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que des gens qui se haïssaient. Pendant cette fièvre épouvantable, le clergé fit ce qu'il fera toujours. Il n'oublia rien [de ce qui était en son pouvoir pour rétablir la paix, et plus d'une fois on vit les évêques accompagnés de leur clergé se jeter avec les croix et les reliques des saints entre deux armées prêtes à se charger et les conjurer au nom de la religion d'éviter l'effusion du sang humain. Ils firent beaucoup de bien sans pouvoir étouffer le mal.

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« Il n'y a point de Pape, c'est encore « l'aveu exprès d'un censeur sévère du SaintSiége; il n'y a point de Pape qui ne doive « craindre en Italie l'agrandissement des em« pereurs. Les anciennes prétentions... se«ront bonnes le jour où on les fera valoir « avec avantage (20). »

« Donc il n'y a point de Pape qui ne dût s'y opposer. Où est la charte qui avait donné l'Italie aux empereurs allemands? Où a-t-on pris que le Pape ne doive point agir comme prince temporel? qu'il doive être purement passif, se laisser battre, dépouiller, etc. Ja mais on ne prouvera cela.

« A l'époque de Rodolphe (en 1274) « les « anciens droits de l'empire étaient perdus... « et la nouvelle maison ne pouvait les reven« diquer sans injustice...; rien n'est plus in« cohérent que de vouloir, pour soutenir « les prétentions de l'empire, raisonner d'a«près ce qu'il était sous Charlemagne (21).» « Donc les Papes, comme chefs naturels de l'association italienne, et protecteurs-nés des peuples qui la composaient, avaient toutes les raisons imaginables pour s'opposer de toutes leurs forces à la renaissance en Italie de ce pouvoir nominal qui, malgré les titres affichés à la tête de ses édits, n'était cependant ni saint, ni empire, ni romain.

Le sac de Milan, l'un des événements les plus horribles de l'histoire suffirait seul, au jugement de Voltaire, pour justifier tout ce que firent les Papes (22).

« Que dirons-nous d'Othon II et de son fameux repas de l'an 981 ? I invite une grande quantité de seigneurs à un repas maguifique, pendant lequel un officier de l'empereur entre avec une liste de ceux que son maître a proscrits. On les conduit dans une chambre voisine où ils sont égorgés. Tels étaient les princes à qui les Papes eurent à faire.

« Et lorsque Frédéric, avec la plus abominable inhumanité, faisait pendre de sangfroid des parents du Pape, faits prisonniers dans une ville conquise, il était permis apparemment de faire quelques efforts pour se soustraire à ce droit public.

Le plus grand malheur pour l'homme politique, c'est d'obéir à une puissance étrangère. Aucune humiliation, aucun tourment de cœur ne peut être comparé à celuilà. La nation sujette, à moins qu'elle ne soit protégée par quelque loi extraordinaire, ne croit point obéir au souverain.

(20) Lettres sur l'histoire, tom. III, lettre 42. (21) Ibid., tom. Il, lettre 34.

mais à la nation de ce souverain; or nulle nation ne veut obéir à une autre par la raison toute simple qu'aucune nation ne sait commander à une autre. Observez les peuples les plus sages et les mieux gouvernés chez eux, vous les verrez perdre absolument cette sagesse et ne plus ressembler à eux-mêmes, lorsqu'il s'agit d'en gouverner d'autres. La rage de la domination étant innée dans l'homme, la rage de la faire sentir n'est peut-être pas moins naturelle; l'étranger qui vient commander chez une nation sujette au nom d'une souveraineté lointaine, au lieu de s'informer des idées nationales pour s'y conformer, ne semble trop souvent les étudier que pour les contrarier; il se croit plus maître à mesure qu'il appuie plus rudement la main. Il prend la morgue pour la dignité et semble croire cette dignité mieux attestée par l'indignation qu'il excite que par les bénédictions qu'il pourrait obtenir.

