A M. ORRY,
CONTROLEUR-GÉNÉRAL.
NOUVEL an, compliments nouveaux,
Eternelle cérémonie,
Inépuisables madrigaux,
Vers dont on endort son héros, Courses à la cour qu'on ennuie: Faut-il qu'un sage s'associe A la procession des sots? Aussi, bien moins pour satisfaire Un usage fastidieux,
Que reconnoissant et sincere Pour un ministre généreux, J'aurois de la naissante année Donné la premiere journée A lui porter mes premiers vœux, Si par la bise impitoyable Qui vient d'enrhumer tout Paris, Je ne me fusse trouvé pris,
Et si, sur l'avis détestable D'un vieil empirique pendable, Je ne me fusse encor muni Des feux d'une fievre effroyable, Que je n'aurois point eus sans lui. Or, dans les chimeres qu'inspire Un transport, un brûlant délire, De fantômes environné, (Je m'en souviens) j'imaginai Que rayé du nombre des êtres, Par Hippocrate empoisonné, J'étois où gisent nos ancêtres; Là, près d'un fleuve infortuné, Et parmi la défunte troupe, Qui, pour passer à l'autre bord, Attendoit la noire chaloupe, M'occupant peu, m'ennuyant fort, Et ne sachant enfin que faire, (Car que fait-on quand on est mort?) Je rappelois ma vie entiere, Et ne reprochois rien au sort, Non, si par la métempsycose, Me disois-je, on quittoit ces lieux Pour revoir la clarté des cieux,
le choix suivît mes vœux, Je ne serois rien autre chose
Que ce que m'avoient fait les dieux.
Par un ministre digne d'eux,
Sans projet, sans inquiétude, Libre de toute servitude, Cherchant tour-à-tour et quittant Et le monde et la solitude, Entre les plaisirs et l'étude Je vivois obscur et content. D'un délire ce fut l'image, Il l'étoit de la vérité.
Vous, qui recevez mon hommage, D'un loisir qui fut votre ouvrage Confirmez la tranquillité; Ainsi, gravée en traits de flamme, La gratitude de mon sort, Immortelle comme mon ame,
Me suivra jusqu'au sombre bord.
DE M. THIROUX DE crosne
AVEC Mlle DE LA MICHODIERE. (JANVIER 1763.)
SUR un rivage solitaire
Où, malgré tout l'ennui du temps, Les frimas, la neige, les vents, Le jour triste qui nous éclaire, La tranquille raison préfere Un foyer champêtre écarté, Et le ciel de la liberté,
A l'étroite et lourde atmosphere Des paravents de la cité;
Au milieu du sombre silence
De la triste uniformité,
Et de toute la violence
D'un hiver qui sera cité, Et qui, soit dit sans vanité, Prête à nos champs de Picardie L'austere et sauvage beauté Des montagnes de Lapponie;
Un bon hermite confiné Dans sa cabane rembrunie, Et par cette bise ennemie, A son grand regret, dérouté Du charme d'occuper sa vie Dès la renaissante clarté, Et de l'habitude chérie D'aller voir avec volupté
Ses arbres, son champ, sa prairie, Parcouroit par oisiveté
Une multitude infinie
D'écrits nouveaux sans nouveauté,
De phrases sans nécessité,
Et de rimes sans poésie;
Et dans la belle quantité
Des œuvres dont nous gratifie
L'incurable Frivolité,
Et je ne sais quelle manie D'une pauvre célébrité, Il admiroit l'éternité
Des almanachs que le génie, Qui nous gagne de tout côté, Fabrique, réchauffe, amplifie, Pour éclairer l'humanité, Et réjouir la compagnie. Glacé, privé de tout rayon De cette lumiere féconde Qui colore, embellit, seconde L'heureuse imagination;
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