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<< avoit perdu le trait et les formes. Le public << vit avec un silence respectueux, et avec << une sorte de douleur, le coloris terne et << suranné de ces tableaux, comme il voit les << derniers efforts de ces artistes célebres dont

« la jeunesse s'est immortalisée par des chefs<< d'œuvre, et dont les mains défaillantes, en<< core attachées sur la toile qu'animoit autre«< fois leur génie, essaient en vain d'y repré« senter, par quelques traits informes, des objets que leurs foibles yeux ne peuvent << plus apercevoir.

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Mais cette époque procura à Gresset des honneurs d'un autre genre. On avoit fait valoir à la cour sa résipiscence; il en obtint quelques faveurs. Il eut l'avantage de s'approcher de Louis XVI pour le haranguer, au nom et à la tête de l'Académie, sur son avénement au trône. Peu après, dans la même année, il reçut des lettres de noblesse, dont M. Dagay, intendant de Picardie, fit lecture dans une assemblée publique de l'académie d'Amiens. Il est dit, dans le préambule de ces

lettres, que l'auteur s'est acquis une célébrité d'autant mieux méritée que la religion et la décence, toujours respectées dans ses écrits, n'y ont jamais reçu la moindre atteinte. « Cette << grace, dit un de ses panégyristes, cette grace, l'une des premieres que le monarque «<eût accordées, n'étoit pas le trait le moins digne de signaler les commencements d'un « regne sur lequel la nation fondoit de si « douces espérances. »'

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L'évêque d'Amiens, dont j'ai parlé plus haut, avoit voué à Gresset l'amitié la plus sincere. Une grande conformité de caracteres et de goûts les avoit attachés l'un à l'autre. Ils étoient tous deux fort gais; ils aimoient les contes plaisants, les épigrammes, et ils avoient beaucoup de talent pour en faire. On assuré que Gresset avoit composé une foule de contes, qui étoient autant de petits poëmes,

(1) Eloge de Gresset qui a concouru au prix proposé par l'académie d'Amiens, par Max. Roberspierre. Londres (Paris), Royez, 1785, in-8°.

variés à l'infini, et une quantité innombrable d'épigrammes, à quelques unes desquelles le marquis de Chauvelin avoit contribué. On n'a aucun espoir de rien recouvrer de ces petits ouvrages, connus seulement des personnes qui les entendoient réciter dans les sociétés dont ils faisoient les délices. L'évêque étoit le seul qui fût en état de lutter contre Gresset dans le genre du conte. Dans leur jeunesse ils se trouvoient souvent ensemble chez le duc de Chaulnes, et y faisoient assaut à cette sorte d'escrime poétique pendant plusieurs heures de suite. Et c'est cet homme qui a contraint Gresset à brûler l'Ouvroir, etc. etc.

Avec tant de moyens de briller dans le · monde, personne ne s'y montra plus simple que Gresset, ni plus modeste: aussi ses talents n'effarouchoient personne; loin d'exciter la jalousie, il étoit généralement aimé, et les sarcasmes de Voltaire et de Piron sont les seuls traits satiriques qui aient été dirigés contre sa personne ou ses ouvrages.

Il jouissoit sur-tout du bonheur au milieu

d'une famille nombreuse qu'il chérissoit.Dans un des voyages que, pendant ses quinze années de séjour à Paris, il faisoit de temps à autre à Amiens, il avoit pris de l'inclination pour une demoiselle de beaucoup d'esprit, et d'un caractere doux et enjoué. Il obtint sa main en 1751. Charlotte Galland étoit fille d'un négociant d'Amiens, et de la même famille qu'Antoine Galland, célebre par sa traduction ou imitation des Mille et une Nuits.

De toutes les personnes qui composoient la famille de Gresset, ce fut une de ses sœurs, mariée à M. de Toulle, capitaine de cavalerie, qu'il aima le plus, et dont il fut le plus chéri; et Madame de Toulle étoit, à tous égards, digne de cette préférence. Aux vertus, aux qualités d'un esprit vif et juste, elle réunissoit les charmes d'une beauté rare. Son goût exquis l'avoit rendue le juge-né des ouvrages de son frere, qui les soumettoit à son examen avant de les publier. Cette femme intéressante, que Gresset a en quelque sorte associée à sa gloire en l'appelant sa Minerve, a eu la douleur de

le voir mourir, et elle ne lui a pas survécu

d'un an.

En 1777 le roi nomma Gresset écuyer, chevalier de l'ordre de S.-Michel, et historiographe de l'ordre de S.-Lazare, Sa santé, depuis plusieurs années chancelante, ne le laissa pas jouir long-temps de ces titres. Dans. les premiers jours de juin 1777 il fut surpris par quelques accès de fievre; et, le 16 du même mois, au quatrieme accès, il mourut, à l'âge de soixante-huit ans, d'un abcès qui lui creva dans la poitrine. Il n'a point laissé d'enfants.

Lorsque ses scrupules religieux le déterminerent à sacrifier plusieurs des ouvrages qu'il avoit achevés, et à en abandonner d'autres qu'il avoit commencés, il recommanda que l'on ne publiât jamais ce qui pourroit en réster après sa mort. Ses volontés n'ont été que trop scrupuleusement exécutées, et on auroit dû se souvenir que Virgile mourant avoit ordonné aussi qu'on jetât au feu les matériaux de son Enéide; qu'Auguste ordonna, au con

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