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ensemble à procurer l'union du sacerdoce et de l'empire, afin que le genre humain, gouverné par ces deux souveraines puissances, qui président, l'une au spirituel. l'autre au temporel, ne soient olus divisées en plusieurs partis.

Cette doctrine était admise par Grégoire VII. Celle du droit de déposer les princes l'était également, ainsi que le prouvent les sentences d'excommunication et de déposition prononcées contre Henri IV. Dans la première de ces sentences, de 1076, il est dit: Pierre, prince des apôtres..., je crois que, par la grâce, le pouvoir m'a été donné de lier et de délier, dans le ciel et sur la terre; c'est en cette confiance que, pour l'honneur et la défense de l'Eglise, de la part de Dieu tout-puissant Père et Fils et Saint-Esprit, et par votre autorité, je défends à Henri, fils de l'empereur Henri, qui, par un orgueil inouï s'est élevé contre votre Eglise, de gouverner le royaume Teutonique et l'Italie ; j'absous tous les chrétiens du serment qu'ils lui ont fait ou feront, et je défends à personne de le servir comme roi : car celui qui veut donner atteinte à l'autorité de votre Eglise mérite de perdre la dignité dont il est revêtu.» Dans la seconde, de 1080, le Pape rappelle d'abord en détail les principaux excès de Henri; après quoi il continue, en ces termes, en s'adressant à saint Pierre et à saint Paul : « C'est pourquoi, en me fiant au jugement et à la miséricorde de Dieu et de sa très-pieuse Mère, Marie toujours Vierge, revêtu de votre autorité, je soumets à l'excommunication et je lie par les liens de l'anathème le sus-dit Henri, qu'on nomme roi, et tous ses fauteurs; et lui interdisant de nouveau le royaume Teutonique et l'Italie, de la part du Dieu tout-puissant et de la vôtre, je lui enlève tout pouvoir et toute dignité royale, et j'interdis qu'aucun chrétien ne lui obéisse comme à son roi, et j'absous tous ceux qui lui ont prêté serment ou qui le lui prêteraient en cette qualité, des promesses faites par ce serment.» La doctrine de Grégoire VII est assez longuement exposée aussi dans une de ses lettres, dont voici les principaux passages:

Quant à ceux qui disent qu'un roi ne doit pas être excommunié, quoique leur impertinence mérite qu'on ne les regarde point, nous les renvoyons aux paroles et aux exemples des Pères. Qu'ils lisent ce que saint Pierre ordonna au peuple dans l'ordination de saint Clément, touchant celui que l'on sait n'être pas bien avec l'évêque. Qu'ils apprennent que l'Apôtre dit: Elant prêts à punir toute désobéissance (II Cor. 1, 6); et de qui il dit: Il ne faut pas même manger avec eux. (I Cor. v, 11.) Qu'ils considèrent pourquoi le Pape Zacharie déposa le roi de France et déchargea tous les Français du serment qu'ils lui avaient fait; qu'ils apprennent dans le registre de saint Gréguire, qu'en des priviléges donnés à quelques églises, il n'excommunie pas seulement les rois et les seigneurs qui pourraient

y contrevenir, mais qu'il les prive de toute dignité; qu'ils n'oublient pas que saint Ambroise, non content d'excommunier Théodose, lui défendit encore de demeurer à la place des prêtres dans l'église, quoique ce prince fût non-seulement roi, mais véritablement empereur par ses mœurs et sa puissance. Peut-être veut-il dire que quand Dieu dit à saint Pierre: Paissez mes brebis (Joan. XXI, 17), il en excepta les rois. Mais ne voit-il pas qu'en lui donnant le pouvoir de lier et de délier, il n'en excepta personne. Que si le Saint-Siége a reçu de Dieu le pouvoir de juger les choses spirituelles, pourquoi ne jugera-t-il pas aussi les choses temporelles? Vous n'ignorez pas de qui sont membres les rois et les princes, qui préfèrent leur honneur et leur profit teinporel à l'honneur et à la justice de Dieu. Car, comme ceux qui mettent la volonté de Dieu avant la leur, et lui obéissent plutôt qu'aux hommes, sont membres de JésusChrist; aussi les autres sont membres de l'Antechrist. Si donc on juge, comme il le faut, les hommes spirituels, pourquoi les séculiers ne seraient-ils pas encore plas obligés à rendre compte de leurs mauvaises actions? Mais ils croient peut-être que la dignité royale est au-dessus de l'épiscopale. On en peut voir la différence par l'origine de l'une et de l'autre : celle-là a été inventée par l'orgueil humain, celle-ci instituée par la bonté divine; celle-là recherche incessamment la vaine gloire, celle-ci aspire toujours à la vie céleste. Aussi saint Ambroise dit, dans son Pastoral, que l'épiscopat est autant au-dessus de la royauté, que l'or au-dessus du plomb; et l'empereur Constantin prit la dernière place entre les évêques. »

