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TITYRE.

L'amour saura toujours me retracer l'image
Du dieu qui me procure un si doux avantage!
Le cerf d'un vol hardi traversera les airs,
Les habitants des eaux fuiront dans les déserts,
La Saône ira se joindre aux ondes de l'Euphrate,
Avant qu'un lâche oubli me fasse une ame ingrate.
MÉLIBÉE.

Que ne puis-je avec vous célébrer ce héros,
Et ranimer les sons de mes tristes pipeaux?
Nos pasteurs pleurent tous une même disgrace:

Nous fuyons dispersés. Les uns aux champs de Thrace
Vont chercher des tombeaux sous ces affreux climats
Qu'un éternel hiver couvre d'âpres frimas;
D'autres vont habiter une contrée aride,

Et les déserts voisins de la zone torride.
Compagnon de leurs maux, et banni pour toujours,
Sous un ciel inconnu je traînerai mes jours;
Quoi! je ne verrai plus ces campagnes si cheres,
Ni ce rustique toit hérité de mes peres!

O Mantoue! oh! du moins si ces riches sillons

Devoient m'être rendus après quelques moissons!
Non, je ne verrai plus ces forêts verdoyantes,
Ni ces guérets chargés de gerbes ondoyantes;
D'avides étrangers, des soldats inhumains,
Désoleront ce champ cultivé de mes mains:

Étoit-ce donc, grands Dieux! pour cette troupe indigne
Que j'ornois mon verger, que je taillois ma vigne?

C'en est fait; pour toujours recevez mes adieux,
Bords si chers à mon cœur, et si beaux à mes yeux!
O guerre! ô triste effet des discordes civiles!
Champs, on vous sacrifie à l'intérêt des villes.
Troupeau, toujours chéri dans des jours plus heureux,
Mon exil te prépare un sort bien rigoureux;
Du fond d'un antré frais, bordé d'une onde pure,
Je ne te verrai plus bondir sur la verdurė:
Suivez-moi, foible reste, infortunés moutons;
Pour la derniere fois vous voyez ces cantons.

TITYRE.

Dans ces lieux cependant on vous permet encore
D'attendre le retour de la premiere aurore.
Regagnons le hameau: berger, suivez mes pas.
Thestile nous apprête un champêtre repas:
Le jour fuit, hâtons-nous; du sommet des collines
L'ombre descend déja dans ces plaines voisines,
Les oiseaux endormis ont fini leurs concerts,
Et le char de la nuit s'éleve sur les airs.

NOTE.

Trauquille, cher Tityre, à l'ombre de ce hêtre...

Le pere de Virgile, sous le nom de Tityre, chante les louanges et les bienfaits d'Octavien César, qui, dans le partage des campagnes de Mantoue, lui conservoit une paisible pos session de sa métairie d'Andès. Sous le nom de Mélibée, un berger du Mantouan, banni de sa patrie, déplore ses disgraces.

II.

IRIS.

L'ASTRE brûlant du jour sur nos paisibles rives
Répandoit du midi les ardeurs les plus vives,
Quand Corydon, errant dans l'horreur des forêts,
Aux déserts attendris confia ses regrets.

Il adoroit Iris; d'une plaine étrangere

Il vouloit dans son champ attirer la bergere:
Iris étoit promise aux feux d'un autre amant,
Et plaignoit Corydon sans calmer son tourment.
Cet amoureux berger fuyoit les jeux champêtres;
Solitaire, il venoit se cacher sous des hêtres;
C'est là qu'ayant conduit ses troupeaux languissants,
Il soupiroit un jour ces douloureux accents:
Hâtez-vous, sombres jours d'une odieuse vie ;
Puisque toute espérance à mes vœux est ravie,
Puisqu'un autre berger emporte vos amours,
Pourquoi, cruelle Iris, voudrois-je encor des jours?
Du moins plaignez les maux que ma langueur me cause:
Il est l'heure du jour où tout ici repose;

Le moissonneur, tranquille à l'abri du soleil,
Répare sa vigueur dans le sein du sommeil ;
Auprès de leurs troupeaux, dans un bocage sombre,
Silvie et son berger goûtent le frais de l'ombre;
Privé de ces loisirs, et bravant la chaleur,
Je promene en ces bois ma plaintive douleur.
A mes gémissements l'écho paroît sensible;
Tout me plaint: votre cœur reste seul inflexible.

Que n'ai-je pour Phyllis brûlé des mêmes feux!
A la fille d'Arcas que n'ai-je offert mes vœux!
Leurs graces, il est vrai, n'égalent point vos charmes,
Mais leur cœur moins ingrat m'eût coûté moins de larmes.
Ah! ne comptez point tant sur vos belles couleurs!
Un jour les peut flétrir, un jour flétrit les fleurs:
La beauté n'est qu'un lis; l'aurore l'a vu naître,
L'aurore à son retour ne le peut reconnoître.
Pourquoi me fuyez-vous? j'ai de nombreux troupeaux
Dans les champs qu'Aréthuse enrichit de ses eaux;
En lait délicieux mes brebis sont fécondes,
Lors même que l'hiver glace et l'air et les ondes;
D'Amphion dans mes chants je ranime les airs;
J'obtiens souvent le prix des champêtres concerts;
Et si le ruisseau pur qui coule en ce bocage
N'abuse point mes yeux d'une flatteuse image,
Si la mer nous peint bien dans le miroir des eaux
Quand l'haleine des vents n'ébranle point les flots,
Souvent j'ai consulté ce crystal immobile,
Mon air ne cede rien aux graces de Mirtyle.

Ne craignez point, Iris, d'habiter nos forêts; Les plaisirs y naîtront de vos tendres attraits: Les sinceres amours, peu connus dans les villes, Sous nos tranquilles toits ont choisi des asiles. Souvent, joignant nos voix aux chansons des oiseaux, Nous irons éveiller les folâtres échos:

Nos chants égaleront la douce mélodie

Des chants dont le dieu Pan sait charmer l'Arcadie;
Pan trouva le premier cet art ingénieux

De former sur la flûte un son harmonieux;
Pan regne sur nos bois, il aime nos prairies;
C'est le dieu des bergers et de leurs bergeries.
Vous aurez sous vos lois un docile

troupeau,
Vous le verrez bondir au son du chalumeau.
Cette bouche charmante et des Graces chérie
Touchera nos pipeaux sans en être flétrie:

Je vous garde un hautbois qui semble fait pour vous;
La douceur de ses sons rend les oiseaux jaloux;
Tyrcis, près d'expirer sur ce triste rivage,
D'une longue amitié m'offrit ce dernier gage.
Je joindrai, pour vous plaire, à ce don de Tyrcis,
Une belle houlette et des agneaux choisis:

Je vous destine encor deux chevreaux qu'avec peine
Je sauvai l'autre jour du sein d'une fontaine;
Laure en sera jalouse, elle aimoit ces chevreaux:
Mais pour d'autres qu'Iris de tels dons sont trop beaux.
Tout s'embellit pour vous, tout pare nos campagnes;
Flore sur votre route assemble ses compagnes;

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