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« défendre avec le zèle et l'affection d'un < père. »

Mais quelque sensible qu'eût été l'accroissement du pouvoir temporel du SaintSiége pendant le v et le vi siècle, il le fut bien plus depuis l'établissement de la monarchie des Lombards en 572. Depuis cette nouvelle révolution, la faiblesse toujours croissante de l'empire et l'état d'abandon où se trouvaient de plus en plus les provinces d'Italie encore soumises à la domination impériale, rendirent de jour en jour plus nécessaire à ces provinces l'autorité du Souverain Pontife. Sans cesse vexées par les Lombards, elles ne cessaient d'implorer, mais presque toujours inutilement, le secours des empereurs, tantôt par l'organe des Papes, tantôt par l'organe des exarques qui gouvernaient alors ces provinces au nom de l'empereur. Dans une situation si déplorable, la principale et souvent l'unique ressource de l'Italie, était l'autorité du SaintSiége, dont la protection était nécessaire à l'exarque lui-même, tantôt pour subvenir aux frais du gouvernement, tantôt pour apaiser les peuples disposés à la révolte tantôt pour négocier avec les barbares, qui respectaient beaucoup plus la dignité et surtout la parole du pontife que celle de l'exarque, de sorte que les Papes en intervenant alors, comme ils faisaient si souvent dans les affaires publiques, ne faisaient que céder à la nécessité absolue des circonstances, et aux vœux réunis des princes et des peuples. »

Les liens de l'Italie avec l'empire d'Orient s'é'aient ainsi relâchés de plus en plus, et l'autorité du Saint-Siége avait été en grandissant, quand l'hérésie des iconoclastes amena une rupture complète. L'histoire de la révolution qui sépara alors l'Italie de l'empire d'Orient, et qui fonda l'indépendance temporelle de la Papauté, a été différemment racontée par les historiens latins et par les historiens grecs. Suivant les premiers, l'empereur Léon l'lsaurien ayant ordonné de brûler à Rome et en Italie les saintes images, le pape Grégoire Il se contenta de désobéir à cet ordre, mais empêcha le soulèvement de l'Italie qui était sur le point d'éclater contre l'empereur. Suivant l'historien grec Théophane, au contraire, l'empereur Léon résolut de proscrire et d'anéantir les saintes images, vers 726. Le Pape Grégoire l'ayant appris, défendit à l'Italie et à Rome de lui payer les impôts, après lui avoir écrit une lettre dogmatique pour lui représenter qu'il n'appartient pas au prince de statuer sur la foi et de réformer l'ancienne croyance de l'Eglise, fondée sur l'enseignement des saints docteurs. Quatre ans après, le Pape Léon, suivant le même auteur, l'empereur persislant opiniâtrément dans l'hérésie, « le Pape détacha de son empire et de son obéissance, tant dans l'ordre civil que dans l'ordre ecclésiastique, la ville de Rouie, l'Italie et tout l'Occident. >>

Quoi qu'il en soit, le nord de l'Italic pa

raît avoir été de fait indépendant de l'empire d'Orient à partir de cette époque, et tous les pays qui faisaient partie du territoire romain et de l'exarchat de Ravenne n'obéissaient qu'au Pape. La discussion avec les empereurs iconoclastes continua néanmoins. Mais sous le Pape Grégoire III, le successeur immédiat de Grégoire II, l'indépendance pontificale était déjà assez complète pour que le pape s'adressât en 741 à Charles-Martel pour lui demander des secours contre les Lombards, au lieu de les demander à l'empereur d'Orient. En conséquence d'un décret adopté par le seigneur de Rome, disait le Pape dans sa lettre à Charles-Martel, le peuple romain renonçait à la domination de l'empereur. suppliant Charles de prendre sa défense et avait recours à sa protection invincible.

