous les couteaux mortels;
Mon ame s'avança vers les rivages sombres:
Mais quel rayon lancé du sein des immortels,
L'arrêtant à travers la région des ombres,
Vint ranimer mes sens sur ses sanglants autels!
Je crus sortir du noir abyme,

Quand, revenant au jour, je me vis délivré:
Je trompai le trépas, ainsi qu'une victime

Que frappe un bras mal assuré;
Inutilement poursuivie,

Et plus forte par la douleur,
Elle arrache, en fuyant, les restes de sa vie
Aux coups du sacrificateur.

Il est une jeune déesse,

Plus agile qu'Hébé, plus fraîche que Vénus:
Elle écarte les maux, les langueurs, la foiblesse;
Sans elle la beauté n'est plus;

Les Amours, Bacchus, et Morphée,
La soutiennent sur un trophée
De myrte et de pampres orné,
Tandis qu'à ses pieds abattue
Rampe l'inutile statue

Du dieu d'Épidaure enchaîné.

Ame de l'univers, charme de nos années,
Heureuse et tranquille SANTÉ!

Toi qui viens renouer le fil de mes journées,
Et rendre à mon esprit sa plus vive clarté,
Quand, prodigues des dons d'une courte jeunesse,
Ne portant que la honte et d'ameres douleurs
A la trop précoce vieillesse,

Les aveugles mortels abregent tes faveurs:
Je vais sacrifier dans ton temple champêtre,
Loin des cités et de l'ennui.

Tout nous appelle aux champs; le printemps va renaître,
Et j'y vais renaître avec lui.

Dans cette retraite chérie

De la Sagesse et du plaisir,
Avec quel goût je vais cueillir
La premiere épine fleurie,
Et de Philomele attendrie
Recevoir le premier soupir!
Avec les fleurs dont la prairie
A chaque instant va s'embellir,
Mon ame, trop long-temps flétrie,
Va de nouveau s'épanouir,

Et, loin de toute rêverie,

Voltiger avec le Zéphyr.

Occupé tout entier du soin, du plaisir d'être,
Au sortir du néant affreux,

Je ne songerai qu'à voir naître
Ces bois, ces berceaux amoureux,
Et cette mousse et ces fougeres,
Qui seront, dans les plus beaux jours,
Le trône des tendres bergeres,
Et l'autel des heureux amours.
O jours de la convalescence!
Jours d'une pure volupté!

C'est une nouvelle naissance,

Un rayon d'immortalité.

Quel feu! tous les plaisirs ont volé dans mon ame. J'adore avec transport le céleste flambeau;

Tout m'intéresse, tout m'enflamme;

Pour moi l'univers est nouveau.

Sans doute que le dieu qui nous rend l'existence,

A l'heureuse convalescence

Pour de nouveaux plaisirs donne de nouveaux sens;
A ses regards impatients

Le chaos fuit; tout naît; la lumiere commence;
Tout brille des feux du printemps.

Les plus simples objets, le chant d'une fauvette,
Le matin d'un beau jour, la verdure des bois,
La fraîcheur d'une violette;
Mille spectacles qu'autrefois
On voyoit avec nonchalance,
Transportent aujourd'hui, présentent des
Inconnus à l'indifférence,
Et que la foule ne voit pas.
Tout s'émousse dans l'habitude;
L'amour s'endort sans volupté;

appas

Las des mêmes plaisirs, las de leur multitude,
Le sentiment n'est plus flatté;

Dans le fracas des jeux, dans la plus vive orgie,
L'esprit, sans force et sans clarté,

Ne trouve que la léthargie

De l'insipide oisiveté.

Cléon, depuis dix ans de fêtes et d'ivresse,

Frais, brillant d'embonpoint, ramené chaque jour

Entre la jeunesse et l'amour,

Dans le néant de la mollesse

Dort et végete tour-à-tour:

Lysis, depuis long-temps plongé dans les ténebres, Entre Hippocrate et les ennuis,

Libre de leurs chaînes funebres,

Vient de quitter enfin leurs lugubres réduits.
Observez-les tous deux dans une même fête:
Cléon n'y paroîtra que distrait ou glacé;
Tout glisse sur ses sens, nul plaisir ne s'arrête
Au fond de son cœur émoussé :

Tout charmera Lysis; cette nymphe est plus belle,
Cette sirene a mieux chanté,

D'un plus aimable feu ce champagne étincelle,
Ces convives joyeux sont la troupe immortelle,
Cette brune charmante est la Divinité.

Cléon est un sultan qu'un bonheur trop facile
Prive du sentiment, des ardeurs, des transports;
En vain de cent beautés une troupe inutile
Lui cherche des desirs; infructueux efforts!
Mahomet est au rang des morts.
Lysis, dans ses ardeurs nouvelles,
Est un voyageur de retour;

Éloigné des jeux et des belles,

Le plus triste vaisseau fut long-temps son séjour :
Il touche le rivage, à l'instant tout l'invite;
Et pour Lysis, dans ce beau jour,

La premiere Phyllis des hameaux d'alentour
Est la sultane favorite,

Et le miracle de l'Amour.

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