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Conclusion; Ver-Vert est mis en cage:
On se résout, sans tarder davantage,
A renvoyer le parleur scandaleux.
Le pélerin ne demandoit pas mieux.
Il est proscrit, déclaré détestable,
Abominable, atteint et convaincu
D'avoir tenté d'entamer la vertu
Des saintes sœurs : toutes de l'exécrable
Signent l'arrêt, en pleurant le coupable;
Car quel malheur qu'il fût si dépravé,
N'étant encor qu'à la fleur de son âge,
Et qu'il portât, sous un si beau plumage,
La fiere humeur d'un escroc achevé,
L'air d'un païen, le cœur d'un réprouvé!

Il part enfin, porté par la touriere,
Mais sans la mordre en retournant au port:
Une cabane emporte le compere,

Et sans regret il fuit ce triste bord.

De ses malheurs telle fut l'Iliade. Quel désespoir, lorsqu'enfin de retour Il vint donner pareille sérénade, Pareil scandale en son premier séjour! Que résoudront nos sœurs inconsolables? Les yeux en pleurs, les sens d'horreur troublés, En manteaux longs, en voiles redoublés, Au discrétoire entrent neuf vénérables : Figurez-vous neuf siecles assemblés.

Là, sans espoir d'aucun heureux suffrage,

Privé des sœurs qui plaideroient pour lui,
En plein parquet enchaîné dans sa cage,
Ver-Vert paroît sans gloire et sans appui.
On est aux voix : déja deux des sibylles
En billets noirs ont crayonné sa mort;
Deux autres sœurs, un peu moins imbécilles,
Veulent qu'en proie à son malheureux sort
On le renvoie au rivage profane

Qui le vit naître avec le noir brachmane;
Mais de concert les cinq dernieres voix
Du châtiment déterminent le choix :
On le condamne à deux mois d'abstinence,
Trois de retraite, et quatre de silence;
Jardins, toilette, alcoves, et biscuits,
Pendant ce temps lui seront interdits.
Ce n'est point tout: pour comble de misere,
On lui choisit pour garde, pour geoliere,
Pour entretien, l'Alecton du couvent,
Une converse, infante douairiere,
Singe voilé, squelette octogénaire,
Spectacle fait pour l'œil d'un pénitent.
Malgré les soins de l'Argus inflexible,
Dans leurs loisirs souvent d'aimables sœurs,
Venant le plaindre avec un air sensible,
De son exil suspendoient les rigueurs:
Sœur Rosalie, au retour de matines,
Plus d'une fois lui porta des pralines;
Mais, dans les fers, loin d'un libre destin.

Tous les bonbons ne sont que chicotin.

Couvert de honte, instruit par l'infortune, Ou las de voir sa compagne importune, L'oiseau contrit se reconnut enfin:

Il oublia les dragons et le moine;
Et, pleinement remis à l'unisson
Avec nos sœurs pour l'air et

pour

le

ton,

Il redevint plut dévot qu'un chanoine.
Quand on fut sûr de sa conversion,
Le vieux divan, désarmant sa vengeance,
De l'exilé borna la pénitence.

De son rappel, sans doute, l'heureux jour
Va pour ces lieux être un jour d'alégresse;
Tous ses instants, donnés à la tendresse,
Seront filés par la main de l'Amour.
Que dis-je ? hélas! ô plaisirs infideles!
O vains attraits de délices mortelles!
Tous les dortoirs étoient jonchés de fleurs;
Café parfait, chansons, course légere,
Tumulte aimable, et liberté pléniere;
Tout exprimoit de charmantes ardeurs,
Rien n'annonçoit de prochaines douleurs:
Mais, de nos sœurs ô largesse indiscrete!
Du sein des maux d'une longue diete
Passant trop tôt dans des flots de douceurs,
Bourré de sucre, et brûlé de liqueurs,
Ver-Vert, tombant sur un tas de dragées,
En noirs cyprès vit ses roses changées.

En vain les sœurs tâchoient de retenir
Son ame errante et son dernier soupir;
Ce doux excès hâtant sa destinée,
Du tendre amour victime fortunée,
Il expira dans le sein du plaisir.
On admiroit ses paroles dernieres.
Vénus enfin, lui fermant les paupieres,
Dans l'Élysée et les sacrés bosquets
Le mene au rang des héros perroquets,
Près de celui dont l'amant de Corine
A pleuré l'ombre et chanté la doctrine.
Qui peut narrer combien l'illustre mort
Fut regretté? La sœur dépositaire
En composa la lettre circulaire

D'où j'ai tiré l'histoire de son sort.
Pour le garder à la race future,
Son portrait fut tiré d'après nature.
Plus d'une main, conduite par l'amour,
Sut lui donner une seconde vie
Par les couleurs et par la broderie;
Et la Douleur, travaillant à son tour,
Peignit, broda des larmes à l'entour.
On lui rendit tous les honneurs funebres
Que l'Hélicon rend aux oiseaux célebres.
Au pied d'un myrte on plaça le tombeau
Qui couvre encor le Mausole nouveau :
Là, par la main des tendres Artémises,
En lettres d'or ces rimes furent mises

Sur un porphyre environné de fleurs :
En les lisant on sent naître ses pleurs:

<< Novices, qui venez causer dans ces bocages
« A l'insu de nos graves sœurs,

<< Un instant, s'il se peut, suspendez vos ramages; « Apprenez nos malheurs.

<< Vous vous taisez: si c'est trop vous contraindre << Parlez, mais parlez pour nous plaindre;

« Un mot vous instruira de nos tendres douleurs : << Ci gît Ver-Vert, ci gisent tous les cœurs. >>

On dit pourtant (pour terminer ma glose
En peu de mots) que l'ombre de l'oiseau
Ne loge plus dans le susdit tombeau;
Que son esprit dans les nonnes repose,
Et qu'en tout temps, par la métempsycose,
De sœurs en sœurs l'immortel perroquet
Transportera son ame et son caquet.

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