La mort empêcha Charles-Martel de se rendre à cette promesse. Le successeur de Grégoire III fut Zacharie, que l'on voit stipuler dans plusieurs traités avec les Lombards la restitution de villes et de territoires, au Saint-Siége et à la république romaine, et non à l'empereur d'Orient. Ce fut à ce Pape que Pépin le Bref envoya l'évêque de Wurzbourg et son chapelain pour le consulter touchant les rois de France qui depuis longtemps n'en avaient plus que le nom sans aucune autorité, et pour savoir s'il était bon que les choses restassent en cet état. Le Pape répondit que pour ne pas renverser l'ordre, il valait mieux donner le nom de roi à celui qui en avait le pouvoir. Par suite Pépin fut élu conformément aux usages reçus alors en France et sacré par Boniface archevêque de Mayence. Ce fait sur lequel les historiens du temps ne donnent pas de plus amples détails est un de ceux dont on s'est servi pour essayer de prouver qu'à cette époque déjà les Papes pouvaient dans certains cas priver un roi de sa couronne, et la transférer à un autre. Fépin sut bientôt reconnaître ce service. Etienne II qui avait succédé au Pape Zacharie s'était vu enlever la plupart de ses possessions par les Lombards. Pépin s'engagea solennellement dans un plaid général tenu à Quercy-surOise en 754 à faire rendre au Saint-Siège l'exarchat de Ravennes avec les autres villes et territoires usurpés par les Lombards. Un acte de donation ful dressé et signé par Pépin et les principaux seigneurs par lequel ils s'engageaient à mettre le Saint Siége en possession de ces villes et territoires. Une armée française étant bientôt entrée en Italie, le roi des Lombards Astolphe proinit en effet de faire cette restitution, mais dès que le danger fut passé il recommença ses hostilités contre le Saint-Siége. Sur les instances du Saint-Père, Pépin se remit en route pour l'Italie, et, en 755, le roi Astolphe se vit forcé de restituer positivement ces villes et de constater cette restitution par un second acte de donation_reçu par Fulrade abbé de Saint-Denis. « Toutes les villes, dit M. Gosselin, comprises dans cette donation et dont Anastase fait l'énuméra

coup de vraisemblance de l'ile de Corse et de quelques autres villes et provinces mentionnées par Anastase d'après l'acle même de donation de Charlemagne qu'il avait sous les yeux. Cette conjecture semble confirmée et même solidement établie par le langage uniforme des anciens auteurs, soit français, soit étrangers, qui parlent de la donation de Charlemagne aussi bien que de celle de Pépin, comme d'une restitution faite au Saint-Siége des pouvoirs usurpés par les Lombards. »>

tion étaient au nombre de 22; elles formaient la plus grande partie de l'exarchat de Ravennes avec une partie de la Pentapole ou de l'ancien Picénum. La plupart étaient situées le long des côtes de la mer Adriatique, ou à peu de distanee de ses côtes, dans un espace d'environ quarante lieues du nord-est au sud-est. Ainsi tout le pays compris dans la donation dont il s'agit était borné au nord et au couchant par le Po et le Tanaro; au midi par les Appennins et à l'ouest par la mer adriatique. Cette donation comprenait aussi la ville de Narni dans l'Ombrie qui dépendait du duché de Rome et dont les Lombards de Spolète s'étaient emparés. » L'empereur de Constantinople éleva des réclamations contre cet acte. Mais Pépin refusa d'y faire droit.

Bientôt le royaume des Lombards devait complétement disparaître sous la puissante main de Charlemagne. Ce prince fut fidèle à la politique suivie par Pépin, Le Pape Adrien I occupait alors le siége pontifical, Charlemagne non content, dit M.Gosselin, de confirmer la donation de Pépin, fit dresser par son chapelain Etienne l'acte de donation beaucoup plus ample par laquelle il assurait pour toujours à l'Eglise romaine l'exarchat de Ravennes, l'ile de Corse, les provinces de Parme, de Mantoue, de Venise et d'Istrie, avec les duchés de Bénévent et de Spolète. Le roi signa de sa propre main cette donation et la fit signer par les évêques, abbés, ducs et comtes qui l'accompagnaient; après quoi il la init sur l'autel de saint Pierre et fit serment avec tous les seigneurs français de conserver au Saint-Siége tous les Eiats qui lui étaient donnés par cet acte.