« Aussi tous les peuples sont convenus de placer au premier rang des grands hommes ces fortunés citoyens qui eurent l'honneur d'arracher leur pays au joug étranger; héros s'ils ont réussi, ou martyrs s'ils ont échoué, leurs noms traverseront les siècles. La stupidité moderne voudrait seulement excepter les Papes de cette apothéose universelle et les priver de l'immortelle gloire qui leur est due, comme princes temporels, pour avoir travaillé sans relâche à l'affranchissement de leur patrie. »

C'est à la période dont nous venons de retracer rapidement l'histoire qu'appartient la théorie du pouvoir direct, l'une des trois doctrines sur les rapports de l'Eglise et de l'Etat que nous avons mentionnée plus haut. M. Gosselin en attribue l'origine à Jean de Sarisbury, qui l'a formellement enseignée dans son livre intitulé Polycraticus. Voici le principal passage de ce livre sur ce sujet : « Le prince est, suivant la définition du plus grand nombre, une puissance publique et une certaine image de la majesté divine sur la terre. Car toute puissance est de Dieu, et a été toujours avec lui, et l'est pour toujours. Ce que le prince a donc de puissance est de Dieu, de telle manière que la puissance reste en Dieu, mais il en use par intermédiaire, appliquant à tous sa clémence et sa justice. Celui donc qui résiste à la puissance résiste à Dieu qui l'a réglée, qui a l'autorité de la conférer, et lorsqu'il le veut de l'ôter et de la dimi nuer. Le prince reçoit donc ce glaive de la main de l'Eglise, bien qu'elle-même n'ait nullement le glaive du sang. Elle a, il est vrai, aussi ce glaive, mais elle s'en sert par la main du prince, auquel elle a donné le droit de contraindre les corps, ayant réservé à ses pontifes l'autorité dans les choses spirituelles. Le prince est donc jusqu'à un certain point un ministre du sacerdoce

(22) C'était bien justifier les Papes que d'en user ainsi (VOLTAIRE, Essai sur l'histoire, ch. 41).

et qui exerce la partie des offices sacrés qui paraît indigne des mains du sacerdoce... Celui qui bénit est plus grand que celui qui est béni, et celui qui a le droit de conférer une dignité, surpasse en honneur celui auquel elle est conférée. En outre, celui auquel il appartient de vouloir peut ne pas vouloir; celui qui confère peut ôter. Est-ce que Samuel n'a pas porté une sentence de déposition contre Saül pour cause d'inobéissance, et placé au faîte l'humble fils d'Isaïe? »

Cette doctrine compta beaucoup de partisans au XII et au xin siècle. Elle ne fut pas généralement admise cependant et les plus grand théologiens, saint Thomas, par exemple, admettaient une théorie qui se rapprochait beaucoup de celle du pouvoir indirect formulée plus tard par Bellarmin.

Le pouvoir temporel de la Papauté était parvenu à une hauteur où il lui était difficile de se maintenir.Déjà une grande modification s'était faite dans les esprits. La lutte entre le Pape Boniface VIII et le roi Philippe le Bel, dans laquelle n'étaient pas engagés du reste les mêmes intérêts religieux et politiques que dans celles que les Papes avaient soutenues entre les empereurs d'Allemage, devait avoir pour résultat de changer les rôles et de don ner à la royauté une influence prépondé

rante.

Boniface, dit M. Alzog, également versé dans le droit canon et le droit civil, né plutôt pour être prince du monde que chef de l'Eglise, d'un caractère ferme comme les plus illustres de ses prédécesseurs, mais d'une piété bien moins profonde, Boniface dut au souvenir de Grégoire VII et d'Innocent III se sentir singulièrement préssé de prendre comme eux une position nette et tranchée, une attitude fière et décidée.

La magnificence inouïe qu'il déploya à son couronnement prouva qu'il était résolu de rendre à la Papauté sa grandeur et son éclat. Les premiers décrets l'annoncèrent comme un nouvel Innocent III, mais il trouva partout des résistances. Il voulut rendre la Sicile à Charles II d'Anjou; mais ce fut en vain qu'il excommunia les Siciliens. Ce fut en France que ses tendances éprouvèrent la plus vive opposition. Boniface, pour apaiser la guerre allumée entre Edouard Ier, roi d'Angleterre, soutenu par l'empereur Adolphe de Nassau, et le roi de France Philippe le Bel, fit des remontrances Edouard et engagea le roi des Romains à renoncer à l'alliance de l'Angleterre. Des légats furent envoyés à Paris, mais ils ne purent obtenir aucun résultat. Le Pape alors ordonna une trève entre les trois princes, le roi des Romains, le roi de France et le roi d'Angleterre; et cette trève devait durer un an à partir de la Saint-Jean. Cependant celte trève ne fut dénoncée qu'au roi des Romains, les légats ne la dénoncèrent pas aux rois de France et d'Angleterre et Philippe le Bel répondit lorsqu'il en fut question que, dans les affaires temporelles, il ne reconnaissait pas d'autre mattre que Dieu..

