Es régions de Sylphirie, De ce séjour aérien
Dont ma douce philosophie
Sait bannir la mélancolie
En rimant quelque aimable rien, Salut, santé toujours fleurie, Solitude, et libre entretien A la république chérie Dont une tendre rêverie M'a déja rendu citoyen. Dans votre épître ingénieuse Vous prétendez que le pinceau Qui vous a tracé la CHARTREUSE N'en a pas fini le tableau, Et vous m'engagez à décrire D'un crayon léger et badin La carte du classique empire,
Et les mœurs du peuple latin. A la gaîté de nos maximes Pour ajuster ce grave objet,
Et ne point porter dans mes rimes La sécheresse du sujet,
Ecartons la muse empesée
Qui, se guindant sur de grands mots, Préside à la prose toisée Des poëtes collégiaux. Je vous ai dépeint l'Élysée Dans le plaisir pur et parfait De mon hermitage secret: Par un contraste assez bizarre, Dans ce nouvel amusement, Je vais vous chanter le Ténare, Non sur un ton triste et pesant; Ennemi des muses plaintives, Jusque sur les fatales rives Je veux rimer en badinant.
Un peuple de jeunes esclaves Dans un silence rigoureux,
Des pleurs, des prisons, des entraves,
Un séjour vaste et ténébreux, Des cœurs dévoués à la plainte, Des jours filés par les ennuis, N'est-ce point la fidele empreinte Du triste royaume des nuits? N'en doutez point, ce que la fable
Nous a chanté des sombres bords, Cette peinture redoutable
Du profond empire des morts, C'étoit l'image prophétique
Des manoirs que j'offre à vos yeux, Et l'histoire trop véridique De leurs habitants malheureux. Avec l'Erebe et son cortege Confrontez ces antres divers, Et dans le portrait d'un college Vous reconnoîtrez les enfers. Tel étoit le vrai parallele Que dans cette derniere nuit Un songe offroit à mon esprit: Aminte, je me le rappelle; Dans ce délire réfléchi
Je croyois vous conduire ici; Et, si ma mémoire est fidele, Je vous entretenois ainsi : Venez, de la docte poussiere Osez franchir les tourbillons; Perçons l'infernale carriere Des scholastiques régions: Là, comme aux sources du Cocyte, On ne connoît plus les beaux jours; Sur cette demeure proscrite La nuit semble régner toujours: Là de la charmante nature
On ne trouve plus les beautés; Les eaux, les fleurs, ni la verdure, N'ornent point ces lieux détestés; Les seuls oiseaux d'affreux augure Y forment des sons redoutés. Dès l'abord de ce gouffre horrible Tout nous retrace l'Achéron. Voyez ce portier inflexible, Qui, payé pour être terrible, Et muni d'un cœur de Huron, Réunit dans son caractere La triple rigueur de Cerbere, Et l'ame avare de Caron: . Ainsi que ces ombres légeres Qui pour leurs demeures premieres Formoient des regrets et des vœux, Les jeunes captifs de ces lieux Voltigent auprès des barrieres, Sans pouvoir échapper aux yeux De ce satellite odieux.
Entrons sous ces voûtes antiques Et sous les lugubres portiques De ces tribunaux renommés: Au lieu de ces voiles funebres Qui de l'empire des ténebres Tapissoient les murs enfumés, D'une longue suite de theses Contemplez les vils monuments,
Archives de doctes fadaises, Supplice éternel du bon sens. A la place des Tisiphones,
Des Sphinx, des Larves, des Gorgones, Qui du Styx étoient les bourreaux, J'apperçois des tyrans nouveaux, L'hyperbole aux longues échasses, La catachrese aux doubles faces, Les logogriphes effrayants, L'impitoyable syllogisme, Que suit le ténébreux sophisme, Avec les ennuis dévorants. Quelle inexorable Mégere Ici rassemble avant le temps Ces mânes jeunes et tremblants, Et ravis au sein de leur mere! Sur leurs déplorables destins, Dans des lieux voués au șilence, Voyez de pâles souverains Exercer leur triste puissance; Un sceptre noir arme leurs mains: Ainsi Rhadamante aux traits sombres, Balançant l'urne de la mort,
Sur le peuple muet des ombres Prononçoit les arrêts du sort. Mais quelles alarmes soudaines! D'où partent ces longues clameurs? Pourquoi ces prisons et ces chaînes?
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