Couché sur la pourpre et les lis, Penche la balance inégale, Et tire d'une urne vénale Des arrêts dictés par Cypris, Irois-je, orateur mercenaire Du faux et de la vérité, Chargé d'une haine étrangere, Vendre aux querelles du vulgaire Ma voix et ma tranquillité, Et dans l'antre de la chicane, Aux lois d'un tribunal profane Pliant la loi de l'Immortel, Par une éloquence anglicane Saper et le trône et l'autel? Aux sentiments de la nature, Aux plaisirs de la vérité, Préférant le goût frelaté
Des plaisirs que fait l'imposture, Ou qu'invente la vanité, Voudrois-je partager ma vie Entre les jeux de la folie Et l'ennui de l'oisiveté,
Et trouver la mélancolie Dans le sein de la volupté?
Non, non; avant que je m'enchaîne Dans aucun de ces vils partis Vos rivages verront la Seine Revenir aux lieux d'où j'écris.
Des mortels j'ai vu les chimeres; Sur leurs fortunes mensongeres J'ai vu régner la folle erreur; J'ai vu mille peines cruelles Sous un vain masque de bonheur, Mille petitesses réelles
Sous une écorce de grandeur,
Mille lâchetés infideles
Sous un coloris de candeur;
Et j'ai dit au fond de mon coeur: Heureux qui dans la paix secrete D'une libre et sûre retraite
Vit ignoré, content de peu, Et qui ne se voit point sans cesse Jouet de l'aveugle déesse, Ou dupe de l'aveugle dieu!
A la sombre misanthropie Je ne dois point ces sentiments: D'une fausse philosophie
Je hais les vains raisonnements; Et jamais la bigoterie
Ne décida mes jugements.
Une indifférence suprême,
Voilà mon principe et ma loi;
Tout lieu, tout destin, tout système, Par-là devient égal pour moi. Où je vois naître la journée, Là, content, j'en attends la fin,
Prêt à partir le lendemain,
Si l'ordre de la destinée
Vient m'ouvrir un nouveau chemin.
Sans opposer un goût rebelle A ce domaine souverain,
Je me suis fait du sort humain Une peinture trop fidele;
Souvent dans les champêtres lieux Ce portrait frappera vos yeux. En promenant vos rêveries Dans le silence des prairies, Vous voyez un foible rameau Qui, par les jeux du vague Éole Enlevé de quelque arbrisseau, Quitte sa tige, tombe, vole Sur la surface d'un ruisseau; Là, par une invincible pente, Forcé d'errer et de changer, Il flotte au gré de l'onde errante Et d'un mouvement étranger; Souvent il paroît, il surnage, Souvent il est au fond des eaux; Il rencontre sur son passage Tous les jours des pays nouveaux,
Tantôt un fertile rivage Bordé de coteaux fortunés, Tantôt une rive sauvage,
Et des déserts abandonnés:
Parmi ces erreurs continues
Il fuit, il vogue jusqu'au jour Qui l'ensevelit à son tour
Au sein de ces mers inconnues
Où tout s'abyme sans retour.
Mais, qu'ai-je fait? Pardon, Aminte, Si je viens de moraliser;
Dans une lettre sans contrainte Je ne prétendois que causer. Où sont, hélas! ces douces heures Où, dans vos aimables demeures, Partageant vos discours charmants, Je partageois vos sentiments? Dans ces solitudes riantes
Quand me verrai-je de retour? Courez, volez, heures trop lentes Qui retardez cet heureux jour! Oui, dès que les desirs aimables, Joints aux souvenirs délectables, M'emportent vers ce doux séjour, Paris n'a plus rien qui me pique. Dans ce jardin si magnifique, Embelli par la main des rois, Je regrette ce bois rustique Où l'écho répétoit nos voix; Sur ces rives tumultueuses Où les passions fastueuses Font régner le luxe et le bruit
Jusque dans l'ombre de la nuit, Je regrette ce tendre asile
Où sous des feuillages secrets Le Sommeil repose tranquille Dans les bras de l'aimable Paix; A l'aspect de ces eaux captives Qu'en mille formes fugitives L'art sait enchaîner dans les airs, Je regrette cette onde pure
Qui, libre dans les antres verds, Suit la pente de la nature,
Et ne connoît point d'autres fers; En admirant la mélodie
De ces voix, de ces sons parfaits, Où le goût brillant d'Ausonie Se mêle aux agréments françois, Je regrette les chansonnettes Et le son des simples musettes Dont retentissent les coteaux, Quand vos bergeres fortunées, Sur les soirs des belles journées, Ramenent gaîment leurs troupeaux; Dans ces palais où la mollesse, Peinte par les mains de l'Amour Sur une toile enchanteresse, Offre les fastes de sa cour,
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