Cependant cette guerre exigeait de nombreux subsides, dont une partie était fournie par le clergé à divers titres. La première tentative du Pape ayant été infructueuse, Boniface VIII la renouvela l'année suivante et l'appuya d'une manière plus efficace. Il lança la bulle Clericis laicos doni voici la substance: L'antiquité nous apprend l'inimitié des laïques contre les clercs et l'expérience du temps présent nous la déclare manifestement, puisque sans considérer qu'ils n'ont aucune puissance sur les personnes ni sur les biens ecclésiastiques, ils chargent d'impositions les prélats et le clergé tant régulier que séculier; et ce que nous rapportons avec douleur, quelques prélats et autres ecclésiastiques, craignant plus d'offenser la majesté temporelle que l'éternelle, acquiescent à ces abus. Voulant donc y obvenir, nous ordonnons que tous prélats ou ecclésiastiques, réguliers ou séculiers, qui paieront aux laïques le décime ou telle autre partie que ce soit de leurs revenus, à titre d'aide, de subvention ou autre, sans l'autorisation du Saint-Siége, et les rois, les princes et magistrats et tous les autres qui les imposeront ou exigeront ou qui leur donneront aide ou conseil pour ce sujet, encourront dès lors l'excommunication dont l'absolution sera réservée au Saint-Siége seul, et ce nonobstant tout privilége.

Le roi Philippe le Bel répondit à cette bulle par un édit portant défense à toutes personnes de quelque qualité ou nation quelles fussent de transporter hors du royaume or ni argent, en lingots, en vaisselle, en joyaux on en monnaie. Cette ordonnance paraît avoir eu pour but d'empêcher de transporter à Rome le numéraire qui y allait ordinairement en grande quantité pour le payement de droits divers dus au Saint-Siége. Le Pape se montra vivement blessé dans une nouvelle bulle où il disait : «Si l'intention de ceux qui ont fait cette ordonnance est de l'étendre à nous, à nos frères les prélats et aux autres ecclésiastiques, elle serait non-seulement imprudente, mais insensée, puisque ni vous ni les autres princes séculiers n'avez aucune puissance sur eux, et vous auriez encouru l'excommunication pour avoir violé la liberté ecclésiastique. » Le Pape explique en outre la première bulle et déclare qu'il n'a pas défendu absolument au roi de donner quelque secours d'argent pour les nécessités de l'Etat, mais seulement de le faire sans l'autorisation du Saint-Siége. Il ajoute que le roi des Romains et le roi d'Angleterre ne refusent pas de subir son jugement pour les différends qu ils ont avec Philippe. « Et il est hors de doute, continue-t-il, que le jugement nous en appartient, puisqu'ils prétendent que vous péchez contre eux. »> Dans une autre bulle le Pape fut plus modéré encore. Dans cette bulle adressée à tous les prélats de France, Boniface déclare que la défense de la bulle Clericis laicos ne s'étend point aux dons ou prêts volontaires faits par le clergé aux rois ou aux seigneurs, mais seulement aux exactions forcées; ni

aux services et redevances dont les ecclésiastiques sont chargés envers les laïques à cause de leurs fiefs. Il ajoute qu'en cas de nécessité, le roi peut demander au clergé un subside et le recevoir sans même consulter le Pape et que c'est au roi à juger en sa conscience ce cas de nécessité