Nous ne parlons pas des 16 propositions attribuées à Grégoire VII, parce qu'elles ne sont pas parfaitement authentiques.

Il reste quelques autres témoignages de la doctrine admise à cette époque.

Dans les lettres qu'Ives de Chartres écrivit à Philippe 1" pour le déterminer à renoucer à son mariage adultère, il indique clairement que le roi est exposé à perdre son royaume temporel s'il persiste dans son péché. Ce prélat s'exprime ainsi dans une lettre à Henri le roi d'Angleterre : « Les charges humaines ne peuvent être bien administrées que par l'union du sacerdoce et de l'empire, je conjure Votre Excellence de laisser une entière liberté à ceux qui annoncent dans son royaume la parole de Dieu, et de ne jamais oublier que le royaume de la terre est soumis à celui du ciel, que Dieu a contié à l'Eglise, car de même que le corps doit être soumis à l'esprit, de même le pouvoir terrestre doit être soumis à l'Eglise.»

Hugues de Saint-Victor, après avoir établi la distinction de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle, poursuit en ces termes : « Autant la vie spirituelle est audessus de la temporelle et l'âme au-dessus du corps, autant la puissance spirituelle l'emporte sur la temporelle en puissance et

en gignité; car c'est à la puissance spirituelle qu'il appartient d'établir la temporelle et de la juger si elle se conduitmal. La puissance spirituelle au contraire a été dans le principe établie de Dieu qui seul la juge si elle vient à s'égarer, selon qu'il est écrit: L'homme spirituel juge de tout et n'est jugé par personne. (1 Cor. II, 15.) Que la puissance spirituelle, quant à son institution divine, soit antérieure à la puissance temporelle et plus excellente en dignité, c'est ce que montre clairement l'histoire du peuple de Dieu dans l'Ancien Testament; car on y voit que Dieu établit d'abord le sacerdoce et que les pontifes établirent ensuite la puissance royale par ordre de Dieu. C'est pourquoi dans l'Eglise chrétienne, ce sont aussi les pontifes qui consacrent les rois, qui sanctifient leur puissance par la bénédiction et la dirigent par de sages conseils. Si donc, comme le dit l'Apôtre, celui qui bénit est plus grand que celui qui est béni, il s'ensuit évidemment que la puissance temporelle est inférieure à la spirituelle de qui elle reçoit la bénédiction.

Au même sujet se rapporte aussi l'allégorie des deux glaives, dont on faisait souveut usage à cette époque. Geoffroy de Vendôme dit à ce sujet: «Jésus-Christ a voulu que le glaive spirituel et le glaive matériel fussent employés pour la défense de l'Eglise. Si l'un des deux émousse l'autre, c'est contre son intention; de là viennent les schismes et les scandales. » Saint Bernard s'adressant au Pape Eugène III lui dit : « Attaquez ces Romains rebelles, avec la parole et non avec le fer. Pourquoi voudriez-vous encore employer le glaive qu'il vous a été erdonné de remettre dans le fourreau. Toutefois, celui qui nierait que ce glaive soit à Tous, ne ferait pas assez attention aux paroles de Jésus-Christ qui ordonne à saint Pierre de remettre son épée dans le fourreau. Ce glaive est donc véritablement à vous, pour être tiré, à votre sollicitation, quoique par une main différente de la vôtre. Si ce glaive ne vous appartenait en aucune manière lorsque les apôtres dirent à Jesus-Christ: Voici deux épées, il n'aurait pas répondu : C'est assez (Luc. XXII, 38); mais il aurait dit: C'est trop. Les deux glaives appartiennent donc à l'Eglise, le spirituel et le temporel; c'est à l'Eglise elle-même à tirer le spirituel par la main des pontifes; le matériel doit être tiré pour la défense de l'Eglise, par la main du soldat; mais à la sollicitation Ju pontife et d'après l'ordre du prince. «<Saint Bernard ajoute qu'il a traité cette matière en un autre endroit. Il a écrit en effet une lettre au même Pape où, à la suite d'une défaite des croisés en Palestine, il iusiste sur la nécessité de tirer les deux glaives.

