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ÉPITRE VII.

A M. ORRY,

CONTROLEUR-GÉNÉRAL.

NOUVEL an, compliments nouveaux,

Eternelle cérémonie,

Inépuisables madrigaux,

Vers dont on endort son héros,
Courses à la cour qu'on ennuie:
Faut-il qu'un sage s'associe
A la procession des sots?
Aussi, bien moins pour satisfaire
Un usage fastidieux,

Que reconnoissant et sincere
Pour un ministre généreux,
J'aurois de la naissante année
Donné la premiere journée
A lui porter mes premiers vœux,
Si par la bise impitoyable
Qui vient d'enrhumer tout Paris,
Je ne me fusse trouvé pris,

Et si, sur l'avis détestable
D'un vieil empirique pendable,
Je ne me fusse encor muni
Des feux d'une fievre effroyable,
Que je n'aurois point eus sans lui.
Or, dans les chimeres qu'inspire
Un transport, un brûlant délire,
De fantômes environné,
(Je m'en souviens) j'imaginai
Que rayé du nombre des êtres,
Par Hippocrate empoisonné,
J'étois où gisent nos ancêtres;
Là, près d'un fleuve infortuné,
Et parmi la défunte troupe,
Qui, pour passer à l'autre bord,
Attendoit la noire chaloupe,
M'occupant peu, m'ennuyant fort,
Et ne sachant enfin que faire,
(Car que fait-on quand on est mort?)
Je rappelois ma vie entiere,
Et ne reprochois rien au sort,
Non, si par la métempsycose,
Me disois-je, on quittoit ces lieux
Pour revoir la clarté des cieux,

Et

que

le choix suivît mes vœux, Je ne serois rien autre chose

Que ce que m'avoient fait les dieux.

Par un ministre digne d'eux,

Sans projet, sans inquiétude,
Libre de toute servitude,
Cherchant tour-à-tour et quittant
Et le monde et la solitude,
Entre les plaisirs et l'étude
Je vivois obscur et content.
D'un délire ce fut l'image,
Il l'étoit de la vérité.

Vous, qui recevez mon hommage,
D'un loisir qui fut votre ouvrage
Confirmez la tranquillité;
Ainsi, gravée en traits de flamme,
La gratitude de mon sort,
Immortelle comme mon ame,

Me suivra jusqu'au sombre bord.

m

EPITRE VIII.

SUR LE MARIAGE

DE M. THIROUX DE crosne

AVEC Mlle DE LA MICHODIERE. (JANVIER 1763.)

SUR un rivage solitaire

Où, malgré tout l'ennui du temps,
Les frimas, la neige, les vents,
Le jour triste qui nous éclaire,
La tranquille raison préfere
Un foyer champêtre écarté,
Et le ciel de la liberté,

A l'étroite et lourde atmosphere
Des paravents de la cité;

Au milieu du sombre silence

De la triste uniformité,

Et de toute la violence

D'un hiver qui sera cité,
Et qui, soit dit sans vanité,
Prête à nos champs de Picardie
L'austere et sauvage beauté
Des montagnes de Lapponie;

Un bon hermite confiné
Dans sa cabane rembrunie,
Et par cette bise ennemie,
A son grand regret, dérouté
Du charme d'occuper sa vie
Dès la renaissante clarté,
Et de l'habitude chérie
D'aller voir avec volupté

Ses arbres, son champ, sa prairie,
Parcouroit par oisiveté

Une multitude infinie

D'écrits nouveaux sans nouveauté,

De phrases sans nécessité,

Et de rimes sans poésie;

Et dans la belle quantité

Des œuvres dont nous gratifie

L'incurable Frivolité,

Et je ne sais quelle manie
D'une pauvre célébrité,
Il admiroit l'éternité

Des almanachs que le génie,
Qui nous gagne de tout côté,
Fabrique, réchauffe, amplifie,
Pour éclairer l'humanité,
Et réjouir la compagnie.
Glacé, privé de tout rayon
De cette lumiere féconde
Qui colore, embellit, seconde
L'heureuse imagination;

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