Edouard et Philippe consentirent enfin à remettre la décision de leur querelle à Boniface, mais non en sa qualité de Pape. L'arbitre jugea que toutes choses devaient rester en leur ancien état. Mais Philippe le Bel ne tint aucun compte de cette sentence arbitrale. « Boniface choisit malheureusement alors pour négociateur Bernard Saisette, évêque de Paruiers qui, dans la première lutte avec Philippe, s'était attiré la haine de ce dernier. Saisette, dit-on, réclamant la délivrance du comte de Flandre, parla au roi d'un ton d'autorité en le menaçant d'interdit en cas de refus. Philippe le it expulser de sa cour et de son royaume, le Pape le renvoya dans son diocèse. Le roi résolut alors de pousser la querelle jusqu'à ses dernières conséquences et mit en usage tout ce que la science du droit alors florissante en France put lui fournir de moyens pour faire de l'argent et soutenir sa cause. I en avait principalement chargé Pierre Flotte, habile à trouver et à réaliser des ressources financières et Guillaume Nogaret, professeur de droit à Montpellier, qu'il avait appelé à la cour pour utiliser son savoir et son talent, désirant toujours cacher ses violences sous les formes de la légalité et du droit. »

L'évêque de Pamiers fut arrêté et on lui intenta un procès inique. On demanda au Pape de dégrader l'évêque afin qu'il pût être livré au bras séculier. Le Pape répondit en suspendant de nouveau le privilége des décimes accordés sur les revenus du clergé et écrivit en même temps au roi la fameuse bulle Ausculta, fili. Voici les principaux passages de cette bulle. Le Pape commence par exhorter le roi à l'écouter avec docilité, il dit ensuite « Dieu nous a établi sur les rois et les royaumes pour arracher, détruire, perdre, dissiper, édifier et planter en son nom et par sa doctrine. Ne vous laissez donc pas persuader que vous n'ayez pas de supérieur, que vous ne soyez pas soumis au chef de la hiérarchie ecclésiastique. Qui pense ainsi est un insensé et qui le soutient opiniâtrement est un infidèle séparé du troupeau du bon Pasteur. Or l'affection que nous vous portons ne nous permet pas de dissimuler que vous opprimez vos sujets ecclésiastiques et séculiers, les seigneurs, la noblesse, les communautés et le peuple; de quoi nous vous avens souvent averti sans que vous en ayez protité.

« Pour venir plus au détail, quoiqu'il soit certain que le Pape a la souveraine disposition des bénéfices, soit qu'ils vaquent en cour de Rome ou dehors et que vous ne pouviez avoir aucun droit de les conférer sans l'autorité du Saint-Siége; toutefois vous empêchez l'exécution de ces collations quand

elles précèdent les votes et vous prétendez être juge dans votre propre cause. En général vous ne reconnaissez d'autres juges que vos officiers dans vos intérêts, soit en demandant, soit en défendant. Vous traînez à votre tribunal les prélats et les autres ecclésiastiques de votre royaume, tant réguliers que séculiers, tant pour les actions personnelles que pour les réelles, même touchant les biens qu'ils ne tiennent pas de vous en fief. Vous exigez d'eux des décimes et d'autres levées, quoique les laïques n'aient aucun pouvoir sur le clergé. Vous ne permettez pas aux prélats d'employer le glaive spirituel contre ceux qui les offenseut, ni d'exercer leur juridiction sur les monastères dont vous prétendez avoir la garde. Enfin vous traitez si mal la noble église de Lyon et l'avez réduite en telle pauvreté qu'il est difficile qu'elle s'en relève et toutefois elle n'est point de votre royaume, nous sommes parfaitement instruit de ses droits en ayant été chanoine.

« Vous ne gardez pas de modération dans la perception des revenus des églises cathédrales vacantes, ce que par abus, vous appellez régales; vous consommez ces fruits et tournez en pillage ce qui a été introduit pour les conserver. Nous ne parlons pas maintenant du changement de la monnaie, et des autres griefs dont vous recevez des plaintes de tout côté; mais pour ne pas nous rendre coupable envers Dieu qui nous demandera compte de votre âme, voulant pourvoir à votre salut et à la réputation d'un royaume qui nous est si cher; après en avoir délibéré avec nos frères les cardinaux, nous avons par d'autres lettres appelé par devant nous les archevêques, les évêques sacrés ou élus, les abbés de Citeaux, de Clugny, de Prémontré, de Saint-Denys en France et de Marmoutiers; les chapitres des cathédrales de votre royaume; les docteurs en théologie, en droit canon et en droit civil, et quelques autres ecclésiastiques; leur ordonnant de se présenter devant nous le premier jour de Novembre prochain, pour les consulter sur tout ce que dessus, comme personnes qui loin de vous être suspectes, sout affectionnées au bien de votre royaume dont nous traiterons avec eux. Vous pourrez si vous croyez avoir intérêt, vous y trouver en même temps par vous-même, ou par des envoyés fidèles et bien instruits de vos intentions, autrement nous ne laisserons pas de procéder en votre absence ainsi que nous jugerons à propos. » La bulle finit par une exhortation à secourir la Terre Sainte.

