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faction, à des mesures plus décisives qu'une simple interruption de rapports.

En posant cet ultimatum à la Porte, nous avions plus particulièrement informé les grands cabinets de nos intentions. Nous avions engagé nommément la France et la Grande-Bretagne à ne pas compliquer par leur attitude les difficultés de la situation, à ne pas prendre trop tôt de mesures qui, d'un côté, auraient pour effet d'encourager l'opposition de la Porte, de l'autre, engageraient plus avant qu'ils ne l'était déjà dans la question, l'honneur et la dignité de l'empereur.

J'ai le regret de vous annoncer aujourd'hui que cette double tentative a malheureusement été vaine.

La Porte, comme vous le verrez par la lettre ci-jointe de Reschid-Pacha, vient de faire à celle que je lui avais adressée une réponse négative, ou au moins évasive.

D'autre part, les deux puissances maritimes n'ont pas cru devoir déférer aux considérations que nous avions recommandées à leur sérieuse attention. Prenant avant nous l'initiative, elles ont jugé indispensable de devancer immédiatement par une mesure effective celles que nous ne leur avions annoncées que comme purement éventuelles, puisque nous en subordonnions la mise à effet aux résolutions finales de la Porte, et qu'au moment même où j'écris, l'exécution n'en a pas encore commencé. Elles ont sur-le-champ envoyé leurs flottes dans les parages de Constantinople. Elles occupent déjà les eaux et ports de la domination ottomane à portée des Dardanelles. Par cette attitude avancée, les deux puissances nous ont placés sous le poids d'une démonstration comminatoire, qui, comme nous le leur avions fait pressentir, devait ajouter à la crise de nouvelles complications.

En présence du refus de la Porte, appuyé par la manifestation de la France et de J'Angleterre, il nous devient plus que ja mais impossible de modifier les résolutions qu'en avait fait dépendre l'empereur.

En conséquence, Sa Majesté Impériale vient d'envoyer au corps de nos troupes, stationné en ce moment en Bessarabie, l'ordre de passer la frontière pour occuper les Principautés.

Elles y entrent, non pour faire à la Porte une guerre offensive que nous éviterons au contraire de tout notre pouvoir aussi longtemps qu'elle ne nous y forcera point, mais parce que la Porte, en persistant à nous refuser la garantie morale que nous avions droit d'attendre, nous oblige à y substituer provisoirement une garantie matérielle; parce que la position qu'ont prise les deux puissances dans les ports et eaux de son empire, en vue même de sa capitale, ne pouvant être envisagée par nous dans les circonstances actuelles que comme une occupation maritime, nous donne en outre une raison de rétablir l'équilibre des situations réciproques moyennant une prise de position militaire. Nous

n'avons, du reste, aucune intention de garder cette position plus longtemps que ne l'exigeront notre honneur ou notre sécurité. Elle sera toute temporaire; elle nous servira uniquement de gage, jusqu'à ce que de meilleurs conseils aient prévalu dans, l'esprit des ministres du sultan. En occupant les principautés pour un temps, nous désavouons d'avance tonte idée de conquête. Nous ne prétendons obtenir aucun agrandissement de territoire. Sciemment et volontairement, nous ne chercherons à exciter aucun soulèvement parmi les popula tions chrétiennes de la Turquie.

Dès que celle-ci nous aura accordé la satisfaction qui nous est due, et qu'en même temps viendra à cesser la pression qu'exerce sur nous l'attitude des deux puissances maritimes, nos troupes rentreront à l'instant même dans les limites de la Russie. Quant aux habitants des Principautés, la présence de notre corps d'armée ne leur imposera ni charges, ni contributions nouvelles. Les fournitures qu'ils nous feront seront liquidées par nos caisses militaires. en temps opportun et à un taux fixé d'avance avec leur gouvernement. Les principes et règles de conduite que nous nous sommes prescrits à cet égard, vous les trouverez exposés dans la proclamation cijointe que le général prince Gortchakoff, chef du corps d'occupation, a été chargé de publier à son entrée dans les deux provinces.