A l'occasion de l'élection de ce Pape, saint Bernard s'exprime aiusi : « Ne semblet-il pas ridicule de choisir un petit homme couvert de haillons pour le charger de présider les princes, de commander aux évêques, de disposer des royaumes et des empires ? »

La lutte entre la Papauté et l'Empire, terminée un moment par le concordat de Worms, allait bientôt recommencer. C'était maintenant la liberté de l'Italie et l'indépendance temporelle des Papes qui allait être débattue.

Depuis qu'Othon I" avait été appelé au royaume de Lombardie et qu'il avait reçu des mains du Pape la couronne impériale, les idées des rois d'Allemagne relativement à leurs droits sur l'Italie s'étaient sans cesse agrandies. Il avait été reçu comme droit public en Allemagne que la dignité impériale appartenait de droit aux rois allemands ainsi que la domination de l'Italie. Les Hohenstauffen se firent les représentants de cette idée; ils traitèrent l'Italie en pays conquis et se proposèrent surtout d'abattre d'un côté la liberté des villes grandies rapidement pendant les derniers troubles, et de l'autre d'enlever au Pape sa puissance politique en rangeant sous leurs lois les terres de l'Eglise. Les Papes durent résister à ces envahissements, surtout lorsque par un mariage, les Hohenstauffen eurent ajouté le royaume de Sicile à l'Empire. La liberté de l'Italie trouva en eux ses plus fermes soutiens, et grâce à leurs efforts, l'Allemagne n'exerça pas sur elle son influence despotique. Comme question accessoire à ce grand intérêt, se posa alors celle du droit de la Papauté de couronner l'empereur, de celui de l'empereur de confirmer le Pape.

La mésintelligence avec Frédéric i" de Hohenstauffen commença sous le Pape Adrien IV en 1154. Déjà l'empereur était venu à Rome pour s'y faire couronner, etil avait refusé de tenir l'étrier du Pape, suivant l'usage admis. Il avait cédé cependant, mais peu après l'empereur disposa arbitrairement de quelques évêchés contrairement au concordat de Worms. Le Pape lui écrivit une lettre dans laquelle il lui reprochait les mauvais traitements contre Eskyl, archevêque de Lunden. Il disait : « Nous n'en comprenons pas la raison, puisque notre conscience ne nous reproche pas de vous avoir offensé en rien, et qu'au contraire nous vous avons toujours aimé comme notre cher fils, et comme un prince très-chrétien. Vous devez vous remettre sous les yeux combien la sainte Eglise romaine, votre mère, vous reçut agréablement l'autre année et comment elle vous conféra de bon cœur la couronne impériale. Ce n'est pas que nous nous repentious d'avoir en tout rempli vos désirs; au contraire, si vous aviez reçu de notre main de plus grands bienfaits: Sed si majora beneficia excellentia tua de manu nostra suscepisset; nous nous en réjouirions en considération des biens que vous pouvez procurer à l'Eglise et à nous. » Le mot de beneficium qui était employé dans cette lettre et qui devait être pris dans le sens de bienfait, comme le Pape l'expliqua lui-même dans une lettre postérieure, excita un grand trouble. On dit qu'un des légats qui avait apporté la lettre eut la hardiesse de dire: a De qui tient-il donc l'empire, si ce n'est du

Pape? Les légats durent partir dès le lendemain matin et l'empereur publia un rescrit adressé à ses sujets dans lequel il disait: Puisque c'est de Dieu seul, par l'élection des princes que dépend l'empire, puisque le Seigneur lui-même, au milieu de ses souffrances, a désigné les deux glaives qui doivent gouverner le monde, et que l'apôtre Pierre prescrit aux hommes de craindre Dieu et d'honorer le roi, il est évident que celui-ci s'oppose à l'ordre établi de Dieu, à la doctrine de Pierre, et n'est qu'un menteur qui prétend que nous tenons la couronne impériale des bienfaits du Pape. »

