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Charmé, surpris, entre Pomone et Flore
Le jeune oiseau ne peut fixer son choix;
De la fougere à l'épine fleurie

Il va porter ses desirs inconstants;
Il vole au bois, il est dans la prairie;
Il est par-tout dans les mêmes instants.
C'en est donc fait, Muse, dans la carriere
Tu prétends voir ton char bientôt lancé:
Du moins, avant qu'on t'ouvre la barriere,
Pour prévenir un écart insensé,

Va consulter la sage Deshouliere,

Et vois les traits dont sa muse en courroux
De l'art des vers nous a peint les dégoûts.
Quand tu serois à l'abri des disgraces
Que le génie entraîne sur ses traces,
Craindrois-tu moins le bizarre fracas

Qui d'Apollon accompagne les pas,
Du nom d'auteur l'ennuyeux étalage,
D'auteur montré le fade personnage:
Que sais-je enfin? tous les soins, tout l'ennui,
Qu'un vain talent nous apporte avec lui?

Dès qu'un mortel, auteur involontaire,
Est arraché de l'ombre du mystere,
Où, s'amusant et charmant sa langueur,
Dans quelques vers il dépeignoit son cœur ;
Du goût public honorable victime,
Bientôt, au prix de sa tranquillité,
Il va payer une inutile estime,

Et regretter sa douce obscurité;
Privé du droit d'écrire en solitaire,
Et d'épancher son cœur, son caractere,
Toute son ame aux yeux de l'amitié,
L'amitié même, indiscrete et légere,
Le trahira sans croire lui déplaire;
Et son secret, follement publié,
sera sacrifié.

S'il est en vers,

Ainsi les fruits d'un léger badinage,
Nés sans prétendre au grave nom d'ouvrage,
Nés pour mourir dans un cercle d'amis,
Au fier censeur seront pourtant soumis.
Si par
hasard il trouve, comme Horace,
Quelque Mécene ou quelque tendre Grace,
Tels que l'on voit, aux rives où j'écris,
Daphnis, Thémire, et la jeune Eucharis,
Qui cherchent moins dans la philosophie
L'esprit d'auteur que l'esprit de la vie,
Qu'un sage aisé, qui, naturel, égal,
Sache éviter le style théâtral,
Les airs guindés du peuple parasite
Des froids pédants, des fades rimailleurs,
Et dont les vers soient le dernier mérite,
Que de dégoûts l'investiront ailleurs!
Dans tous les lieux où l'errante fortune
L'entraînera sous ses pénibles fers,
Il essuiera la contrainte importune
De l'entretien de mille sots divers.

Qui, prévenus de cette erreur commune
Que quand on rime on ne sait que des vers,
A son abord prendront cet idiôme,

Ce précieux, trop en vogue aujourd'hui;
Et de l'auteur ne distinguant pas l'homme,
En l'ennuyant, s'ennuieront avec lui.

Tels sont les maux où cet essor t'engage: Mais l'amour-propre, opposant son bandeau, De l'avenir te dérobe l'image,

Ou sait du moins ne le peindre qu'en beau:
Trompeur chéri, t'abusant pour te plaire,
Il te redit, dans tes nouveaux accès,
Qu'on a daigné sourire à tes essais,
Et qu'un public distingué du vulgaire
T'appelle encore à de plus hauts succès.
Mais connois-tu ce public variable,

Vain dans ses dons, constant dans ses dégoûts?
En deux printemps de ce juge peu stable
On peut se voir et l'idole et la fable:

Le nom de ceux qu'il voit d'un œil plus doux,
A peine écrit sur la mobile arene

Par les zéphyrs de l'heureuse Hippocrene,
Est effacé Éole
par

en courroux;

Et quand les fleurs dont le public vous pare
Conserveroient un éternel printemps,
Chez la Faveur, sa déesse bizarre,

Est-il des dons et des plaisirs constants?
Au sein des mers, dans une isle enchantée,

Près du séjour de l'inconstant Protée,
Il est un temple élevé par l'Erreur,
Où la brillante et volage Faveur,

Semant au loin l'espoir et les mensonges,
D'un air distrait fait le sort des mortels;
Son foible trône est sur l'aile des Songes,
Les vents légers soutiennent ses autels:
Là rarement la Raison, la Justice,
Ont amené les mortels vertueux;
L'Opinion, la Mode, et le Caprice,
Ouvrent le temple et nomment les heureux,
En leur offrant la coupe délectable,
Sous le nectar cachant un noir poison,
La déité daigne paroître aimable,
Et d'un sourire enivre leur raison.
Au même instant l'agile Renommée
Grave leur nom sur son char lumineux :
Jouets constants d'une vaine fumée,
Le monde entier se réveille pour eux;
Mais sur la foi de l'onde pacifique
A peine ils sont mollement endormis,
Déifiés par l'erreur léthargique
Qui leur fait voir dans des songes amis
Tout l'univers à la gloire soumis,
Dans ce sommeil d'une ivresse riante,
En un moment la Faveur inconstante,
Tournant ailleurs son essor incertain,
Dans des déserts, loin de l'isle charmante,

Les aquilons les emportent soudain;
Et leur réveil n'offre plus à leur vue
Que les rochers d'une plage inconnue,

Qu'un monde obscur sans printemps, sans beaux jour
des cieux éclipsés pour toujours.
Muse, crois-moi, qu'un autre sacrifie

Et

que

A la Faveur, à l'Estime, au renom,
Qu'un autre perde au temple d'Apollon
Ce peu
d'instants qu'on appelle la vie,

D'un vain honneur esclave fastueux,

Toujours auteur, et jamais homme heureux;
Moi, que le ciel fit naître moins sensible
A tout éclat qu'à tout bonheur paisible,
Je fuis du nom le dangereux lien;
Et quelques vers échappés à ma veine,
Nés sans dessein et façonnés sans peine
Pour l'avenir ne m'engagent à rien.
Plusieurs des fleurs que voit naître Pomone
Au sein fécond des vergers renaissants
Ne doivent point un tribut à l'Automne;
Tout leur destin est de plaire au Printemps.
Ici pourtant de ma philosophie

Ne va point, Muse, outrer le sentiment;
Ne pense pas que de la poésie

J'aille abjurer l'empire trop charmant:
J'en fuis les soins, j'en crains la frénésie;
Mais j'en adore à jamais l'agrément.
Ainsi conduit, ou par mes rêveries,

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