Nous ne nous dissimulons nullement, Monsieur, combien l'attitude que nous prenons a de portée, et quelles en peuvent devenir ultérieurement les conséquences, si le gouvernement turc nous oblige à la faire sortir du cercle étroit et limité dans lequel nous désirons l'enfermer. Mais la position où il nous jette, en poussant les choses à l'extrême, en nous refusant toute satisfaction légitime, toutes celles que le prince Menschikoff avait faites successivement sur la forme comme sur le fond originaire de nos propositions, ne nous laisse plus d'autre parti à prendre. Il y a plus : les principes si péremptoirement posés, malgré la modération du langage, dans la lettre responsive de Reschid-Pacha, aussi bien que dans sa note du 26 mai dernier aux représentants des quatre puissances à Constantinople, n'iraient à rien moins, s'il fallait les prendre à la lettre, qu'à mettre en question tous nos droits acquis, qu'à frapper de nullité toutes nos transactions antérieures.

En effet, si le gouvernement ottoman juge contraire à son indépendance et à ses droits de souveraineté tout engagement diplomatique quelconque, même sous forme de simple note, dans lequel il s'agirait do stipuler avec un gouvernement étranger pour la religion et les églises, que devient. l'engagement qu'il a contracté autrefois envers nous sous une forme bien autrement obligatoire, de protéger dans ses Etats notre religion et ses églises?

Pour peu que nous admettions un principe si absolu, il nous faudrait déchirer de nos propres mains le traité de Kaïnardji, comme tous ceux qui le confirment, et abandonner volontairement le droit qu'ils nous ont conféré de veiller à ce que le culte grec soit efficacement protégé en Turquie. Est-ce là ce que veut la Porte? a-t-elle intention de se dégager de toutes ses obligations antérieures, et de faire sortir de la crise actuelle l'abolition à tout jamais de tout un ordre de relations que le temps avait consacrées ?

L'Europe impartiale comprendra que, si la question se posait en ces termes, elle deviendrait pour la Russie, malgré les intentions les plus conciliantes, insoluble pacifiquement; car il s'agirait pour nous de nos traités, de notre influence séculaire, de notre crédit moral, de nos sentiments les plus chers, nationaux et religieux.

Qu'on nous permette de le dire, la contestation actuelle et tout le retentissement que la presse lui a donné en dehors des cabinets, reposent sur un pur malentendu ou sur un défaut d'attention suffisante à tous nos antécédents politiques.

On semble ignorer ou l'on perd de vue que la Russie jouit virtuellement, par position et par traité, d'un ancien droit de surveillance à la protection efficace de son culte en Orient; et le maintien de cet ancien droit qu'elle ne saurait abandonner, on se le représente comme impliquant la prétention toute nouvelle d'un protectoral à la fois religieux et politique, dont on s'exagère pour l'avenir la portée et les conséquences.

C'est à ce triste malentendu que tient toute la crise du moment.

La portée et les conséquences de notre prétendu nouveau protectorat politique n'ont point d'existence réelle. Nous ne demandons pour nos coréligionnaires en Orient que le strict statu quo, que la conservation des priviléges qu'ils possèdent ab antiquo sous l'égide de leur souverain. Nous ne nierons pas qu'il n'en résulte pour la Russie ce qu'on peut justement nommer un patronage religieux. C'est celui que de tout temps nous avons exercé en Orient. Or, si jusqu'ici l'indépendance et la souveraineté de la Turquie ont trouvé moyen de se concilier avec l'exercice de ce patronage, pour quoi l'une et l'autre en souffriraient-elles à l'avenir, du moment que nos prétentions se réduisent à ce qui n'en est au fond que la simple confirmation?