Cependant la discussion s'apaisa pour le moment: mais en 1158 Frédéric revint en Italie et fit proclamer les droits impériaux dans une grande assemblée tenue dans le champ de Roncaglia. Les quatre plus célèbres jurisconsultes de Bologne déclarèrent que, d'après le droit romain, la toute-puissance absolue des anciens empereurs romains appartenait à l'empereur d'Allemagne. En même temps ils revendiquèrent pour lui tous les droits régaliens, comme monnaies, impôts, péages, etc. Ces empiétements sur les priviléges des villes, des évêques et des couvents, dit M. Alzog, excitèrent un mécontentement général, auquel s'ajoutèrent bientôt de nouveaux griefs dont le Pape eut à se plaindre plus que personne, lorsque malgré son vœu solennel de protéger les droits et les vœux du Saint-Siége, Frédéric donna à Guelfe l'investiture de l'héritage de Mathilde, chargea d'impôts les biens de l'Eglise romaine, disposa arbitrairement des siéges archiepiscopaux de Cologne et de Ravenne, et tout en violant ses promesses, continua de relever avec aigreur jusqu'aux moindres infractions de la part du Souverain Pontife... Adrien allait anathématiser l'emur quand il mourut.

Les cardinaux choisirent Alexandre III; l'empereur fit élire un antipape, Victor. Alexandre, un des plus grands successeurs de Grégoire VII, excommunia l'empereur et son pape. Aiors commença une guerre longue et terrible. Dans une première expédition, Frédéric prit la ville de Milan et la détruisit de fond en comble. Vérone alors se mit à la tête de la ligue italienne. D'autres villes et principalement Pavie, mues par les haines qu'elles portaient à leurs rivales, avaient embrassé le parti impérial. Le génie et l'autorité du Pape Alexandre III dirigeaient la guerre, et la ville d'Alexandrie bâtie pour servir de défense contre l'Allemagne lui dut son nom. Enfin, la bataille de Legnano décida la défaite de l'empereur. Les villes conservèrent leurs libertés et les bases du nouveau traité furent garanties à la diète de Constance.

Alexandre Il était mort au moment de la victoire. Non-seulement il avait triomphé de l'Allemagne, mais il avait encore ramené à l'obéissance le roi d'Angleterre Henri II, qui avait voulu ployer l'Eglise d'Angleterre sous son joug et qui avait réalisé son intention criminelle par l'assassinat de l'arche

DICTIONN, DES SCIENCES POLITIQUES. III.

vêque de Cantorbéry, Thomas Becket. A la fin de sa vie il convoqua le onzième concile œcuménique de Latran afin de prévenir pour l'avenir le retour des désordres produits par les antipapes. Ce concile porta le décret suivant : « Désormais celui-là seul sera reçu Pape qui aura été élu par les deux tiers des cardinaux. Tout autre qui s'en arrogera le titre sera excommunié. » Les empereurs avaient abandonné le droit de confirmer l'élection des Papes, et quand Frédéric 1" opposa l'antipape Victor IV à Alexandre II, il voulut faire décider la validité de l'élection par un concile général.

Les premiers successeurs d'Alexandre III eurent à lutter contre les factions intérieures de Rome ils furent par conséquent faibles vis-à-vis de l'empire et ne purent empêcher la maison de Hohenstauffen de s'établir en Sicile. Bientôt le pouvoir pontifical devait arriver, sous Innocent III, à l'apogée de sa grandeur. Dès le premier moment de son règne, il soumit le préfet impérial de Rome, puis ressaisit successivement tous les territoires que les empereurs étaient parvenus à enlever aux Papes en Italie, notamment les héritages de la princesse Mathilde.