« Il semble étonnant au premier abord, ajoute M. Gosselin, que Charlemagne y ait fait entrer l'île de Corse, le duché de Bénévent et quelques autres villes et territoires sur lesquels il n'avait encore aucun droit de conquête ni de souveraineté. C'est ce qui a donné lieu à quelques auteurs de révoquer en doute la donation de Charlemagne, du moins quant à ces provinces. On croit cependant qu'elles ont pu entrer dans l'acte dont il s'agit, en supposant qu'elles fussent du nombre de celles qui depuis le pontificat de Grégoire II, s'étaient données au Saint-Siége pour obtenir sa protection dans l'état d'abandon où elles se trouvaient. Or, il y a tout lieu de croire que telle était la situation des villes et territoires mentionnés dans la donation de Charlemagne et sur lesquels il n'avait alors aucun droit de conquête et de souveraineté. Il est certain en effet que depuis le pontificat de Grégoire 11, plusieurs villes et territoires d'ItaTie se donnèrent successivement au SaintSiége pour obtenir sa protection contre les Lombards, C'est ce que firent les habitants de Spolète et de Rieti sous le pontificat d'Adrien 1, quelque temps avant la destruction du royaume des Lombards, peut-être même beaucoup plus anciennement. On peut conjecturer la même chose avec beau

Ces donations authentiques et la protection des rois de France donnèrent à la Papauté son indépendance comme pouvoir temporel, et assurèrent par suite aussi l'indépe ndance et l'efficacité de son pouvoir spirituel, qui dans les circonstances où se trouvait alors l'Europe exigeaient que nul prince temporel ne pût prétendre aux possessions de l'Eglise romaine et d'en faire un moyen de domination à l'égard du Pape, et que cette Eglise trouvât dans ses propres domaines la force et l'autorité né, cessaires pour se défendre contre toute violence. Bientôt après le renouvellement de l'empire d'Occident et le couronnement de Charlemagne par le Pape réalisèrent d'une manière complète la pensée qui avait guidé les actes précédents des Papes et des rois de France. La distinction des deux pouvoirs fut solidement fondée et reconnue comme la base du droit public européen. Bien que le Pape et les Romains prêtassent serment à l'empereur, celui-ci ne prenait cependant que le titre de patrice romain et ne prétendait pas exercer un véritable droit de souveraineté ni même de suzeraineté sur l'Etat pontitical. Le serment que prêtaient les Romains à l'empereur réservait l'autorité du Pape, Il était ainsi conçu: Je jure par les saints mystères, que sauf mon honneur, ma loi et la fidélité que je dois au Pape N... je suis et serai fidèle toute ma vie à l'empereur N...; et que je ne combattrai contre lui avec qui que ce soit. Comme patrice romain, l'empereur prêtait lui-même serment au Pape, et d'ailleurs dans les différentes distributions de l'empire qui furent faites sous Charlemagne et ses successeurs, jamais les possessions de l'Eglise romaine ne furent comprises dans le partage.

C'était le Pape Léon III qui avait donné à Charlemagne la dignité impériale et avait transféré ainsi l'empire des Grecs aux Francs, et ses successeurs furent de même couronnés par le Pape. Ce fait a donné lieu à une grave question d'histoire et de droit public, celle de savoir si c'était un des droits de la Papauté de conférer l'empire et si l'élection impériale n'était valide qu'après avoir été approuvée par le Pape. On sait que cette cinion prévalut pendant tout le moyen ge, bien que le parti allemand soutint que la dignité impériale appartenait de droit aux rois d'Allemagne et que le Pape devait nécessairement couronner l'élu des électeurs allemands. Les Allemands prétendaient en outre qu'il appartenait à l'empe

reur de confirmer l'élection papale et même de nommer les Papes, et des historiens allemands modernes ont supposé que cette double confirmation de l'élection impériale par le Pape et de l'élection papale par l'empereur était le résultat d'une convention entre le Pape et Charlemagne, ayant pour but d'organiser le rapport naturel des deux pouvoirs.

On verra dans la suite de cet article les aévelopements que prit cette question notamment au XIV siècle. Pour ce qui concerne les successeurs immédiats de Charlemagne, voici ce que nous apprend l'histoire. Louis le Débonnaire, Lothaire et Louis 4 recurent du saint Père la confirmation de la dignité impériale. Ce fut lui qui la conféra à Charles le Chauve, à Charles le Gros, à Guido de Spolète, et à Arnolphe fils naturel de Carloman. Dans une lettre de Louis II, à l'empereur Basile, il reconnaît que c'est l'onction et la consécration du Souverain Pontife qui l'a élevé à la dignité impériale, et le principe que le successeur de Pierre élit et couronne l'empereur paraît complétement établi.

