Qu'ils pourront bien faire la route A leur honneur, frais et fleuris, Grace au tissu de leurs habits: Un autre eût dit, grace à la voûte Sous laquelle ils sont établis; Et des savants lourds, peu polis, Diroient crûment, grace à la croûte. Un bon campagnard du canton, Sachant leur destination, Et séduit par l'heureuse image Du terme de leur mission, De grand cœur partiroit, dit-on, Pour revoir ce brillant rivage: Non que dans ses déserts chéris Il éprouve l'impatience
D'aller retrouver à Paris
Le bruit, le faste, l'importance,
Les grands plaisirs, les grands ennuis, Les courts succès prônés d'avance, Les nouveautés de tous pays,
Les chefs-d'œuvre sans conséquence, Et ces tourbillons infinis
D'intrigues, d'airs, et d'élégance, Où l'amitié, sans consistance, N'est plus qu'une gaze, un vernis, Le voile de l'indifférence, Des faussetés et du mépris; Où ce bon honneur de jadis
N'est plus qu'une foible nuance, L'air du bonheur, un coloris Qui couvre à peine l'indigence De nos cœurs vuides et flétris; Et l'esprit, ou son apparence, Ses tours de force, ses propos, Une lassante contredanse De sauts périlleux et de mots. Sans doute on est bien imbécille Et rouillé bien profondément D'avoir si peu d'empressement Pour les fêtes, le goût, le style De ce peuple doré, charmant, Loin de qui vraisemblablement Tout est triste, gauche, stérilę, Et d'un gothique accoutrement; Tous ces provinciaux ignares, Qui s'avisent d'être contents, Sont bien à plaindre, bien bizarres Dans leur bonheur de bonnes gens. Pour faire aussi l'aveu sincere De son mauvais goût, si contraire A tant d'incroyables talents Qui font bruire en ces moments Dans tout le globe littéraire Les bombes, les petits volcans; S'il eût été, loin de nos champs, A travers les glaces de l'Ourse,
Revoir la ville du printemps, Il n'auroit point fait cette course, Par des desirs bien violents
-D'aller recueillir à la source
L'ambre et l'or des parleurs du temps, Ces distributeurs éclatants
De la phrase et de la lumiere, De leur siecle docteurs régents, Nouveaux copistes de vieux plans, Où, sous un ciel à leur maniere, Enfin la vérité premiere, Jusqu'ici cachée au bon sens, Dicte ses lois par leurs accents; Scene vaste, sombre, profonde, Où, grace à leurs rayons puissants, On voit sautiller à la ronde Les lampions resplendissants D'une raison neuve et féconde
Que, jusqu'à leurs jours bienfaisants, Ignoroit encore le monde,
pauvre enfant de six mille ans. Ce grand spectacle de notre âge, Ces bruyants hochets du moment, Tous ces objets également De plaisanterie et d'hommage, De ridicule et d'engoûment, Pour la multitude volage
Qui prône et siffle en un instant
Les brochures de tout étage,
Et la fureur et le néant
De vouloir être un personnage; Toutes ces clartés de passage Séduiroient médiocrement
Un Gaulois sans beaucoup d'usage, Borné tout naturellement
A la simplesse du vieil âge, Et qui n'auroit point l'avantage De saisir assez lestement Le sentencieux persiflage Du sophistique enivrement, Ni de sentir bien vivement Cet éternel enfantillage
Du ton qui veut être plaisant, Tous ces grands rires d'un moment
De tant de gens gais tristement, Et ce délicieux ramage,
Ce jargon d'un ennui charmant: Il n'auroit quitté sa retraite Que pour un asile enchanté, Dont il connoît, dont il regrette L'agrément, la tranquillité, Les jours sans inégalité, L'esprit au ton de la nature, L'amitié franche, la droiture, Et cette si bonne gaîté, La compagne fidele et sûre
Du bonheur et de la santé. Plein de cette image si chere, S'il avoit pu tout uniment Quitter son manoir solitaire Sans braver fort imprudemment Un oracle de l'atmosphere, Au lieu d'être, dans cet instant, A tracer sur un froid pupitre Cette longue petite épître, Qu'il vous griffonne en grelotant, Déja bien loin, et bien content, Presque aux deux tiers de sa journée, Il auroit vu, courant les champs, Huit ou neuf postillons jurants Contre la course et la gelée, Tous à-peu-près aussi riants, Tous avec mêmes agréments, Air transi, voix rauque, altérée, Oeil larmoyant, face empourprée, Rhume dont on ne connoît La naissance ni la durée,
Pelisse de toile cirée
Sous une gaze de frimas,
Ceinture de neige entourée,
Bonnet de peau d'ours presque ras, D'où l'on voit descendre assez bas En ligne droite et bien tirée Des cheveux lustrés de verglas,
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