Les chants vantés des bergeries; C'est qu'il n'est plus de vrais bergers.
Dès qu'une frivole harmonie, Asservissant mes libres sons, Eut de la moderne ** Ausonie Banni mes premieres chansons, De ces plaines dégénérées, France, je vins dans tes contrées: J'espérois mieux de tes leçons.
Alcidor ** sut calmer ma peine Par ses airs naïfs et touchants; Galantes Nymphes de Touraine, Il charmoit vos aimables champs: Mourant, il laissa sa musette Au jeune amant de Timarete *3. Dont l'Orne admira les doux chants.
Mais quand le paisible Élysée Posséda Racan et Segrais, Lorsque leur flûte fut brisée,
* On reproche les concetti et les pensées trop aux bergers italiens de Guarini, de Bonarelli, du cavalier Marini, etc.
** Acteur des Bergeries de M. le marquis de Racan, né en Touraine.
* Bergere des Idylles de M. de Segrais, né à Caen.
L'Idylle perdit ses attraits: A peine la muse fleurie
D'un nouveau berger de Neustrie* En sauva-t-elle quelques traits.
Bientôt Flore vit disparoître Cette heureuse naïveté
Qui de mon empire champêtre Faisoit la premiere beauté : N'entendant plus aucun Tityre, N'ayant rien d'aimable à redire, L'écho se tut épouvanté.
La bergere, outrant sa parure, N'eut plus que de faux agréments; Le berger, quittant la nature, N'eut plus que de faux sentiments; Et ce qu'on appelle l'églogue Ne fut plus qu'un froid dialogue D'acteurs dérobés aux romans.
Leur voix contrainte ou doucereuse Mit les Dryades aux abois; Leur guitare trop langoureuse Endormit les oiseaux des bois; Les Amours en prirent la fuite,
Et vinrent pleurer à ma suite La perte des premiers hautbois.
Tendres Muses de cet empire, Oh! si, sortant de chez les morts, Virgile, pour qui je soupire, Ranimoit sa voix sur vos bords, S'il quittoit sa langue étrangere, Parlant la vôtre pour vous plaire, Vous trouveriez mès vrais accords!
A ces mots la déesse agile
Fuit au travers des bois naissants... Viens donc, parois, heureux Virgile; De vingt siecles reçois l'encens: Chez les Nymphes de ce rivage, Berger françois, gagne un suffrage Qui manque encore à tes accents.
Sous quelque langue qu'elle chante, Ta muse aura ton air charmant: Telle qu'une beauté touchante Qui plaît sous tout habillement; Tout lui sied bien, rien ne l'efface; Pour elle une nouvelle grace Naît d'un nouvel ajustement.
Viens sur les Tyrcis de Mantoue
Réformer ceux de ce séjour;
Rends-nous ce goût qu'Euterpe avoue: Guidé par toi, l'enfant Amour Ne viendra plus dans nos montagnes Parler aux Nymphes des campagnes Comme il parle aux Nymphes de cour.
Affranchis l'églogue captive, Tire-la des chaînes de l'art; Qu'elle soit tendre, mais naïve, Belle sans soin, vive sans fard; Que dans des routes naturelles Elle cueille des fleurs nouvelles, Sans les chercher trop à l'écart.
En industrieuse bergere Qu'elle dépeigne les forêts, Mais sur une toile légere, Sans des coloris indiscrets; Et que jamais le trop d'étude N'y contraigne aucune attitude, Ni ne charge trop les portraits.
La nature sur chaque image Doit guider les traits du pinceau; Tout doit y peindre un paysage, Des jeux, des fêtes sous l'ormeau: L'œil est choqué s'il voit reluire
Les palais, l'or, et le porphyre, Où l'on ne doit voir qu'un hameau.
Il veut des grottes, des fontaines, Des pampres, des sillons dorés,
Des prés fleuris, de vertes plaines, Des bois, des lointains azurés; Sur ce mélange de spectacles Ses regards volent sans obstacles, Agréablement égarés.
Là, dans leur course fugitive, Des ruisseaux lui semblent plus beaux Que ces ondes que l'art captive Dans un dédale de canaux,
Et qu'avec faste et violence
Une sirene au ciel élance, Et fait retomber en berceaux.
Sur cette scene tout inculte,
Mais par là plus charmante aux yeux, On aime à voir, loin du tumulte, Un peuple de bergers heureux; Le cœur, sur l'aile de l'Idylle, Porté loin du bruit de la ville, Vient être berger avec eux.
Là ses passions en silence
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