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vous tombe entre les mains, vous me ferez grand plaisir de me l'envoyer, car je ne le possede point en propre. Selon moi, cet ouvrage a sur ses cadets l'avantage de l'invention, et même celui de l'exactitude. C'est un véritable poëme, et le plus agréable badinage que nous ayons dans notre langue.

Voici des vers de l'Ouvroir qui m'ont été communiqués au moment où j'allois mettre sous presse cette derniere feuille. Je les dois à quelques amis de Gresset qui regrettent de n'en avoir pas jeté sur le papier beaucoup d'autres que le temps a effacés de leur

mémoire.

D'un pinceau fier la sœur Saint-Raphaël
Trace la bouche et le nez du soleil,
Et, pour cacher la nudité mondaine,
Veut habiller Adam à la romaine.

La rime des deux premiers vers n'est pas des plus exactes; Gresset avoit probablement mis un autre nom qui aura été oublié.

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Si l'on ne brode pas pour soi,

On a sa niece, on est mere pour elle.

Toute la ville en saura la nouvelle;
Quand on dira: Cet ouvrage est parfait;
On répondra: Ma tante me l'a fait.

Dans la salle de travail des pensionnaires, on

voyoit

Un scapulaire à côté d'une blonde,

Les croix du cloître et les pompons du monde.

A la fête de la mere supérieure on devoit jouer Athalie; mais le désordre se mit dans la troupe, parceque

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S'il m'en souvient, la mere du grand-prêtre,

Voulut jouer, quoi? le petit Joas.

Suivoit ensuite le portrait de cette sœur qui,

comme l'on sait, avoit, ce jour-là même, perdu sa derniere dent.

L'orchestre étoit nombreux,

Soeur Saint-Hilarion

Devoit jouer de son psaltérion.

On devoit entendre,

Une guimbarde et quatre serinettes.

Dans l'apothicairerie où se faisoit le rafraîchissant

sirop de nénuphar,

La sœur Saint-Paul, près de l'âtre accroupie,

Lorgne son pot d'un œil de Canidie.

Quelques uns de ces vers sont conservés ici par

pure vénération, comme les éclats de pierre qu'un voyageur auroit rapportés du Parthénon, du tombeau d'Agamemnon, etc.

On croit que M. l'abbé de Richery, qui fut attaché à M. l'abbé de Crillon, avoit dans la mémoire beaucoup de vers de l'Ouvroir: j'ignore si cet ecclésias tique est encore vivant.

La même personne a bien voulu me donner beaucoup d'autres détails; en voici quelques uns.

On sait que J.-J. Rousseau à son retour d'Angleterre passa par Amiens, et qu'il y visita Gresset. Dans un dîner qu'il fit avec lui, et dont étoit la personne de qui je tiens cette anecdote, J.-J. Rousseau dit qu'à la premiere représentation du Méchant quelques Zoïles de l'ancien café Procope prétendirent que le titre de cette piece portoit à faux, et que Cléon n'étoit point ce qu'on appelle un homme méchant; qu'il leur répondit: « Il ne vous paroît point assez méchant, parceque vous l'êtes plus que lui, »

Gresset et J.-J. Rousseau ne s'étoient jamais vus, et se quitterent fort contents l'un de l'autre. « Je suis persuadé, dit Rousseau en sortant, qu'avant de m'avoir vu vous aviez de moi une opinion bien différente; mais vous faites si bien parler les perroquets qu'il n'est pas étonnant que vous sachiez apprivoiser

les ours ». Ce mot, aussi obligeant que spirituel, a été dans plusieurs notices sur Gresset travesti en une maussade dureté que bien gratuitement on prête à Jean-Jacques. On y prétend que,dans sa visite à Gresset, celui-ci avoit en pure perte tâché d'être aimable, que le Genevois n'avoit pas ouvert la bouche, et qu'en sortant il dit à Gresset: « Vous avez fait parler un perroquet, mais vous n'avez pu faire parler un ours». Je serois porté à croire qu'il en est de même de beaucoup de boutades désobligeantes que l'on prête à J.-J. Rousseau, et dans lesquelles il faudroit croire à peu près l'opposé de ce qu'on raconte.

On a vu dans cette Notice que, pendant le temps que Gresset vécut à Paris, il étoit fort accueilli à l'hôtel de Chaulnes; les principaux membres de la société aimable qui s'y rassembloit étoient : le marquis de Chauvelin, mort subitement à Versailles en faisant la partie du roi ; il avoit été ambassadeur à la cour de Savoie.

L'abbé de Chauvelin, son frere, conseiller au parlement; petit homme contrefait, mais de beaucoup d'esprit, et fameux dans l'affaire des jésuites par des dénonciations contre eux.

De Vallier, homme infiniment aimable, qui, après avoir mangé le fonds de 80,000 liv. de rente, étoit

devenu de président au parlement, capitaine au régiment de Champagne, et des aventures duquel on feroit un petit volume très piquant.

La Place, traducteur de Tom Jones.

De Lafaultriere, conseiller au parlement, etc., etc. Parmi plusieurs anecdotes fort plaisantes que Gresset racontoit de cette société, je demande grace pour une seule qu'on excusera, n'eût-elle d'autre mérite que de dérider un moment le lecteur.

Par

Ces messieurs, après un soupé à l'hôtel de Chaulnes, se retiroient tous ensemble vers deux heures du matin; en passant dans la rue Dauphine, Vallier apperçut sur la porte d'une maison d'assez belle apparence, maison à louer présentement. bleu, messieurs, visitons cette maison. Allons. -On frappe, le portier se leve, et leur demande ce qu'ils veulent. Nous voulons voir la maison. Comment, messieurs, à l'heure qu'il est? — Nous sommes en regle, lisez: Maison à louer présentement. Le portier va réveiller son maître, on allume des flambeaux, et ces messieurs promenent impitoyablement le propriétaire, à moitié endormi, de la cave au grenier; enfin Vallier lui dit: Monsieur, votre maison est belle et très commode, mais elle a un grand défaut. Quel est-il, monsieur? - Elle

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