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Ou par Bacchus, ou par d'autres appas,
Quand quelquefois je porterai mes pas
Où le Permesse épand ses eaux chéries,
Dans ces moments mes vœux ne seront pas
D'être enlevé dans un char de lumiere
Sur ces sommets où la Muse guerriere
Qui chante aux dieux les fastes des combats,
La foudre en main, enseigna ses mysteres
Aux Camoens, aux Miltons, aux Voltaires:
Jaloux de voir un plus paisible lieu,
Loin du tonnerre et guidé par un dieu,
Dans les détours d'un amoureux bocage
J'irai chercher ce solitaire ombrage,

Ce beau vallon où La Fare et Chaulieu,
Dans les transports d'une volupté pure,
Sans préjugés, sans fastueux desirs,
Près de Vénus, sur un lit de verdure,
Venoient puiser au sein de la nature
Ces vers aisés, enfants de leurs plaisirs;
Et sans effroi du ténébreux monarque,
Menant l'Amour jusqu'au sombre Achéron,
Au son du luth descendoient vers la barque
Par les sentiers du tendre Anacréon.

Là, si je puis reconnoître leurs traces,
Et retrouver ce naïf agrément,
Ce ton du cœur, ce négligé charmant
Qui les rendit les poëtes des Graces;
Du myrte seul chérissant les douceurs,

Des vains lauriers que Phébus vous dispense,
Et qu'il vous ôte au gré de l'inconstance,
Je céderai les pénibles honneurs.

Trop insensé qui, séduit par la gloire,
Martyr constant d'un talent suborneur,
Se fait d'écrire un ennuyeux bonheur,
Et, s'immolant au soin de la mémoire,
Perd le présent pour l'avenir trompeur!
Tout cet éclat d'une gloire suprême,
Et tout l'encens de la postérité,
Vaut-il l'instant où je vis pour
moi-même
Dans mes plaisirs et dans ma liberté,
Trouvant sans cesse auprès de ce que j'aime
Des biens plus vrais que l'immortalité?
Non, n'allons point dans de lugubres veilles
De nos beaux jours éteindre les rayons,
Pour enfanter de douteuses merveilles.
Tandis, hélas! que l'on tient les crayons,
Le printemps fuit, d'une main toujours prompte
La Parque file, et dans la nuit du temps
Ensevelit une foule d'instants

Dont le Plaisir vient nous demander compte.
Qu'un dieu si cher remplisse tous nos jours;
Et badinons seulement sur la lyre,
Quand la Beauté, dans un tendre délire,
Ordonnera des chansons aux Amours.

Mais, quelque rang que le sort me réserve,

Soit que je suive ou Thalie ou Minerve,

Écoute, Muse, et connois à quel prix
Je souffrirai que quelquefois ta verve
Vienne allier la rime à mes écrits.

Pour te guider vers la double colline,
De ces sentiers préviens-tu les hasards;
L'illusion, fascinant tes regards,
Peut t'égarer sur la route voisine,

Et t'entraîner dans de honteux écarts:
Connois ces lieux. Dans de plus heureux âges
Vers le Parnasse on marchoit sans dangers;
Nul monstre affreux n'infestoit les passages;
C'étoit l'Olympe et le temple des sages;
Là, sur la lyre ou les pipeaux légers,
De Philomele égalant les ramages,
Ils allioient par de doux assemblages
L'esprit des dieux et les mœurs des bergers;
Connoissant peu la basse jalousie,
De la licence ennemis généreux,
Ils ne mêloient aucun fiel dangereux,
Aucun poison à la pure ambrosie;
Et les zéphyrs de ces brillants coteaux,
Accoutumés au doux son des guitares,
Par des accords infâmes ou barbares
N'avoient jamais réveillé les échos:
Quand, évoqués par le Crime et l'Envie,
Du fond du Styx deux spectres abhorrés,
L'Obscénité, la noire Calomnie,

Osant entrer dans ces lieux révérés,

Vinrent tenter des accents ignorés.

Au même instant les lauriers se flétrirent,
Et les amours et les nymphes s'enfuirent.
Bientôt Phébus, outré de ce revers,
Au bas du mont de la docte Aonie
Précipitant ces filles des enfers,
Les replongea dans leur ignominie,
Et pour toujours instruisit l'univers
Que la Vertu, reine de l'harmonie,
A la décence, aux graces réunie,
Seule a le droit d'enfanter de beaux vers.
Pour rétablir leur attente trompée,
Non loin de là leur adroite fureur,
Sur les débris d'une roche escarpée,
Edifia, dans l'ombre et dans l'horreur,
Du vrai Parnasse un fantôme imposteur:
Là, pour grossir leurs profanes cabales,
Des chastes sœurs ces impures rivales,
L'encens en main, reçurent les rimeurs
Proscrits, exclus du temple des auteurs.
Ainsi, jaloux des abeilles fécondes,
Et du nectar que leurs soins ont formé,
Le vil frêlon sur des plantes immondes
Verse sans force un suc envenimé.
C'est là qu'encor cent obscurs satiriques,
Cent artisans de fadaises lubriques,
Par la débauche ou la haine conduits,
Dans le secret des plus sombres réduits

Vont, sans témoins, forger ces folles rimes,
Ces vers grossiers, ces monstres anonymes,
Tout ce fatras de libelles pervers
Dont le Batave infecte l'univers.

O du génie usage trop funeste!
Pourquoi faut-il que ce don précieux,
Que l'art charmant, le langage céleste,
Fait pour chanter sur des tons gracieux
Les conquérants, les belles, et les dieux,
Chez une foule au Parnasse étrangere
Soit si souvent le jargon de Mégere,
L'organe impur des plus lâches noirceurs,
L'ame du crime, et la honte des mœurs!
Pourquoi faut-il que les pleurs de l'Aurore,
Qui ne devroient enfanter que des fleurs,
Au même instant fassent souvent éclore
Les sucs mortels et les poisons vengeurs!
Muse, je sais que tu fuiras sans peine
Les chants honteux de la Licence obscene:
Faite à chanter sans rougir de tes sons,
Tu n'iras point chez cette infâme reine
Prostituer tes naïves chansons.

Mais de tout temps, un peu trop prompte à rire,
Ton goût peut-être, en quelques noirs accès,
T'attacheroit au char de la Satire.

Ah! loin de toi ces cyniques excès!
Quelles douceurs en suivent les succès,

Si, quand l'ouvrage a le sceau de l'estime,

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