• Nous l'avons dit, et nous le répétons : l'empereur ne veut pas plus aujourd'hui qu'il ne l'a voulu dans le passé renverser l'empire ottoman, ou s'agrandir à ses dépens. Après l'usage si modéré qu'il a fait en 1829 de la victoire d'Andrinople, quand cette victoire et ses conséquences mettaient Ja Porte à sa merci; après avoir, seul en Europe, sauvé la Turquie, en 1833, d'un démembrement inévitable; après avoir, en 1839, pris auprès des autres puissances l'i

nitiative des propositions qui, exécutées en commun, ont de nouveau empêché le sultan de voir son trône faire place à un nouvel empire arabe, il devient presque fastidienx de donner les preuves de cette vérité. Au contraire, le principe fondamental de la politique de notre auguste, maître a toujours été de maintenir aussi longtemps que possible le statu quo actuel de l'Orient. Il l'a voulu et le veut encore, parce que tel est, en définitive, l'intérêt bien entendu de la Russie, déjà trop vaste pour avoir besoin d'une extension de territoire; parce que, prospère, paisible, inoffensif, placé comme utile intermédiaire entre des Etats puissants, l'empire ottoman arrête le choc des rivalités qui, s'il tombait, se heurteraient incontinent pour s'en disputer les ruines; parce que la prévoyance humaine s'épuise vainement à chercher les combinaisons les plus propres à combler le vide que laisserait dans l'équilibre politique la disparition de ce grand corps.

Mais si telles sont les vues réelles, avouées, sincères de l'empereur, pour qu'il puisse y rester fidèle, il faut aussi que la Turquie agisse envers nous de manière à nous offrir la possibilité de coexister avec elle; qu'elle respecte nos traités particu liers et les conséquences qui en dérivent; que des actes de mauvaise foi, de sourdes persécutions, des vexations perpétuelles intentées à notre culte, ne nous créent pas une situation qui, intolérable à la longue, nous forcerait d'en confier le remède aux chances aveugles du hasard.

Telles sont, Monsieur, les considérations que vous êtes chargé de faire valoir auprès du gouvernement..., en portant à sa counaissance, par la présente dépêche, les résoJutions et les intentions de S. M. l'empereur. Recevez, monsieur, etc.

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La nouvelle dépêche de M. le comte de Nesselrode, que le Journal de Saint-Pétersbourg publiait le lendemain du jour où elle était expédiée à toutes les légations de Russie, a produit sur le gouvernement de l'Empereur une impression que Sa Majesté Impériale m'a ordonné de vous faire connaître sans détour.

Nous ne pouvons que déplorer de voir la Russie, au moment même où les efforts de tous les cabinets pour amener une solution satisfaisante des difficultés actuelles témoignent si hautement de leur modération, prendre une attitude qui rend le succès de leurs négociations plus incertain, et impose à quelques-uns d'entre eux le devoir de repousser la responsabilité que l'on essayerail vainement de faire peser sur leur politique.

Je ne voudrais pas, Monsieur, revenir sur une discussion épuisée; mais comme M. le comte de Nesselrode allègue toujours, à l'appui des prétentions de Saint-Péters

bourg, l'offense que la Porte aurait commise à son égard en ne tenant pas comple des promesses qu'elle aurait faites à la légation de Russie à l'époque du premier règlement de la question des lieux saints, en 1852, je suis bien forcé de répéter que les firmans rendus par le sultan, à la suite de la mission de M. le prince Menschikoff, ont ôté tout fondement à cet unique grief, et que, s'il est un gouvernement autorisé à élever des plaintes légitimes, ce n'est pas celui de S. M. l'empereur Nicolas.

En effet, à la date du 10 mai dernier, M. le comte de Nesselrode, qui venait de recevoir des dépêches de M. l'ambassadeur de Russie à Constantinople, se félicitait, avec M. le général de Castelbajac, d'un résultat qu'il considérait comme une heureuse conclusion de l'affaire des Lieux saints; M. Kisséleff, à Paris, me faisait une semblable déclaration, et, partout, les agents du cabinet de Saint-Pétersbourg tenaient le même langage.