La bulle arriva falsifiée au roi de France. On y faisait dire au Pape, que le roi devait reconnaître de lui le temporel de son royaume. Ce fut alors que se tint à Paris un parlement ou assemblée qui est la première réunion des états généraux de France dont l'histoire fasse nne mention positive. Le roi s'y plaignit des prétentions excessives de Boniface, et déclara qu'il s'opposerait

de tout son pouvoir à ce que les prélats et autres ecclésiastiques convoqués par le Pape à Rome, obéissent à cette injonction. La noblesse et le tiers état approuvèrent complétement la conduite du roi, et lui promirent de le soutenir de tous leurs moyens; le clergé écrivit une lettre au Pape, pour le supplier de révoquer la convocation qu'il avait faite. Philippe écrivit de son côté au Pape, en se servant de termes très-injurieux, maxima tua fatuitas. Boniface, dans une réponse adressée en présence des cardinaux, se défendit d'avoir affirmé que le roi Philippe tenait la France en fief du Pape; il protesta que Philippe était soumis au Pape non comme prince, ratione dominii, mais comme chrétien sous le rapport spirituel et pour les choses temporelles à raison du péché, ratione peccati, et qu'enfin il était loin de nier la différence des deux puissances instituées de Dieu.

Une partie du clergé français se rendit à Rome malgré la défense de Philippe. C'est de ce concile que sortit la fameuse décrétale Unam sanciam dont voici la substance:

« Nous croyons et confirmons une Eglise, sainte, catholique et apostolique, hors de Jaquelle il n'y a pas de salut; nous croyons aussi quelle est unique, que c'est un seul corps, qui n'a qu'un chef et non pas deux comme un monstre. Le seul chef est Jésus-Christ, et saint Pierre son vicaire, et le Pape successeur de saint Pierre. Soit donc les Grecs, soit d'autres qui disent qu'ils ne sont pas soumis à ce successeur, il faut qu'ils avouent qu'ils ne sont pas des oracles de Jésus-Christ, puisqu'il a dit luimême qu'il n'y a qu'un troupeau et qu'un pasteur.

L'Evangile nous apprend qu'il y a dans l'Eglise et que l'Eglise a en son pouvoir deux glaives, le spirituel et le temporel, l'un et l'autre est au pouvoir de l'Eglise; mais le premier doit être tiré par l'Eglise et par la main du Pontife; le second par l'Eglise, par la main des rois et des soldats à la sollicitude du Pontife. Le glaive temporel doit être soumis au spirituel, c'est-à-dire le pouvoir temporel au spirituel selon cette parole de l'apôtre : Il n'y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu; et tout pouvoir qui vient de Dieu est bien ordonné par lui. (Rom. xi, 1.) Or les deux puissances ne seraient pas bien ordonnées si le glaive temporel n'était pas soumis au spirituel, comme l'inférieur au supérieur. Il laut reconnaître que la puissance spirituelle surpasse autant la temporelle en dignité, que les choses spirituelles en général l'emportent sur les temporelles. C'est ce que prouve clairement l'origine même de la puissance temporelle; car selon le témoignage de la vérité il appartient à la puissance spirituelle d'établir la temporelle, et de la juger si elle s'égare; c'est ainsi que se véritie par rapport à l'Eglise et à la puissance ecclésiastique, cette parole de Jérémie Je vous établis aujourd'hui sur les nations et les royaumes.

