Ne découvrant de son pupitre Que les glaces de ce vallon, Ces bois courbés sous l'aquilon, Ces tapis d'albâtre et de nitre Étendus jusqu'à l'horizon; Loin d'avoir la prétention Et le moindre goût d'en décrire La sombre décoration,
Se trouvant digne au plus de lire, Il n'auroit guere imaginé Qu'il alloit oublier l'empire De l'hiver le plus obstiné, Et se donner les airs d'écrire.
Dans ce morne et pesant repos Une lettre charmante arrive
Des bords toujours chers et nouveaux Que baigne et pare de ses eaux La Seine à regret fugitive. O traits enchanteurs et puissants! O prompte et céleste magie D'un souvenir vainqueur des ans! Aux accents d'une voix chérie Qui peut tout sur ses sentiments, Et qui sait parer tous les temps Des roses d'un heureux génie, L'habitant désœuvré des champs A cru voir pour quelques instants
Sa solitude refleurie
Briller des couleurs du printemps, Et le rappeler à la vie,
A l'air pur des bois renaissants. Loin de la triste compagnie Des brochures et des écrans, Affranchi de sa léthargie, Dans une heureuse rêverie, A Crosne il s'est cru transporté; Crosne, ce pays enchanté De la belle et simple nature, De l'esprit sans méchanceté, Du sentiment sans imposture, Et de cette franche gaîté, Toujours nouvelle, toujours pure, Et si bonne pour la santé. L'éclat du plus beau jour de fête Y faisoit briller ce bonheur, Cette éloquente voix du cœur, Ce plaisir que nul art n'apprête: Un nouvel époux radieux Venoit d'amener en ces lieux
Sa jeune et brillante conquête; les applaudissements
Précédoient et suivoient leurs traces;
A leurs chiffres resplendissants
La gloire unissoit ceux des graces,
Et du génie et des talents;
Et, sous ses auspices fideles Garantissant leur sort heureux, L'amitié couronnoit leurs nœuds De ses guirlandes immortelles. Un solennel complimenteur, Un long faiseur d'épithalames, Déploieroit ici sa splendeur
En beaux grands vers, en anagrammes, En refrains de chaînes, d'ardeurs, De beaux destins, de belles flammes; Il viendroit, traînant après lui Son édition bien pliée,
Bien pesante, bien dédiée, Mêler les crêpes de l'ennui Aux atours de la mariée. Mais laissons dans tout leur repos Les galants innocents propos Dont les chansonniers de familles, Et les aiglons provinciaux
Forment leurs longues cantatilles,
Leurs vieux impromptus, leurs rondeaux, Toutes leurs flammes si gentilles, Et leurs perfides madrigaux. Le sévere et måle génie Du sage et brillant Despréaux S'indigneroit si l'ineptie De tous ces vers de coterie,
De fadeurs, de mauvais propos,
Profanoit Crosne, sa patrie,
Et, par des sons fastidieux,
Troubloit le charme et l'harmonie
De la fête de ces beaux lieux.
Pour combler les plus tendres nœuds, Que cette union fasse naître D'illustres rejetons nombreux, Dans qui la patrie et le maître Puissent en tout temps reconnoître Des cœurs dignes de leurs aïeux! A l'unanime et vrai suffrage Et de la ville et de la cour, Si du fond d'un simple hermitage On peut allier en ce jour
Un champêtre et naïf hommage; Parmi les lauriers et l'encens, Les roses, les myrtes naissants, Dont les parfums et la parure. Entourent deux époux charmants La bonhomie à l'aventure
Vient mêler une fleur des champs, Le symbole des jeunes gens,
Et le bouquet de la nature.
Les pompons,
les vernis du temps,
L'esprit des mots, l'enfantillage, Les gaîtés de tant de plaisants Si facétieux, si pesants, Le sophistique persiflage,
L'air singulier, les tons tranchants, N'ornent point de leurs agréments Ce tribut d'un climat sauvage; Loin des tourbillons enchanteurs Du bel esprit et du ramage, Loin des bons airs et de l'usage, On n'a que les antiques mœurs, Le bon vieux sens de son village, De l'amitié, du radotage, Un cœur vrai, de vieilles erreurs, Avec un gothique langage. Malgré ces défauts importants, Ces miseres du bon vieux temps, Qui seroient l'absurdité même, Et d'un ridicule suprême Aux regards de nos élégants,
vous, pour qui dans ces instants J'ai repris avec confiance
Des crayons oubliés long-temps, Pardonnez-en la négligence; Ne voyez que les sentiments Qui me tracent, malgré l'absence, Vos fêtes, vos enchantements, Et me rendent votre présence. Connoissant bien la sûreté De votre goût sans inconstance, Votre amour pour la vérité, L'air naturel, la liberté,
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