Les demandes formulées postérieurement par M. le prince Menschikoff, quand l'objet principal de sa mission était atteint, quand on annonçait déjà son retour, ne se rattachaient donc par aucun lien à celles qu'il avait fait accueillir par la Porte; et c'était bien une nouvelle question, une difficulté plus grave qui surgissait à Constantinople, alors que l'Europe, un instant alarmée, était invitée par la Russie elle-même à se rassurer complétement.

Pris, en quelque sorte, au dépourvu par des exigences qu'ils n'avaient pas dû soupçonner, les représentants de la France, de 'Autriche, de la Grande-Bretagne et de la Prusse à Constantinople ont loyalement employé leurs efforts pour empêcher une rupture dont les conséquences pouvaient être si fatales. Ils n'ont pas conseillé à la Porte une résistance de nature à l'exposer aux dangers les plus sérieux; et, reconnaissant à l'unanimité que les demandes de la Russie touchaient de trop près à la liberté d'action et à la souveraineté du sultan pour qu'ils pussent se permettre un avis, ils ont laissé aux seuls ministres de Sa Hautesse la responsabilité du parti à prendre. Il n'y a donc eu, de leur part, ni pression d'aucun genre, ni ingérence quelconque, et si le gouvernement ottoman, livré à lui-même, n'a pas voulu souscrire aux conditions qu'on prétendait lui imposer, il faut assurément qu'il les ait trouvées entièrement incompatibles avec son indépendance et sa dignité.

C'est dans de telles conjonctures, Monsieur, que M. le prince Menschikoff a quitté Constantinople en rompant toute relation diplomatique entre la Russie et la Porte, et que les puissances engagées par leurs traditions et leurs intérêts à maintenir l'intégrité de la Turquie ont eu à se tracer une ligne de conduite.

Le gouvernement de Sa Majesté Impériale, d'accord avec celui de Sa Majesté Britannique, a pensé que la situation était trop menacante pour ne pas être surveillée de

près, et les escadres de France et d'Angleterre reçurent bientôt l'ordre d'aller mouiller dans la baie de Besika, où elles arrivèrent au milieu de juin.

Cette mesure, toute de prévoyance, n'avait aucun caractère hostile à l'égard de la Russie; elle était impérieusement commandée par la gravité des circonstances et amplement justifiée par les préparatifs de guerre qui, depuis plusieurs mois, se faisaient en Bessarabie et dans la rade de Sébastopol.

Le motif de la rupture entre le cabinet de Saint-Pétersbourg et la Porte avait, pour ainsi dire, disparu; la question qui pouvait se poser à l'improviste à Constantinople, c'était celle de l'existence même de l'empire ottoman, et jamais le gouvernement de Sa Majesté Impériale n'admettra que de si vastes intérêts se trouvent en jeu sans revendiquer aussitôt la part d'influence et d'action qui convient à sa puissance et à son rang dans le monde. A la présence d'une armée russe sur les frontières de terre de la Turquie, il avait le droit et le devoir de répondre par la présence de ses forces. navales à Besika, dans une baie librement ouverte à toutes les marines, et située en deçà des limites que les traités défendeut de franchir en temps de paix.

Le gouvernement de Russie, du reste, devait se charger d'expliquer lui-même la nécessité du mouvement ordonné aux deux escadres.

Le 31 mai, en effet, quand il était impossible de connaître à Saint-Pétersbourg, où la nouvelle n'en parvint que le 17 juin, les résolutions auxquelles pourraient s'arrêter la France et l'Angleterre, M. le comte de Nesselrode envoyait à la Porte, sous forme d'une lettre à Reschid-Pacha, un dernier ultimatum, à bref délai, et qui contenait, très-clairement exprimée, la menace d'une prochaine occupation des principautés du Danube.

Lorsque cette décision était prise avec une solennité qui ne permettait plus à un gouvernement jaloux de sa dignité de la moditier, lorsque, par une circulaire datée du 11 juin, S. M. l'empereur Nicolas la faisait annoncer à l'Europe, comme pour en rendre l'exécution plus irrévocable, notre escadre était encore à Salamine, et celle de l'Angleterre n'était pas sortie du port de Malte.