Mais d'autre part, le droit de l'empereur de confirmer l'élection du Pape ne semble pas reposer sur les mêmes fondements. Cette élection appartenait toujours au clergé de Rome. Après Léon III un premier Pape fut élu sous Louis le Débonnaire sans qu'on se crût obligé de demander l'approbation de celui-ci. Peu après Pascal 1 fut élu et consacré avant que l'empereur n'en eût été instruit; mais il s'en justifia par la violence qu'on avait exercée à son égard et par la nécessité de céder au milieu du désordre des factieux qui divisaient Rome. Les Papes qui succédèrent à Pascal ne paraissent avoir été consacrés qu'après que l'empereur eut connaissance de l'élection, mais il ne ressort nullement de ce fait que l'empereur ait prétendu exercer une influence directe en cette élection même, qui se faisait ordinairement dans les premiers jours qui suivaient la 1aort du Pape précédent, et il semble plutôt que l'empereur jugeât simplement que l'élection avait été régulièrement faite. Lorsqu'en effet Lothaire contesta l'élection de Serge II, et Charles !e Gros celle d'Etienne VI, c'est que des réclamations s'étaient élevées entre la validité de l'élection. Charles le Gros se dásista de l'opposition qu'il avait faite à l'élection du Pape Etienne IV, quand celui-ci lui eut envoyé les pièces prouvant qu'elle s'était faite régulièrement et en présence de l'évêque de Paris, délégué de l'empe

reur.

Déjà l'empire était livré aux désordres et la Papauté allait éprouver le contre-coup de la désorganisation politique de la monarchie carlovingienne. Cependant avant de tomber dans l'abaissement où l'entrainèrent momentanément les factions italiennes, elle fut représentée encore une fois par un bomme digne des grands siècles de l'Eglise, Nous voulons parler du Pape Nicolas I",

avec lequel s ouvre la lutte entre le pouvoir royal qui se croit tout permis et l'autorité pontificale qui veut que les rois respectent les lois de la morale comme les sujets. Le petit-fils de Louis le Débonnaire, Lothaire II, avait chassé sa femme pour prendre une concubine. Condamné par les évêques français, puis par le Pape, Lothaire, loin de se soumettre, excita son frère Louis à s'emparer de Rome. Mais Nicolas ne céda pas, et bientôt Lothaire fut forcé de demander grâce. Ce fut aussi à partir du pontificat de Nicolas I" que les fausses décrétales prirent une autorité de plus en plus considérable. Voici comment Alzog apprécie l'influence de ces pièces dans son Histoire de l'Eglise

« Les diverses Eglises se servaient des collections de canons ecclésiastiques répandues dans la chrétienté. Eu Espagne, la collection de saint Isidore de Séville faisait généralement autorité. Au 1x siècle parut en France une collection nouvelle composée de trois parties. Elle avait pour base celle d'Isidore; mais elle contenait en outre, diverses pièces fausses tirées de faux documents et que l'ignorance avait introduites dans plusieurs collections particulières. C'étaient en tout cent fausses décrétales, attribuées aux Papes depuis Clément jusqu'à Damas, à quelques Papes postérieurs, à de prétendus conciles et enfin les faux actes de donation de Constantin le Grand, Cependant ces décrétales reconnues fausses d'après des motifs extrinsèques et intrinsèques, si elles ne pouvaient être attribuées au Pape dont elles portaient le nom, émanaient néanmoins d'un Pape quelconque. D'après les plus anciens manuscrits, les trois parties de la collection ne se bornent pas à des questions de droit ecclésiastique, qui seules semblent avoir attiré l'attention des critiques; mais elles traitent avec un égal intérêt, selon la remarque de Mohler, les questions de dogme, de morale, de liturgie et de discipline pénitentiaire, et enfin de la primauté du rang et de la dignité de l'Eglise romaine, des appels adressés à Rome, des divers degrés de la hiérarchie, etc.

Les jugements ne doivent être rendus, disent-elles, que par des personnes d'une vertu reconnue, d'une piété éprouvée.

