Avant d'ôter à la vie Celle dont j'écris le sort, Le ciel vous l'avoit ravie Par une premiere mort; D'un monde que l'erreur vante Une retraite fervente Lui fermoit tous les chemins; Pour Dieu seul encor vivante, Elle étoit morte aux humains.
La victime, Dieu propice, A l'autel * alloit marcher: Déja pour le sacrifice L'amour saint dresse un bûcher, L'encens, les fleurs, tout s'apprête; Bientôt ta jeune conquête... Mais quels cris? qu'entend-je? Hélas ! J'allois chanter une fête, Il faut pleurer un trépas.
Ainsi périt une rose Que frappe un souffle mortel; On la cueille à peine éclose Pour en parer un autel: Depuis l'aube matinale
* Elle étoit sur le point de faire profession. Elle prononça ses voeux avant d'expirer.
La douce odeur qu'elle exhale Parfume un temple enchanté; Le jour fuit, la nuit fatale Ensevelit sa beauté.
Ciel, nous plaignons sa jeunesse Dont tes lois tranchent le cours; Mais aux yeux de ta sagesse Elle avoit assez de jours. Ce n'est point par la durée Que doit être mesurée La course de tes élus, La mort n'est prématurée Que pour qui meurt sans vertus.
Vous donc, l'objet de mes rimes, Ne pleurez point son bonheur; Par ces solides maximes Raffermissez votre cour. Que l'arbitre des années, Dieu, qui voit nos destinées Éclore et s'évanouir, Joigne à vos ans les journées Dont elle auroit dû jouir!
Quelle Furie au teint livide Souffle en ces lieux un noir venin? Sa main tient ce fer parricide Qui d’Agrippine ouvrit le sein; L'insensible Oubli, l'Insolence, Les sourdes Haines, en silence Entourent ce monstre effronté, Et tour-à-tour leur main barbare Va remplir sa coupe au Tartare Des froides ondes du Léthé.
Ingratitude, de tels signes Sont tes coupables attributs : Parmi tes bassesses insignes Quel silence assoupit Phébus? Trop long-temps tu fus épargnée; Sur toi de ma muse indignée Je veux lancer les premiers traits :
Heureux, même en souillant mes rimes Du récit honteux de tes crimes, Si j'en arrête le progrès !
Naissons-nous injustes et traîtres ? L'homme est ingrat dès le berceau; Jeune, sait-il aimer ses maîtres? Leurs bienfaits lui sont un fardeau; Homme fait, il s'adore, il s’aime, Il rapporte tout à lui-même, Présomptueux dans tout état; Vieux enfin, rendez-lui service, Selon lui c'est une justice: Il vit superbe, il meurt ingrat.
Parmi l'énorme multitude Des vices qu’on aime et qu'on suit, Pourquoi garder l'ingratitude, Vice sans douceur et sans fruit? Reconnoissance officieuse, Pour garder ta loi précieuse, En coûte-t-il tant à nos cours? Es-tu de ces vertus séveres Qui par des regles trop austeres Tyrannisent leurs sectateurs?
Sans doute il est une autre cause De ce lâche oubli des bienfaits :
L'Amour-propre en secret s'oppose A de reconnoissants effets; Par un ambitieux délire Croyant lui-même se suffire, Voulant ne rien devoir qu'à lui, Il craint dans la reconnoissance Un témoin de son impuissance, Et du besoin qu'il eut d'autrui.
Paré d'une ardeur complaisante, Pour vous ouvrir à la pitié, L'ingrat à vos yeux se présente Sous le manteau de l'amitié; Il rampe,
adulateur servile: Vous pensez, à ses voux facile, Que vous allez faire un ami. Triste retour d'un noble zele! Vous n'avez fait qu'un infidele, Peut-être même un ennemi.
Déja son oeil fuit votre approche, Votre présence est son bourreau; Pour s'affranchir de ce reproche Il voudroit voir votre tombeau. Monstre des bois, race farouche, On peut vous gagner, on vous touche, Vous sentez le bien qu'on vous fait; Seul, des monstres le plus sauvage,
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