Ce simple rapprochement de dates suffit, Monsieur, pour indiquer de quel côté est partie cette initiative que l'on s'efforce aujourd'hui de décliner, en en rejetant la responsabilité sur la France et l'Angleterre; il suffit également pour prouver qu'entre la communication faite à Paris et à Londres de la démarche tentée directement par M. le comte de Nesselrode à Constantinople et le rejet de cet ultimatum, le temps a manqué matériellement aux gouvernements de Sa Majesté Impériale et de Sa Majesté Britannique pour exercer, dans un sens quelconque, leur influence à Constantinople.

Non, Monsieur, je le dis avec toute la puissance de la conviction, le gouvernement français, dans ce grave débat, n'a nul reproche à se faire ; il repousse du fond de sa conscience, non moins que devant l'Europe, la responsabilité qu'on lui impute, et fort de sa modération, en appelle sans crainte à son tour au jugement des cabinets..

Sauf le but si différent des deux démonstrations, il y avait peut-être une sorte d'analogie dans les situations respectives quand l'armée russe se tenait sur la rive gauche du Pruth et que les flottes de France et d'Angleterre jetaient l'ancre à Besika. Cette analogie a disparu depuis le passage de la rivière qui forme les limites de l'empire russe et de l'empire ottoman. M. le comte de Nesselrode, d'ailleurs, semble le reconnaître quand il suppose déjà les escadres en vue même de Constantinople, et représente comme une compensation nécessaire à ce qu'il appelle notre occupation¡maritime la position militaire prise par les troupes russes sur les bords du Danube.

Les forces anglaises et françaises ne portent, par leur présence en dehors des Dardanelles. aucune atteinte aux traités existants. L'occupation de la Valachie et de la Moldavie, au contraire, constitue une violation manifeste de ces mêmes traités. Celui d'Andrinople, qui détermine les conditions du protectorat de la Russie, pose implicitement le cas où il serait permis à cette puissance d'intervenir dans les Principautés : ce serait si leurs priviléges étaient méconnus par les Turcs.

En 1848, quand ces provinces ont été occupées par les Russes, elles se trouvaient en proie à une agitation révolutionnaire qui menaçait également leur sécurité, celle de la puissance souveraine et celle de la puissance protectrice. La convention de BaltaLiman, enfin, a admis que, si des événements semblables venaient à se renouveler dans une période de sept années, la Russie et la Turquie prendraient en commun les mesures les plus propres à rétablir l'ordre.

Les priviléges de la Moldavie et de la Valachie sont-ils menacés? Des troubles révolutionnaires ont-ils éclaté sur leur territoire? Les faits répondent d'eux-mêmes qu'il n'y a lieu, pour le moment, à l'application ni du traité d'Andrinople, ni de la convention de Balta-Liman.

De quel droit les troupes russes ont-elles donc passé le Pruth, si ce n'est du droit de la guerre, d'une guerre, je le reconnais, dont on ne veut pas prononcer le vrai nom, mais qui dérive d'un principe nouveau, fécond en conséquences désastreuses, que l'on s'étonne de voir pratiquer pour la première fois par une puissance conservatrice de l'ordre européen à un degré aussi éminent que la Russie, et qui n'irait à rien moins qu'à l'oppression en pleine paix des Etats faibles par les Etats plus forts qui sont leurs voisins?

L'intérêt général du monde s'oppose à l'admission d'une semblable doctrine, et la

Porte, en particulier, a le droit incontestable de voir un acte de guerre dans 1 envahissement de deux provinces qui, quelle que soit leur organisation spéciale, font partie intégrante de son empire. Elle ne violerait donc, pas plus que les puissances qui viendraient à son aide, le traité du 13 juillet 1841, si elle déclarait les détroits des Dardanelles et du Bosphore ouverts aux escadres de France et d'Angleterre. L'opinion du gouvernement de Sa Majesté Impériale est formelle à cet égard, et bien que, dans sa pensée, elle n'exclue pas la recherche d'un moyen efficace de conciliation entre la Russie et la Turquie, j'ai invité M. le général de Castelbajac à faire connaître notre manière de voir à M. le comte de Nesselrode et à lui communiquer cette dépêche. Je vous autorise également à en remettre une copie à M.