:

(Jer. 1,5.) Si doncla puissance temporelle s'égare, elle sera jugée par la spirituelle; si la spirituelle d'un rang inférieur fait des fautes, elle sera jugée par une puissance spirituelle d'un ordre supérieur; mais si la souveraine puissance fait des fautes, elle peut être jugée par Dieu seul, et non par aucun homme, selon cette parole de l'Apôtre: L'homme spirituel juge tout, et n'est jugé par personne. (I Cor. 11, 15.) Cette souveraine puissance a été donnée à saint Pierre par ces paroles: Tout ce que vous lierez, etc. (Matth. XVI, 19); celui donc qui résiste à cette puissance ainsi ordonnée de Dieu, résiste à l'ordre de Dieu; si ce n'est qu'il mette deux principes comme Manès, ce que vous jugerez faux et hérétique. Enfin, nous déclarons et définissons qu'il est de nécessité de salut que toute créature humaine soit soumise au Pape. »

Philippe le Bel réunit une seconde fois les états généraux, et dans cette réunion Guillaume du Plessis formula au nom du roi, en vingt-neuf articles, les accusations les plus odieuses contre Boniface VIII. Ce fut dans cette assemblée aussi que pour la première fois, il fut appelé du Pape au futur concile. On sait que le démêlé entre Boniface VIII et Philippe le Bel se termina bientôt par la violence. Un parti de Français, conduit par Nogaret et soutenu par la famille des Colonna, depuis longtemps en lutte ouverte avec le Pape, surprit Boniface VIII à Anagni. Le malheureux Pape, accablé d'outrages, n'échappa à la mort que par l'intervention du peuple d'Anagni soulevé en sa faveur. Il partit aussitôt pour Rome, et y fut, dit-on, trahi par les deux cardinaux Orsini; emprisonné de nouveau, il mourut bientôt de chagrin.

Benoît IX, qui remplaça Boniface VIII, se réconcilia immédiatement avec le roi de France; mais il mourut subitement. Le conclave se divisa en deux factions, l'une française, l'autre italienne. Par une manouvre habile, les cardinaux français surent porter au pontificat un homme qui, jusqu'alors, avait été l'ennemi acharné de Philippe le Bel, Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, qui se laissa entraîner par l'appât de la puissance papale, à toutes les conditions que le roi voulut lui imposer. Le nouveau pape Clément V fut en effet l'instrument docile des volontés du roi. Pour lui complaire, il alla jusqu'à changer de résidence. Le siége papal fut transféré alors à Avignon, où il resta pendant près de 60 ans.

Le séjour d'Avignon fut fatal à la Papauté. Tenue pour ainsi dire en captivité par la France, elle n'eut plus l'indépendance nécessaire pour remplir convenablement la haute mission qui lui était dévolue. Alors aussi il se fit un changement remarquable dans les idées théoriques relatives aux rapports des deux puissances. Tandis que, jusque-là, le système du pouvoir direct de la puissance spirituelle sur la temporelle avait dominé presque sans conteste, des

voix nombreuses s'élevèrent alors, nonseulement contre le pouvoir direct de la Papauté, mais en faveur de l'indépendance absolue des rois. Telle fut la théorie au nom de laquelle les légistes de Philippe le Bel combattirent Boniface VIII. En Italie même cette opinion nouvelle eut alors un représentant célèbre, le Dante.

Un dernier choc allait avoir lieu entre la Papauté et l'empire. Nous voulons parler de la u te entre le Pape Jean XXII et Louis de Bavière. Nous emprunterous l'histoire de cette querelle et des écrits polémiques qu'elle souleva à M. Alzog (Histoire universelle de l'Eglise, traduction de MM. GosCHLER et AUDLEY).