Nous reviendrons bientôt sur ses démêlés avec les empereurs d'Allemagne. Mais l'action d'Innocent III ne s'étendit pas seulement à l'empire. Philippe-Auguste, roi de France, fut forcé de reprendre sa femme, qu'il avait répudiée, et de chasser sa concubine. Jean-sans-Terre, roi d'Angleterre, après une vaine obstination, longtemps prolongée, céda de la manière la plus huniliante. En même temps Iunocent III forcait Alphonse IX de se séparer de sa femine, Bérengère, qui était en même temps sa petite-fille; il recevait les soumissions des rois d'Aragon et de Portugal, et donnait la couronne à un prince bulgare. Grand légiste, politique habile, ce fut celui de tous les papes que le plus grand succès couronna dans toutes ses entreprises. Le passage suivant d'un de ses discours a été cité souvent comme exprimant sa doctrine sur les relations de l'Eglise et de l'E'at; et les partisans de tous les systèmes l'ont interprété en leur faveur : « Le pouvoir des princes s'exerce sur la terre, celui des prêtres dans le ciel ; ceux-là ne gouvernent que les corps, ceux-ci les âmes. Aussi le sacerdoce est autant au-dessus de la royauté que l'âme est au-dessus du corps... Le pouvoir de chaque prince est renferiné dans sa province, celui de chaque roi dans son royaume; mais Pierre les surpasse tous (præeminet), par la plénitude et l'étendue de sa puissance, parce qu'il est le vicaire de Celui à qui appartient l'univers et tout ce qu'il renferme, la terre et tous ses habitants. »>

Henri VI, fils de Frédéric 1", avait succédé à son père en Allemagne, et Heari VI en mourant avait laissé un tils mineur, Frédéric II. Philippe de Souabe, l'oncle du jeune roi, avait été nommé régent. Les Etats allemands lui opposaient le guelfe Othon IV de Brunswick. La guerre civile désola de

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vers la Papauté, et que l'on accusait en outre avec raison d'athéisme, est excommunié et déposé. Alors l'Allemagne aussi se soulève. Henri Raspe est proclamé empereur, et après sa mort Guillaume de Hollande. La prépondérance des armes restait à Frédéric; il mourut enfin au milieu de la conflagration générale.

nouveau l'Allemagne. Le Pape s'était prononcé d'abord pour Othon, mais Philippe paraissant avoir pour lui la majorité de l'Allemagne, le Pape entrait en négociation avec lui quand ce prince fut assassiné. Alors Othon qui avait aussi renoncé à l'héritage de la princesse Mathilde, put monter paisiElement sur le trône. Mais bientôt il se tourna contre le Pape et voulut lui reprendre la Toscane et lui disputer ses droits de suzeraineté sur Naples et la Sicile. Innocent III l'excommunia, et les princes allemands le proclamèrent déchu de la couronne. Il restait le fils de Henri VI, Frédéric, dont le Pape avait eu la tutelle et auquel il avait conservé le royaume des Deux-Siciles. Innocent III le fit proclamer empereur sous la condition ordinaire qu'il renoncerait à la Sicile, dès qu'il serait en possession de la couronne impériale.

C'était ce même Frédéric II qui devait devenir un des ennemis les plus acharnés du Saint-Siége et de la liberté italienne. La lutte acharnée recommence entre le Pape et l'empereur, entre l'Allemagne et l'Italie, et elle s'élève à des proportions inconnues jusqu'alors. Innocent III était mort. A peine empereur, Frédéric II avait songé à fonder l'omnipotence et l'absolutisme de l'empire sur les débris des droits ecclésiastiques et des libertés municipales. Dès le commencement il prouva sa mauvaise foi. Il fait donner la double couronne d'Allemagne et de Sicile à son fils Henri, malgré la promesse qu'il avait faite au Saint-Siége. Engagé par serment vis-à-vis du Pape Honorius II, successeur d'Innocent III, à faire une croisade, il la diffère pendant douze ans, malgré les instances de Grégoire IX, successeur d'Honorius; puis s'embarque, mais pour se jeter sur le royaume de Naples, où son pouvoir était ébranlé. Le Pape l'excommunie; et Frédéric part enfin pour la croisade en état d'excommunication. Il prend, à la vérité, Jérusalem, mais, par ses arrangements avec les Sarrasins, abandonne toute la TerreSainte à leur bon plaisir. Depuis longtemps il était l'ami des Arabes, il avait des troupes mahométanes à son service; ses mœurs et celles de sa cour étaient celles d'un despote oriental.

De retour de Palestine, Frédéric force le Pape d'accepter un arrangement. Mais bientôt éclate la révolte des villes italiennes contre l'oppression impériale, révolte soutenue par le Pape. Pendant quinze ans une guerre terrible ravage l'Italie. L'empereur sévit contre les vaincus avec une cruauté inouïe. Les princes italiens qui le servaient, avant tous, le féroce Ezzelin de Romano, imitent son exemple. Grégoire IX était mort, mais il avait trouvé un digne successeur dans Innocent IV. Au grand concile œcuménique de Lyon (1245), Frédéric, qui s'était porté aux dernières extrémités en

(1) Voltaire, Essai sur l'histoire, ch. 37. (2) Ibid., ch. 46.

