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MÉNALQUE.

Vous, vainqueur de Damon! d'une flûte champêtre
Damete dans nos bois s'est-il jamais vu maître,
Lui dont l'aigre pipeau, portant par-tout l'ennui,
Ne sait que déchirer des airs faits par autrui ?

DAMETE.

Pour finir entre nous une vaïne dispute,
J'ose vous défier au combat de la flûte;

Ou, si vous l'aimez mieux, à l'ombre des buissons,
Éprouvons un combat de vers et de chansons:
Si le dieu de Délos est pour vous plus propice,
Je vous donne à choisir la plus tendre génisse;
Quel prix risquerez-vous contre un gage si beau?
MÉNALQUE.

Je n'oserois choisir ce prix dans mon troupeau :
S'il manquoit un mouton, j'essuierois la colere
D'une marâtre injuste, et d'un pere sévere;
L'une compte à midi, l'autre à la fin du jour,
Si le nombre complet se trouve à mon retour.
Mais je puis hasarder deux beaux vases de hêtre :
On voit ramper autour une vigne champêtre :
Alcimédon sur eux a gravé deux portraits;
Du célebre Conon l'un ranime les traits,
L'autre peint ce mortel dont l'adresse féconde
A décrit les saisons et mesuré le monde :
Ces coupes sont encor dans leur premier éclat;
J'en ferai volontiers le gage du combat.

DAMETE.

J'ai deux vases pareils, revêtus d'un feuillage;
Du même Alcimédon ce présent est l'ouvrage ;
Le chantre de la Thrace est peint sur les dehors,
Il est suivi des bois qu'entraînent ses accords.
MÉNALQUE.

Palémon vient à nous; qu'il regle la victoire,
Arbitre du combat, et témoin de ma gloire.

DAMETE.

Je consens qu'il nous juge; et, malgré vos mépris,
Je saurai me défendre et balancer le prix;
Ma muse en ces combats ne fut jamais craintive.
Prêtez-nous, Palémon, une oreille attentive.

PALÉMON.

Chantez, dignes rivaux: la nouvelle saison
Invite à des concerts sur ce naissant gazon:
Le printemps de retour rajeunit la nature,
Il rend à nos forêts leurs berceaux de verdure;
Philomele reprend ses airs doux et plaintifs;
L'amant des fleurs succede aux aquilons captifs.
Tout charme ici les yeux; chaque instant voit éclore
Dans ces prés émaillés de nouveaux dons de Flore:
A chanter tour-à-tour préparez donc vos voix;
Ces combats sont chéris de la muse des bois.

DAMETE.

Muses, donnez au maître du tonnerre
Le premier rang dans vos nobles chansons:
Il est tout, il remplit les cieux, l'onde, la terre,

Il dispense à nos champs les jours et les moissons, MÉNALQUE.

Du jeune dieu que le Permesse adore,

Muses, chantons les honneurs immortels :

Des premiers feux du jour quand l'orient se dore, D'un feston de lauriers je pare ses autels.

DAMETE.

Quand je suis dans un bois tranquille
Sous un chêne épais endormi,

Glycere me réveille, et d'une course agile
Elle fuit dans un antre, et s'y cache à demi.
MÉNALQUE.

Philis près de ma bergerie

Vient chaque jour cueillir des fleurs; Nos troupeaux réunis paissent dans la prairie, Et par ce tendre accord imitent nos deux cœurs.

DAMETE.

Je veux offrir deux tourterelles

A ma Glycere au premier jour;

Ce couple heureux d'oiseaux fideles. Lui dictera les lois d'un éternel amour.

MÉNALQUE.

Sur mes fruits une fleur vermeille

Répand un brillant coloris;

J'en veux remplir une corbeille,

Et l'offrir de ma main à la jeune Chloris.

DAMETE.

Que j'aime l'entretien de la tendre Glycere!

Zéphyrs, qui l'écoutez dans ces moments si doux,
Ne portez point aux dieux ce que dit ma bergere;
Des plaisirs si charmants rendroient le Ciel jaloux.
MÉNALQUE.

Souffrez qu'armé d'un arc je suive votre tracę,
Chloris, quand vous chassez dans les routes des bois;
Souvent Endymion vit Diane à la chasse,
Souvent de la déesse il porta le carquois.

DAMETE.

Je célebre bientôt le jour de ma naissance:
Venez, belle Glycere, honorer ce beau jour;
Vous ferez l'ornement des concerts, de la danse,
Votre chant et vos pas sont conduits par l'Amour.
MÉNALQUE.

Chloris seule a mon cœur, seule elle a tous les charmes :
Ciel! qu'elle m'enchanta dans nos derniers adieux!
Ses yeux avec les miens répandirent des larmes.

Ah! quand pourrai-je, Amour, revoir de si beaux yeux?

DAMETE.

Mon cœur redoute autant les rigueurs de Glycere
Qu'un timide mouton craint la fureur des loups,
Qu'un laboureur, veillant sur une moisson chere,
Craint le souffle fougueux des aquilons jaloux.

MÉNALQUE.

Ma Chloris est pour moi ce que l'herbe naissante
Au lever de l'aurore est pour un jeune agneau,
Et ce qu'est à la terre aride et languissante
Une féconde pluie, ou le cours d'un ruisseau.

DAMETE.

Puisque Pollion veut bien être
Le protecteur de mes chansons,
Muses, sur le hautbois champêtre

Que son nom soit chanté dans vos sacrés vallons!
MÉNALQUE.

Pollion lui-même avec grace

Écrit des vers d'un goût nouveau :
Savantes nymphes du Parnasse,
A ce héros savant offrez un fier taureau.

DAMETE.

Illustre Pollion, que celui qui vous aime

Soit placé près de vous au temple de l'honneur!
Que dans son champ fécond, que sur les buissons même
Le miel et les parfums naissent en sa faveur !

MÉNALQUE.

Si quelqu'un peut aimer la muse de Bathille,
Du fade Mévius qu'il aime aussi les vers!
Qu'il asservisse au joug le renard indocile!
Qu'il préfere aux zéphyrs les vents des noirs hivers!

DAMETE.

Fuyez, jeunes bergers, cette rive enchantée
Qui paroît n'offrir que des fleurs;

Fuyez, malgré l'attrait de cette onde argentée;
Un serpent est caché sous ces belles couleurs.

MÉNALQUE.

Vous qui foulez l'émail de ces routes fleuries,

Eloignez-vous, mes chers moutons;

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