Agréez, Monsieur, etc.

DROUYN-DE-LHUYS.

* Le 22 octobre les flottes françaises et anglaises franchirent le Bosphore pour entrer dans la mer Noire. Une conférence avait ét ouverte à Vienne entre la France, l'Angleterre, l'Autriche et la Prusse, mais elle n'aboutissait à aucun résultat, les hostilités avaient commencé entre la Porte et la Russie. Bientôt une violente agression de la part de la Russie, la destruction de la flotte turque à Sinope et le bombardement de cette ville, détermina les puissances occidentales à procéder à des mesures militaires. L France et l'Angleterre avaient conclu le 12 mars 1854 un traité d'alliance défensive el offensive avec la Turquie. Le 17 mars elles déclarèrent la guerre à la Russie, et une flotte était envoyée dans la Baltique et n's armées s'apprêtaient à partir pour l'Orient.

En même temps, la Prusse et l'Autriche signaient (le 20 avril) un traité d'alliance offensive et défensive qui donne lieu toujours à de nombreuses discussions, et dont voici le texte :

ALLIANCE OFFENSIVE ET DEFENSIVE

Entre l'Autriche et la Prusse.

S. M. l'empereur d'Autriche et S. M. le roi de Prusse voyant avec un profond regret la stérilité des efforts qu'ils ont tentés jusqu'ici pour prévenir l'explosion d'une guerre entre la Russie d'un côté, et d'un autre côté la Turquie, la France et a Grande-Bretagne; se souvenant des obligations morales qu'elles ont contractées par les signatures données au nom des deux puissances (l'Autriche et la Prusse) au pro tocole de Vienne; prenant en considération le développement des mesures militaires de plus en plus étendues prises par les parties contendantes, et les dangers qui en résu tent pour la paix de l'Europe; convaincues qu'il appartient à l'Allemagne, si étroite ment unie à leurs Etats, de remplir une haute mission au début de cette guerre, ali de prévenir un avenir qui ne pourra

DES SCIENCES POLITIQUES. qu'être fatal au bien-être général de l'Eu

rope,

Ont résolu de s'unir pour toute la durée de la guerre qui a éclaté entre la Russie d'un côté, et de l'autre la Turquie, la France et la Grande Bretagne, par une alliance offensive et défensive, et ont nommé leurs plénipotentiaires pour conclure celte alliance et pour en régler les conditions, savoir:

S. M. l'empereur d'Autriche,

Son conseiller intime actuel et quartiermaître général de l'armée, général Henri, baron de Hess, commandeur de l'ordre autrichien militaire de Marie-Thérèse, grandcroix de l'ordre autrichien de Léopold, chevalier de l'ordre prussien de l'Aigie-Noir, etc., etc.;

Et son conseiller intime actuel et chambellan, Frédéric, comte de Thun-Hohenstein, grand croix de ordre autrichien de Léopold et chevalier de l'ordre prussien de l'Aigle-Rouge, son envoyé extraordinaire et son ministre plénipotentiaire près le roi de Prusse;

Et S. M. le roi de Prusse :

Son ministre, président du conseil et ministre des affaires étrangères, Othon-Théodore, baron de Manteuffel, chevalier de l'ordre prussien de l'Aigle - Rouge de 1" classe, orné de feuilles de chêne, de scepIre et de couronne, grand-croix de l'ordre autrichien de Saint-Etienne;

Lesquels, après s'être communiqué leurs pleins pouvoirs et les avoir échangés, sont convenus des points suivants :

Art. 1". S. M. I. R. et apostolique et S. M. le roi de Prusse se garantissent réciproquement la possession de leurs territoires allemands et non allemands, de telle sorte que toute attaque dirigée contre le territoire de l'un d'eux, de quelque côté qu'elle vienne, sera considérée comme une entreprise hostile dirigée contre le territoire de l'autre.