(3) Ibid., ch. 47.

Nous ne parlerons pas des guerres civiles qui désolèrent l'Allemagne et l'Italie pendant les vingt-trois ans d'interrègne qui suivirent la mort de Frédéric II, et dans lesquelles périrent les derniers rejetons de la famille de Hohenstauffen. Cette guerre dura en Italie jusqu'à ce que le trône de Sicile, donné à Charles d'Anjou par le Pape Clément IV, fut assuré aux Français. Après l'extinction des Hohenstauffen, les Papes Clément IV et Grégoire X purent intervenir en Allemagne et presser l'élection impériale, menacer même d'y procéder euxmêmes à défaut des Etats de l'Allemague, sans qu'on leur disputât ce droit. La lutte entre l'empire et la Papauté était terminée enfin, et la victoire était restée à celle-ci.

Nous ne pouvons nous empêcher de reproduire pour l'appréciation de cette partie des démêlés entre le Saint-Siége et l'enipire, les passages suivants, si pleins de verve et de justesse, du livre Du Pape de Joseph de Maistre, et sa spirituelle polémique à ce sujet avec Voltaire :

«Le troisième but que les Papes poursuivirent sans relâche comme princes temporels, fut la liberté de l'Italie qu'ils voulaient absolument soustraire à la puissance allemande.

« Après les trois Othons, le combat de la « domination allemande et de la liberté itaalienne resta longtemps dans les mêmes « termes (1). Il me paraît sensible que le « vrai fond de la querelle était que le pape <«<et les Romains ne voulaient pas d'empe«reur à Rome (2). » C'est-à-dire qu'ils ne voulaient pas de maître chez eux.

« Voilà la vérité. La postérité de Charlemagne était éteinte. L'Italie, ni les papes en particulier, ne devaient rien aux princes qui la remplacèrent en. Allemagne. « Ces princes tranchaient tout par le glai«ve (3). Les Italiens avaient certes un droit « plus naturel à la liberté qu'un Allemand << n'en avait d'être leur maître (4). Les Itaaliens n'obéissaient jamais que malgré eux « au sang germanique, et cette liberté, dont « les villes d'Italie étaient alors idolâtres, respectait peu la possession des Césars « allemands (5). » Dans ces temps malheureux « la papauté était à l'encai ainsi que « presque tous les évêchés; si cette autorité « des empereurs avait duré, les papes n'eussent été que leurs chapelains et l'Italie « eût été esclave (6).

« L'imprudence du Pape Jean XII d'avoir « appelé les Allemands à Rome fut la source

(4) Ibid., ch. 47.

(5) Ibid., ch. 61 et 62. (6) Ibid., ch. 38.

a de toutes les calamités dont Rome et l'Italie furent affligées pendant tant de sièacles (7). L'aveugle pontife ne vit pas quel genre de prétentions il allait déchaîner, et la force incalculable d'un nom porté par un grand homme. « Il ne paraît pas que l'Allemagne sous Henri l'Oiseleur prétena dît être l'empire; il n'en fut pas ainsi « sous Othon le Grand (8). » Ce prince, qui sentait ses forces, « se fit sacrer, et obligea « le pape à lui faire serment de fidélité (9). « Les Allemands tenaient donc les Romains « subjugués, et les Romains brisaient leurs afers dès qu'ils le pouvaient (10). » Voilà tout le droit public de l'Italie pendant ces temps déplorables où les hommes manquaient absolument de principes pour se conduire. « Le droit de succession même

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(ce palladium de la tranquillité publique) ne paraissait alors établi dans aucun Etat a de l'Europe (11). Rome ne savait ni ce « qu'elle était ni à qui elle était (12). L'u« sage s'établissait de donner des couronnes « non par le droit du sang, mais par le suffrage des seigneurs (13). Personne ne sa< vait ce que c'était que l'empire (14). I n'y avait pas de lois en Europe (15). On n'y reconnaissait ni .droit de naissance, ni droit d'élection; l'Europe était un chaos dans lequel le plus fort s'élevait << sur les ruines du plus faible, pour être ensuite précipité par d'autres. Toute « l'histoire de ce temps n'est que celle de « quelques capitaines barbares qui dispua taient avec des évêques la domination sur a des serfs imbécilles (16).

