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III.

A M. LE DUC

DE SAINT-AIGNAN,

Ambassadeur de France à Rome.

QUITTE

ces bois, Muse bergere,
Vole vers une aimable cour:
Tu n'y seras point étrangere,
Tes sœurs habitent ce séjour.

Leur art divin dans les beaux àges Charmoit les plus fiers conquérants: Il est encor l'amour des

sages;

Mais il n'est plus l'amour des grands.

Art chéri, si Plutus t'exile,
Si les cours ignorent ton prix,
Il te reste un illustre asile,
Un Parnasse à tes favoris.

De tes beautés arbitre juste,

Un héros chérit tes lauriers;
Tel Pollion, aux jours d'Auguste,
Joignoit le goût aux soins guerriers.

Des chantres vantés d'Ausonie
Mécene fut le protecteur;

Mais de leur sublime harmonie
Il ne fut point l'imitateur.

L'ami des chantres de la Seine
Unit dans un éclat égal

Au plaisir d'être leur Mécene
Le talent d'être leur rival.

Tu sais, Muse, de quelle grace
Sa lyre anime une chanson;
On croit entendre encore Horace,
Ou l'élégant Anacréon.

Du Romain il a la justesse,

Du Grec l'atticisme charmant;

Comme eux il offre la

sagesse

Sous les attraits de l'enjoûment.

Oseras-tu de ta musette

Lui répéter les simples airs?
Ose; ta candeur, ta houlette,
Excusent tes foibles concerts.

On t'a dit sous quel titre illustre
Le Tage autrefois l'admira;

A des succès d'un plus grand lustre
Bientôt le Tibre applaudira.

Sur les campagnes de Neptune
Tu verras partir ton héros.
Si tu peux, sans être importune,
Ose lui parler en ces mots:

Digne fils d'un aimable pere,
Héritier de ses agréments,
Imitateur d'un sage frere*,
Héritier de ses sentiments;

Chargé des droits de la couronne,
Allez, montrez dans cet emploi
Que, sans être né sur le trône,

On

peut penser et vivre en roi.

Quand votre esprit tranquille et libre
Se permettra quelques loisirs,

Aux beaux lieux que baigne le Tibre
Je vois quels seront vos plaisirs.

M. le duc de Beauvilliers, gouverneur des duchés de Bourgogne, d'Anjou, et de Berri.

Aux beaux vers toujours favorable,
Toujours sensible aux tendres arts,
Vous ramenerez l'âge aimable
Qu'ils durent aux premiers Césars.

On n'y voit plus leur cour antique
Séjour des héros de Phébus:
C'est encor Rome magnifique,
Mais Rome savante n'est plus.

De tant de sublimes génies
Il ne reste chez leurs neveux
Que les chants où leurs symphonies
Charmerent l'oreille des Dieux.

Vous chérirez cette contrée,
Et les précieux monuments
Où leur mémoire consacrée
Survit à la suite des temps.

Là de Ménandre, autre Lélie,
Reprenant l'antique pinceau,
Vous tracerez l'art de Thalie
A quelque Térence nouveau.

Vous aimerez ces doux asiles,
Ces bois où le chant renommé
Des Ovides et des Virgiles

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Attiroit Auguste charmé.

Dans ces solitudes chéries
De la brillante antiquité
Des poétiques rêveries
Vous chercherez la volupté.

De Tibur vous verrez des traces;

Et sur ce rivage charmant

Vous vous direz: Ici les

graces

De Glycere inspiroient l'amant;

Là du luth galant de Catulle
Lesbie animoit les doux sons;
Ici Properce, ici Tibulle,
Soupiroient de tendres chansons.

Aux tombeaux de ces morts célebres Vénus répand encor des pleurs ; L'Amour sur leurs urnes funebres Attend encor leurs successeurs.

Il garde leurs lyres muettes,
Qu'aucun mortel n'ose toucher,
Et leurs hautbois et leurs trompettes
Que l'on ne sait plus emboucher.

Près de la flûte de Pétrarque

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