« Après une élection fort orageuse, où les cardinaux français et italiens luttèrent avec acharnement, le choix tomba sur Jacques d'Ossa, cardinal-évêque de Porto, qui prit le nom de Jean XXII. Avant son élévation il avait promis de retourner à Rome; mais il oublia son engagement, continua de résider à Avignon, et pour montrer qu'il se laisserait diriger par les maximes de son prédécesseur Clément V, il nomma sept cardinaux français. Quoique dépendant de la France, ce pontife chercha à faire prévaloir sa médiation entre Frédéric, duc d'Autriche, et Louis de Bavière, qui se disputèrent l'empire après la mort de Henri VII (1317). H s'autorisa de l'exemple du passé pour soutenir que le gouvernement des Etats italiens, relevant de l'empire, appartenait réellement au Pape, qui seul avait le droit d'y nommer un vicaire. Comme Clément V il se décida pour Robert de Naples, tandis que Henri avait choisi des gibelins, qui s'en prévalurent pour opprimer les guelfes. Le Pape les menaça de l'excommunication s'ils ne reconnaissaient Robert, qu'il confirma dans son gouvernement de 'Italie jusqu'au couronnement d'un empereur. Après la bataille de Muhldorf (1322), Frédéric d'Autriche étant tombé aux mains de Louis de Bavière, celui-ci prit le titre de roi sans attendre la confirmation papale, et se hâta d'envoyer des secours aux gibelins lombards qui succombaient sous les efforts de leurs adversaires. Mais Jean XXII somma le nouveau souverain de comparaître devant lui dans l'espace de trois mois. Louis, feignant de plier, demanda au pontife la prolongation du délai, et se mit à protester devant la diète de Nuremberg contre le droit que s'arrogeait le Pape d'examiner et de confirmer la validité de son élection, disant que sa dignité reposait uniquement sur le choix des princes électeurs. Cependant le pontife avait accordé le délai; mais lorsque Louis, d'un ton arrogant, s'emporta jusqu'à l'accuser de protéger l'hérésie, Jean l'excommunia, et cette mesure fut suivie de l'interdit (1324). Dans sa colère, le prince se promit de suivre les traces de Henri IV et de Philippe le Bel, et publia un mémoire où il traita le soi-disant pape Jean d'ennemi de la paix et de fauteur des troubles qui désolaient l'Allemagne et l'Italie. Il s'ensuivit,

de part et d'autre, une ardente polémique, qui prouva bientôt à tous les gens que la politique égoïste, arbitraire et partiale suivie par les derniers papes, avait porté un grand coup à la considération du SaintŠiége, et excité à son égard, dans toute la chrétienté, des sentiments d'indifférence et de méfiance.

<<< Parmi les ennemis du Pape il faut comp ter les docteurs de Paris Marsilius de Padoue (de Raymundinis), mort en 1328; Jean de Jandun, mort après 1338, qui subirent vraisemblablement tous deux l'influence des Minimes du parti rigoriste (spirituales); Ubertino de Capel, Hangencer d'Augsbourg, secrétaire intime de l'empereur; le célèbre nominaliste Guillaume d'Occam (1342), provincial des Minimes, et enfin Lupold de Bamberg (mort en 1334), qui fit néanmoins de grands efforts pour ménager la foi encore si profonde en la toute puissance pontificale.

<< Dans l'ouvrage sophistique intitulé Defensor pacis, Marsilius de Padoue, Jean de Jandun et quelques autres collaborateurs, s'égarent déjà jusqu'aux dernières conséquences du calvinisme. Toute l'autorité législative et judiciaire de l'Eglise, disent-ils, réside dans le peuple, qui l'a confiée d'abord au clergé. Les distinctions hiérarchiques ne doivent leur origine qu'à l'ambition de ce dernier le privilége de primauté n'a élé attribué que par convenance à l'évêque de Rome, par l'autorité du suprême législateur, c'est-à-dire de l'assemblée des tidèles en l'empereur, leur représentant. Du reste, ce privilége consistait uniquement dans la faculté de convoquer les conciles généraux. Tous les biens ecclésiastiques appartiennent à l'empereur, qui seul a le droit de punir et même de déposer le Pape.

« Occam n'alla pas d'abord tout aussi loin; il s'en tient, en général, aux idées de la monarchie du Dante, et fort de l'étude de l'antiquité, il développe la théorie du pouvoir politique opposé au point de vue chré tien. Il attaque les droits du Pape sur les Etats romains en soutenant que l'empereur a hérité de l'autorité absolue dont jouissaient les empereurs romains sur le monde entier, et que cette puissance dérive immédiatement de Dieu. Occam foule aux pieds toutes les données de l'histoire pour démontrer l'identité de la dignité du roi des Romains et de celle des anciens empereurs. L'élection, dit-il, transmet par le fait et sans le couronnement un pouvoir illimité et souverain. Occam voyant sa théorie frappée d'anathème, poussa sa polémique jusqu'à renoncer aux principes catholiques en déniant l'infaillibilité aux conciles œcuméniques.

« Lupold de Bamberg, quoique plus raisonnable dans ses opinions, suit encore les mêmes tendances, et dans son traité De Juribus regni et imperii Romani, il cherche à prouver l'indépendance de l'empire ro

main.

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