Il n'y avait réellement plus d'empire, a ni de droit ni de fait. Les Romains, qui « s'étaient donnés à Charlemagne par acclamation, ne voulurent plus reconnaître des bâtards, des étrangers à peine maîtres d'une partie de la Germanie. C'était un singulier empire romain. Le corps germauique s'appelait le saint empire romain, tandis que réellement il a était ni saint, aui empire, ni romain. I paraît évident que le grand dessein de Frédéric II était ◄ d'établir en Italie le trône des nouveaux « Césars, et il est bien sûr au moins qu'il voulait régner sur l'Italie sans bornes et 1 suns partage. C'est le nœud secret de toutes les querelles qu'il eut avec les papes. 1 employa tour à tour la souplesse et la « violence, et le Saint-Siége le combattit avec les mêmes armes (17). Les guelfes, aces partisans de la papauté, et encore plus a de la liberté, balançaient toujours le pouavoir des gibelins, partisans de l'empire. Les divisions entre Frédéric et le SaintSiége n'eurent jamais la religion pour objel (18). »

(7) Voltaire, Essai sur l'histoire, ch 36.
(8) Ibid., ch. 39.
(9) Ibid., ch. 36.

(10) Ibid., ch. 36.

(11) Ibid., ch, 40.

(12) Ibid., ch. 37.

(13) Ibid., ch. 37.

(14) Ibid., ch. 47 ct 45.

De quel front ce même écrivain, oubliant ces aveux solennels, s'avise-t-il de nous dire ailleurs << Depuis Charlemagne jus« qu'à nos jours, la guerre de l'empire et « du sacerdoce fut le principe de toutes les « révolutions. C'est là le fil qui conduit dans ce labyrinthe de l'histoire moderne (19). » «En quoi d'abord l'histoire moderne estelle un labyrinthe plutôt que l'histoire ancienne?

« J'avoue, pour mon compte, y voir plus clair, par exemple dans l'histoire des Capets que dans celle des Pharaons; mais passons sur cette fausse expression, bien moins fausse que le fond des choses. Voltaire convenait formellement que la lutte sanglante des deux partis en Italie était absolument étrangère à la religion, que veut-il dire avec son fil? Il est faux qu'il y ait eu une guerre proprement dite entre l'empire et le sacerdoce. On ne cesse de le répéter pour rendre le sacerdoce responsable de tout le sang versé pendant cette grande lutte. Mais dans le vrai, ce fut une guerre entre l'Allemagne et l'Italie, entre l'usurpation et la liberté, entre le maître qui apporte des chaînes et l'esclave qui les repousse, guerre dans laquelle les Papes firent leur devoir de princes italiens et de politiques sages, en prenant partie pour l'Italie puisqu'ils ne pouvaient ni favoriser les empereurs sans se déshonorer ni essayer même la neutralité saus se perdre.

<< Henri VI, roi de Sicile et empereur, étant mort à Messine en 1197, la guerre s'alJuma en Allemagne pour la succession entre Philippe, duc de Souabe, et Othon, fils de Henri le Lion, duc de Saxe et de Bavière. Celui-ci descendant de la maison des princes d'Este-Guelfes et Philippe des princes Gibelins. La rivalité de ces deux princes donna naissance aux deux factions trop fameuses qui désolèrent l'Italie pendant si longtemps; mais rien n'est plus étranger au Pape et au sacerdoce. La guerre civile une fois allumée, il fallait bien prendre parti et se battre. Par leur caractère si respecté et par l'immense autorité dont ils jouissaient, les Papes se trouvèrent naturellement placés à la tête du noble parti des convenances, de la justice et de l'indépendance nationale. L'imagination s'accoutuma donc à ne voir que le Pape au milieu de l'Italie, mais dans le fond il s'agissait d'elle et nullement de la religion, ce qu'on ne saurait trop, ni même assez répéter.

« Le venin de ces deux factions avait pénétré si avant dans les cœurs italiens, qu'en se divisant il finit par laisser échapper son acception primordiale et que ces mots de Guelfes et de Gibelins ne signifiaient plus

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