Six brins de paille délabrée,
Tressés sur deux vieux échalas:
Voilà les meubles délicats
Dont ma chartreuse est décorée, Et que les freres de Borée Bouleversent avec fracas, Lorsque sur ma niche éthérée Ils préludent aux fiers combats Qu'ils vont livrer sur vos climats, Ou quand leur troupe conjurée Y vient préparer ces frimas Qui versent sur chaque contrée Les catarrhes et le trépas.
Je n'outre rien; telle est en somme La demeure où je vis en paix, Concitoyen du peuple gnome, Des sylphides et des follets : Telles on nous peint les tanieres Où gisent, ainsi qu'au tombeau, Les pythonisses, les sorcieres, Dans le donjon d'un vieux château; Ou tel est le sublime siege
D'où, flanqué des trente-deux vents, L'auteur de l'almanach de Liege Lorgne l'histoire du beau temps, Et fabrique avec privilege Ses astronomiques romans.
Sur ce portrait abominable
On penseroit qu'en lieu pareil Il n'est point d'instant délectable Que dans les heures du sommeil.
Pour moi, qui d'un poids équitable Ai pesé des foibles mortels Et les biens et les maux réels, Qui sais qu'un bonheur véritable Ne dépendit jamais des lieux, Que le palais le plus pompeux Souvent renferme un misérable, Et qu'un désert peut être aimable Pour quiconque sait être heureux; De ce Caucase inhabitable
Je me fais l'Olympe des dieux; Là, dans la liberté suprême, Semant de fleurs tous mes instants, Dans l'empire de l'hiver même Je trouve les jours du printemps. Calme heureux! loisir solitaire! Quand on jouit de ta douceur, Quel antre n'a pas de quoi plaire? Quelle caverne est étrangere Lorsqu'on y trouve le bonheur? Lorsqu'on y vit sans spectateur Dans le silence littéraire, Loin de tout importun jaseur, Loin des froids discours du vulgaire, Et des hauts tons de la grandeur;
Loin de ces troupes doucereuses Où d'insipides précieuses, Et de petits fats ignorants, Viennent, conduits par la Folie, S'ennuyer en cérémonie,
Et s'endormir en compliments; Loin de ces plates coteries Où l'on voit souvent réunies L'ignorance en petit manteau, La bigoterie en lunettes,
La minauderie en cornettes, Et la réforme en grand chapeau; Loin de ce médisant infâme Qui de l'imposture et du blâme Est l'impur et bruyant écho; Loin de ces sots atrabilaires Qui, cousus de petits mysteres, Ne nous parlent qu'incognito; Loin de ces ignobles Zoïles, De ces enfileurs de dactyles, Coiffés de phrases imbécilles Et de classiques préjugés, Et qui, de l'enveloppe épaisse Des pédants de Rome et de Grece N'étant point encor dégagés, Portent leur petite sentence Sur la rime et sur les auteurs Avec autant de connoissance
Qu'un aveugle en a des couleurs; Loin de ces voix acariâtres Qui, dogmatisant sur des riens, Apportent dans les entretiens Le bruit des bancs opiniâtres, Et la profonde déraison De ces disputes soldatesques Où l'on s'insulte à l'unisson Pour des miseres pédantesques, Qui sont bien moins la vérité Que les rêves creux et burlesques De la crédule antiquité; Loin de la gravité chinoise De ce vieux druïde empesé Qui, sous un air symétrisé, Parle à trois temps, rit à la toise, Regarde d'un œil apprêté, Et m'ennuie avec dignité;
Loin de tous ces faux cénobites Qui, voués encor tout entiers Aux vanités qu'ils ont proscrites, Errant de quartiers en quartiers, Vont, dans d'équivoques visites, Porter leurs faces parasites, Et le dégoût de leurs moutiers; Loin de ces faussets du Parnasse, Qui, pour avoir glapi par fois Quelque épithalame à la glace
Dans un petit monde bourgeois, Ne causent plus qu'en folles rimes, Ne vous parlent que d'Apollon, De Pégase, et de Cupidon, Et telles fadeurs synonymes, Ignorant que ce vieux jargon, Relégué dans l'ombre des classes, N'est plus aujourd'hui de saison Chez la brillante fiction,
Que les tendres lyres des Graces Se montent sur un autre ton, Et qu'enfin, de la foule obscure Qui rampe au marais d'Hélicon,
Pour sauver ses vers et son nom, Il faut être sans imposture L'interprete de la nature, Et le peintre de la raison ; Loin enfin, loin de la présence De ces timides discoureurs Qui, non guéris de l'ignorance Dont on a pétri leur enfance, Restent noyés dans mille erreurs, Et damnent toute ame sensée Qui, loin de la route tracée Cherchant la persuasion, Ose soustraire sa pensée A l'aveugle prévention.
A ces traits je pourrois, Aminte,
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