En voyant sortir des enfers
Des cyprès, des lauriers, des fers, La Mort, la Gloire, et le Délire. Ces masses de bronze et d'airain, Où l'art sinistre de la guerre Renferme les feux du tonnerre, Deja sur leur affreux chemin Écrasent dans le sein de Flore Les myrtes, les roses, le thym, Qu'un ciel plus doux faisoit éclore. Déja le laboureur déplore
Ses sillons foulés et détruits. Au lieu des plantes et des fruits Dont elle alloit être parée, La terre aride et déchirée Se couvre d'un horrible amas De tentes, d'armes, de soldats; Et cette mere languissante Gémit en voyant ses enfants Étouffer la moisson naissante Pour se creuser des monuments.
O vous qu'à regret j'envisage Dans ces dangers et ces travaux, Vous qui les cherchez en héros, Et les voyez des yeux du sage, Quand reverrai-je l'heureux temps Où, la paix calmant les ravages, Et laissant vivre les vivants,
Vous reviendrez sur nos rivages Cueillir les fleurs de vingt printemps, Et partager sous nos ombrages Le sort sensé des bonnes gens, Loin des querelles d'Allemands, Des pandoures antropophages, Et tels autres mauvais plaisants! Hâtez-vous sous l'astre propice D'un roi que suivent constamment L'Amour, la Victoire, et Maurice: Consommez l'asservissement
De ces fiers et foibles Bataves Qui, craignant leur dernier moment, Viennent tumultuairement
De se redonner des entraves
Proscrites solennellement
Par leurs ancêtres moins esclaves; A notre destin immortel Ramenez ces moments illustres, Ces conquêtes dont le Texel Tremble encore après quinze lustres. Quel boulevard résistera
Au vainqueur qui le redemande? Le même Mars regne, commande;
Le même sort obéira.
Sur les remparts de la Hollande Allez, arborez la guirlande Des lis qu'ils ont portés déja;
Et ramenez à l'opéra
Les présidentes de Zélande
Et les baronnes de Bréda;
Afin que, si l'effroi, la haine, Ou le vain désespoir entraîne Les époux à Batavia,
On puisse, comme il conviendra, Consoler la haute puissance De leurs veuves pendant l'absence; Et que jonquille et nacara Fassent les honneurs de la France A la sotte qui les prendra.
Mais quelle vaine et chere image M'entretient déja du retour, Quand nous sommes si loin du jour Qui doit finir votre esclavage? Jusque-là quel affreux tourment! Quel vuide! quel désœuvrement! Que d'ennui, qu'en vain on évite, Et qu'on retrouve à tout moment, Vous attend, vous suit, vous agite! Que le camp le plus triomphant Pese au vrai sage qui l'habite! Au milieu des sots embarras, Des longs dîners et du fracas De tant de gens braves et plats Que l'éternelle Flandre assemble, Je ne vous plaindrai pourtant pas,
Si vous êtes souvent ensemble: Dans ce pays triste et perdu, Vous trouvez et vous pouvez rendre La douceur de causer, d'entendre, Et le plaisir d'être entendu: Parmi les ennuis de la gloire, L'air grivois et le mauvais ton De ce peuple à cravate noire, Qui n'a de conversation Que pour dîner avec Grégoire
pour souper avec Fanchon: Dans cette troupe non lettrée De petits messieurs si parfaits, Si ridicules, si ginguets, Dans la populace dorée
De jeunes et vieux freluquets, L'un de l'autre ressource heureuse, Vous vous dédommagez tous deux De tant de milliers d'ennuyeux Qui bordent la Dyle et la Meuse; Et, sous les tonnerres de Mars Philosophes libres et calmes, Des muses et de tous les arts Vous joindrez les fleurs à ces palmes Qui couronnent vos étendards: Ainsi sous le ciel atlantique,
Et près du tombeau de Didon, Lélius avec Scipion
Retrouvoit Rome dans l'Afrique; Dans cette pompe et ce fracas De faisceaux, d'aigles, de combats, Aux champs du barbare Gétule, Tous deux se rendoient les loisirs, Les arts, la langue, les plaisirs Et de Tibur et de Tuscule.
Faits, comme eux, pour les agréments De l'heureuse philosophie,
Vous adorez les arts charmants De l'Attique et de l'Ausonie.
Et ce n'est point la flatterie Qui vous joint à ces noms brillants Dans le temple de Polymnie; Détestant le fade jargon De la basse cajolerie, Je ne chante que la raison, La vertu, l'ame, le génie; Et je ne donne rien au nom, A qui la foule sacrifie.
Oui, si vous n'aviez à mes yeux Que les rangs, les titres nombreux Des ducs, des pairs, des connétables, Mes hommages indépendants N'inscriroient pas vos noms durables Dans les fastes vainqueurs des temps: Des esprits vrais et raisonnables, invariables,
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