« Ce n'est pas sans fondement que Luden présume que les luttes de Louis le Débonaire et de ses fils donnèrent naissance à cette collection, parce que ces luttes étaient devenues si violentes, si subversives de tout ordre, qu'il n'y avait plus ni respect pour les choses sacrées, ni lien commun entre les évêques divisés par les plus sauvages passions. On ne sait pas d'une manière certaine quand, pour la première fois, on fit un usage officiel de cette collection. Hincmar de Reims assure que Benoît Lévita, diacre de Mayence, la reçut de Riculphe, archevêque de Mayence, au retour de ce dernier d'Espagne et la fit entrer en partie dans sa propre collection des lois (vers.

845), Nicolas I" et Hincmar, archevêque de Reims, attirèrent l'attention sur ces décrétales et commencèrent à en fonder l'autorité. Leur origine espagnole se trouve établie sur diverses preuves; cependant leur origine franque est encore plus probable et le concile de Paris de 829 confirma cette opinion. Ce n'est qu'en négligeant complétement toutes recherches et toutes réflexions qu'on a pu leur donner une origine romaine, les attribuer au Pape Adrien I", qui fit positivement don à Charlemagne du code dyonisien, beaucoup moins favorable au Pape que celui d'Isidore. Enfin il ne faut pas oublier que les savants modernes sont presque aussi peu instruits de l'état du 1x siècle que les écrivains de cette époque l'étaient des temps antérieurs. L'auteur de ces décrétales, qu'on ne connaîtra jamais, se nomme suivant l'humble coutume des évêques espagnols, Isidorus peccator (mercator) et se montre partout « pieux, croyant, ver« tueux, plein de sollicitude pour les intérêts « de l'Eglise, incapable d'aucune fourberie. >> Aussi Mohler établit-il parfaitement l'analogie de cette collection avec celle des constitutions et canons apostoliques; de même que les auteurs de celle-ci ont rapporté aux apôtres les productions des temps postérieurs, pour leur donner plus de valeur et d'autorité, de même les compilateurs de celle-là ont rattaché en antidatant le faux Isidore aux Papes, et attribué la collection entière à Isidore de Séville, généralement honoré dans l'Eglise. Ce qui n'est pas moins exact, c'est que, dans le fait, les fausses décrétales n'ont rien changé à l'essence de la discipline ecclésiastique; elles n'étaient que l'expression des opinions de leur temps qui, sans elles comme avec elles, auraient fait les mêmes progrès. Mais nous devons ajouter que par cela qu'elles donnent comme des faits accomplis ce qui n'était qu'opinion de l'époque, qu'elles furent dérivées d'une origine antique et certaine, et prétendirent fonder en droit ce qui venait de naître pour la première fois, et particulièrement la liberté et l'indépendance de l'Eglise et l'influence prépondérante de son chef (episcopus universalis), elles hâtèrent le développement et la réalisation de ces idées. Ce faible avantage valut à l'Eglise le reproche injuste et affligeant d'avoir fondé en partie sa constitution sur une œuvre de mensonge. »

Après Nicolas I et jusque vers l'époque de Grégoire VII, les troubles de l'Italie eurent pour résultat d'amener sur le trône pontifical des hommes de parti souvent profondément démoralisés, et pendant cette triste période, le Saint-Siége fit défaut à la grande mission à laquelle il était appelé. Ce fut dans cet intervalle que l'empire passa aux mains des rois d'Allemagne, à la suite de la conquête de la Lombardie, par l'empereur Othon le Grand. Malgré l'abaissement de la Papauté, le principe que c'était au Pape à conférer l'empire était cependant resté en vigueur, et les rois d'Allemagne de

la maison de Franconie durent se faire couronner par le Souverain Pontife. Cependant ils s'arrogèrent de leur côté une autorité exorbitante sur les élections pontificales et il fut même statué, dans un concile tenu à Rome, en présence d'Othon 1", que l'empereur Othon ainsi que ses successeurs auraient le droit de nommer au Saint-Siége, ainsi qu'à tous les évêchés et archevêchés de ces royaumes. Il fut statué en même temps qu'Othon et tous ses successeurs auraient le droit de se nommer tels successeurs qu'ils jugeraient à propos. Mais il y a de fortes raisons de douter de l'authenticité de ce décret et, en tous cas, comme il était imposé jusqu'à un certain point par la force prépondérante de l'empereur, il n'aurait pas pu créer une obligation pour la Papauté. Aussi voit-on que, puisque sous le pontificat de Grégoire VII, ce furent plutôt les circonstances qui décidèrent de l'influence exercée par l'empereur sur les élections papales ou réciproquement que des raisons fondées en droit.

