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S'ils sentoient le mal du voisin
Que leur tendre goût supplicie,
Et qui, chaque jour plus chagrin,
Plus écrasé de symphonie,

Jure d'aller le lendemain
Consulter, pour prendre à partie
Son mélodieux assassin,
Et s'instruire (preuve servie)
Par un délibéré certain,
Si cette peste du matin
(La lyrique épizootie)
N'est pas un moyen souverain

Pour casser un bail même à vie,
Et si la coutume contient,

Sous le titre des servitudes,

Jusqu'à quel point la loi soutient
L'amateur faisant ses études!

C'est peu que le talent bénin,
La tant douce monotonie

De ces messieurs, dont tout est plein,
Occupe, amuse, gratifie,

Charme leur plus proche voisin,
Heureux de la premiere main
Sous le feu même du génie;
Leur épidémique harmonie,
De proche en proche s'abaissant
Sur le quartier, sur le passant,
Vous fait bâiller la compagnie;

Et du symphoniste argentin
Doublant le rôle et la couronne,
Unit, dans son brillant destin,
Au don d'ennuyer en personne
L'art d'ennuyer dans le lointain.
Je ne sais trop si je m'explique :
Au reste, si ces traits galants
Présentent mal de la musique
Les matineux freres servants,
Il ne faut que changer l'adresse:.
Vous aurez, presque aux mêmes traits,
Des amateurs de pire espece,

Ces longs liseurs de verselets
D'une pesante gentillesse,

Ces porteurs d'odes, de couplets,
De madrigaux et de bouquets
D'une fadeur enchanteresse,
Tous gens couronnés de leur main,
D'autant plus mortels au prochain,
Que, si leur beau feu vous approche,
Sans dire gare, armés soudain,
Ils tirent la mort de leur poche.
Non contents d'amuser Paris,
Leur gloire va gagnant pays
Par la renommée ou le coche;
Les confidences, les honneurs
De leurs personnelles lectures
Étendant bientôt leurs faveurs,

Par la presse, par les voitures,
Sur nos lointains sement les fleurs
Avec l'opium des brochures;
Et leurs guirlandes et leurs fruits,
Portant leur parfum spécifique
Par-delà nos climats séduits,
Vont faire bâiller l'Amérique.
Je crains leur rôle, et je m'enfuis.

ÉPITRE XX.

J

FRAGMENT

DU CHARTREUX,

Au sujet d'une femme qu'il avoit connue.

E me rappelle avec transport

Les lieux et l'instant où le sort

M'offrit cette nymphe chérie

Dont un regard porta la vie
Dans un cœur qu'habitoit la mort.

Félicité trop peu durable!
Il passa, ce songe enchanteur;
Et je n'apperçus le bonheur
Que pour être plus misérable.

La paix de ce morne séjour
Ne peut appaiser ma blessure;
Pour jamais je sens que l'Amour

Habitera ma sépulture.

En vain tout offre dans ce lieu
De la mort l'affreuse livrée;
D'épines, de croix entourée,
La mort n'écarte point ce dieu :
Par lui mon antre funéraire
Brille des plus vives couleurs;
Et ses mains répandent des fleurs
Sur les cilices et la haire.

Déja le bruit lugubre et lent
De l'airain aux accents funebres
Me dérobe à l'enchantement
Et m'appelle dans les ténebres;
Déja dans un silence affreux,
Sous un long cloître ténébreux,
Que terminent des lampes sombres,
Je vois errer les pâles ombres
Des solitaires de ces lieux.

A travers leur dehors sauvage
Ces lentes victimes du temps,
Ces fantômes, ces pénitents,
Dans un éternel esclavage
Me semblent libres et contents
Sous le poids des fers et de l'âge.

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