Art. 2. Eu même temps, les hautes parties contractantes se considèrent comme obligées de protéger les droits et les intérêts de l'Allemagne contre toute espèce d'atteinte, et se regardent comme tenues à une défense commune contre toute attaque faite sur une partie quelconque de leur territoire, même dans le cas où l'une d'elles, par suite d'un accord avec l'autre, se verrait forcée de passer à l'action pour protéger les intérêts allemands.

Dans le cas spécifie plus haut, et lorsqu'il y aura lieu de prêter le secours prouis, il y sera pourvu au moyen d'une convention spéciale qui sera considérée comme une partie intégrante du présent traité.

Art. 3. Pour donner aux conditions de l'alliance offensive et défensive toute la garantie et toute la force nécessaires, les deux grandes puissances allemandes s'engagent à entretenir, en cas de besoin, une partie de leurs forces sur un pied complet de guerre, aux époques et sur les points qui seront ultérieurement fixés. On s'entendra

DICTIONN. DES SCIENCES POLITIQUES. III.

sur l'étendue de ces forces et sur le moment où elles seront mises en activité, ainsi que sur le mode suivant lequel il sera pourvu à leur établissement aux points indiqués.

Art. 4. Les hautes parties contractantes inviteront tous les Etats de la Confédération à accéder au présent traité, en leur faisant observer que les obligations fédérales prévues par l'acte final du congrès de Vienne s'étendront pour ceux qui y accéderont aux stipulations que le traité actuel sanctionne.

Art. 5. Pendant la durée du présent traité, ni l'une ni l'autre des hautes parties contractantes ne pourra conclure avec quelque puissance que ce soit aucune alliance qui ne serait pas dans un accord parfait avec les bases posées dans le présent traité.

Art. 6. La présente convention sera, aussitôt que possible, communiquée réciproquement de part et d'autre pour recevoir la ratification des deux souverains.

Fait à Berlin, le 20 avril 1854. Signé: Baron Othon-Théodore Manteuffel, Signé: HENRI, baron de HESS.

Signé: FRÉDÉRIC THUN.

A ce traité était joint un article additionnel portant la mêine date, par lequel les deux puissances stipulaient le nombre des troupes qu'ils tiendraient à la disposition l'une de l'autre. La Confédération germanique ne tarda pas à accéder à ce traité.

La défense héroïque des Turcs sur le Danube et les maladies forcèrent bientôt les Russes d'évacuer les Principautés. L'Autriche et la Prusse lui avaient adressé une sommation à ce sujet. Voici la note du comte Nesselrode en réponse à cette demande. Ces pièces formulaient les premières ce qu'on à appelé depuis les quatre points.

M. le comte DE NESSELRODE, au prince GORTSCHA-
KOFF envoyé de Russie è Vienze.
Saint-Pétersbourg, le 17-29 juin 1854.
Mon prince,

Le comte Esterhazy m'a communiqué la dépêche par laquelle son cabinet nous engage à mettre un terme à la crise actuelle en évitant de pousser plus loin nos opérations transdanubiennes et en évacuant les Principautés dans un temps aussi rapproché que possible.

En motivant ce désir sur les intérêts autrichiens et allemands que compromettraient la prolongation et l'extension de la lutte sur le Danube, M. le comte de Buol s'appuie sur ce que notre occupation des Principautés a été la cause principale de la guerre. Nous lui demanderons de faire à cet égard quelques réserves.

L'occupation des Principautés n'avait pas empêché les négociations de s'ouvrir et de se poursuivre. Ce n'est point elle qui a provoqué la note de Vienne, le rejet des propositions faites à Olmutz avec le concours et l'approbation de l'Autriche, non

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