La Papauté reprit enfin son lustre sous Grégoire VII. Sous le Pape Nicolas II et quand Grégoire VII dirigeait déjà les affaires du Saint-Siége, un décret rendu sur les élections papales avait confié cette mission aux cardinaux. Voici quels étaient les termes de ce décret : « A la mort du Pape, les cardinaux-évêques se formeront d'abord en, conseil, puis les autres cardinaux se réuniront à eux; ils auront égard aux vœux du côté du clergé et du peuple romain. Si le clergé romain ne renfermait pas un membre capable, alors seulement il faudrait choisir un étranger. Ce qui ne doit nullement empêcher d'accorder le respect et l'honneur dus au futur empereur, et de demander à quiconque en obtient le droit du Siége apostolique, la confirmation de l'élection pontificale. Que si l'élection ne peut avoir lieu librement à Rome, on peut la faire ailleurs. » La Papauté se délivra ainsi de l'influence qu'exerçaient sur les élections les factions romaines; et quant à la clause qui réservait les droits de l'empereur, elle était si obscure qu'il était difficile aux empereurs de s'en prévaloir.

Nous ne parlerons pas ici de l'énergie que déploya Grégoire VII quand il fut enfiu parvenu lui-même au pontificat, pour déraciner les maux qui affligeaient l'Eglise, les siastique, l'extirpation de la simonie ; mais mesures qu'il prit en vue du célibat ecclé

nous devons nous arrêter un moment sur sa lutte avec l'empereur Henri IV et la querelle des investitures.

La querelle des investitures est liée jusqu'à un certain point à celle des discussions entre le Pape Grégoire VII et l'empereur Henri IV. Mais comme les investitures ne formèrent pas l'unique grief du Pape contre l'empereur, et que l'histoire de celui-ci offre le premier exemple du droit auquel prétendait la Papauté de pouvoir déposer les rois, nous commencerons par cette histoire, dont

Dous empruntons la narration à l'ouvrage cité de M. Gosselin.

« Les historiens s'accordent à représenter l'empereur Henri IV comme un des plus méchants princes qui aient régné sur l'Àllemagne. La débauche, la tyrannie, l'avarice, la simonie faisaient tout à la fois de ce prince le fléau de l'Etat et de la religion, et ses vexations continuelles aliénèrent à un tel point les seigneurs de ses Etats qu'ils songèrent plus d'une fois à le déposer dans une assemblée générale de la nation. Dès l'an 1067 longtemps avant le pontificat de Grégoire VII, ils en avaient conçu le dessein qu'ils renouvelèrent souvent depuis, et dont l'exécution ne fut arrêtée que par les intrigues, les promesses ou l'amendement passager de Henri. Déjà le Pape Alexandre II, dans le désir de remédier aux maux de l'Eglise et de l'Etat, avait cité ce prince à Rome pour rendre compte de sa conduite et pour se justifier en particulier sur la si monie, une des principales sources des troubies et des scandales qui affligeaient alors l'Eglise d'Allemagne. Mais la mort du pontife arrivée peu de temps après cette citation la rendit inutile ou du moins calma bientôt les inquiétudes de l'empereur. Grégoire VII, successeur d'Alexandre II, ne fut pas plutôt monté sur le Saint-Siége qu'il songea sérieusement à prendre des moyens efficaces pour faire cesser le scandale; mais pour peu qu'on observe attentivement sa conduite, on verra combien il était naturellement éloigné des moyens de rigueur surtout à l'égard de Henri. Il était impossible, en effet, de pousser plus loin qu'il ne fit les témoiguages de bienveillance, de douceur et de compassion envers un prince si opiniâtre dans ses désordres. Ce ne fut qu'après avoir épuisé inutilement par lui-même et par ses légats tous les moyens de douceur, qu'il revint, pour ainsi dire malgré lui, aux menaces et à la rigueur, et encore ne le fit-il qu'à la prière des seigneurs saxons, qui, poussés à bout par les vexations de l'empereur et ne croyant plus pouvoir compter sur ses promesses tant de fois violées, s'adressèrent au Saint-Siége comme à leur unique refuge et au seul tribunal capable de mettre des bornes au despotisme et à tous les crimes de Henri. Après avoir exposé au Pape la triste situation de l'Eglise et de l'Etat en Aliemagne, ils lui représentent: Qu'il ne convient pas de soutenir sur le trône un si méchant prince, vu surtout que Rome ne lui a pas encore donné la diguité royale, qu'il est à propos de rendre à Rome son droit d'établir les rois, qu'il appartient au Pape et à la ville de Rome de concert avec les princes (allemands) de choisir un homme digne par sa conduite et sa prudence d'un rang si élevé. Ils ajoutaient pour appuyer leur derande que l'empire était un fief de la ville éternelle et qu'il appartenait par conséquent au Pape comme chef et organe du peuple romain de venir au secours de l'Empire dans l'extrémité où il se trouvait. On doit remarquer que les seigneurs saxons

en provoquant la sévérité du Pape contre Henri, agissaient de concert avec le plus grand nombre des seigneurs allemands dont le mécontentement s'était depuis longtemps manifesté et se manifestait encore toutes les fois qu'il n'était pas comprimé par la puissance de Henri ou par les promesses simulées qui ne coûtaient rien à ce prince toujours prêt à les violer aussitôt qu'il pouvait le faire impunément.

« L'opiniâtreté qu'il montrait dans ses désordres et le soulèvement général qui s'augmentait de jour en jour contre lui ne permettaient plus au Pape de se borner à an des exhortations et à des avis paternels, il adressa donc à Henri les plus fortes remontrances pour l'obliger à mettre fin à ses excès et surtout à rendre la liberté aux évêques qu'il tenait captifs et à leur restituer leurs églises et leurs biens injustement usurpés, enfin si le fit menacer d'excommunication par ses légats s'il ne satisfaisait promptement à l'Eglise. Henri blessé jusqu'au vif par cette menace, chassa honteusement les légats et convoqua un concile à Worms où il fit dresser contre Grégoire un acte d'accusation rempli des calomnies les plus infâmes par suite desquelles il fut déclaré déchu du pontificat. Henri lui-même notifia cette décision au Pape dans une lettre insultante et d'un style aussi peu digne de la majesté royale qu'indigne d'un chrétien. Ce que nous devons surtout y remarquer, c'est la crainte que le prince y témoigne des suites que l'excommunication pouvait avoir relativement à sa dignité royale. Quoique Grégoire, en le menaçant de l'excommunication, n'eût pas dit un seul mot de la déposition, Henri supposa clairement que dans le sentiment du Pape et de bien d'autres personnes l'excommunication pouvait entraîner ce terrible effet, du moins après un certain laps de temps, car il accuse Grégoire de l'avoir attaqué personnellement et d'avoir voulu lui enlever son royaume. « Tu « m'as déshonoré, lui dit-il, moi qui tiens « ma puissance de Dieu lui-même, moi qui, << suivant la tradition des Pères, n'ai d'autre « juge que Dieu et ne puis être déposé pour « aucun crime si ce n'est que j'abandonne « la foi. » Henri paraît nier ici absolument qu'un souverain pût alors être déposé pour une autre cause que pour celle de l'hérésie. Cette assertion prise à la rigueur, contredit formellement la persuasion générale de cette époque sur les suites de l'excommunication par rapport aux souverains, persuasion qu'il ne tarda pas lui-même à reconnaître par l'organe de ses députés dans les négociations relatives à son absolution, Il est donc vraisemblable qu'il ne prenait pas à la rigueur l'assertion que nous venons de citer et que, selon l'usage des anciens auteurs ecclésiastiques, il prenait le mot d'hérésie dans un sens large, non-seulement pour l'hérésie proprement dite, mais encore pour certains crimes qui rendent un pécheur suspect d'hérésie. Tel était en particulier le crime de simonie qui était un des princi

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