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sort des nommes de cette classe différait peu de celui des esclaves; cependant ils parvinrent quelquefois par suite de circonslances heureuses, telles que l'extinction ou l'affaiblissement des races dominantes, ou par des alliances ou par la force ou le nombre à se mêler aux familles gouvernantes et même à les remplacer. Cependant les faits de ce genre n'apportèrent aucune modification aux principes généraux de ces sociétés. La race qui était parvenue perdait bientôt le souvenir de son origine inférieure, se créait une généalogie divine, et il ne tardait pas à naitre une autre race inférieure pour la servir. Jamais du reste il n'y eut dans ces sociétés de hiérarchie bien régulière de ces races divines; et pour trouver cette hiérarchie et les nouvelles institutions sociales qui en étaient la conséquence, il faut s'élever aux sociétés plus avancées de l'Inde et de l'Egypte.

SOCIETES SECRETES. Voy. PAIX PUBLIQUE, POLITIQUES (Crimes).

SOLEURE. Voy. SUISSE.

SQUABE.

- Voy. ALLEMAGNE. SOUS-PREFET. Voy. DÉPARTEMment. SOUVERAINETÉ. La question de la souveraineté est la plus importante de toutes les questions politiques et sociales. C'est d'elle que dépendent toutes les autres. C'est la solution en effet que l'on donne à cette question qui entraîne toutes les solutions particulières sur la légitimité des législations et des institutions humaines, sur les obligations de l'individu envers la société et ses droits vis-à-vis d'elle, sur le but qu'on doit se proposer dans les institutions sociales et la meilleure forme qu'elles puissent recevoir. La question de la souveraineté est donc en même temps une question de morale sociale et une question d'organisation de la société, et elle domine à tous égards toutes les branches de la science politique.

Deux attributs essentiels caractérisent la souveraineté : l'indépendance de tout pouvoir supérieur et le droit d'exiger l'obéissance. Celui en effet qui dépend d'autrui, qui est tenu à l'obéissance, ne peut être souverain; et d'autre part, si l'on peut concevoir qu'un être souverain, en tant qu'indépendant, puisse n'avoir d'autorité sur persoune, un tel être ne serait concevable qu'en dehors de toutes les relations accessibles à l'homme, et la souveraineté que nous pouvons connaître suppose nécessairement le droit de.commander.

Les principes que nous venons de poser prouvent déjà que la souveraineté absolue ne peut qu'exister en Dieu. Dieu seul ne dépend d'aucun autre être et tous les êtres dépendent de lui. Dieu seul aussi a une autorité absolue sur tous les autres êtres, car ls tiennent de lui leur vie et la loi de leur destination. En dehors de Dieu, il ne peut exister que des souverainetés relatives.

La première question est de savoir s'il existe en effet des souverainetés de cette

espèce sur la terre et parmi les hommes, c'est-à-dire des individus ou des corps souverains qui ne dépendent que de Dieu, mais de personne sur la terre, et qui ontle droit de commander à d'autres hommes

Or sans doute, il existe des souverainetés de ce genre, et en premier lieu nous rencontrons l'Eglise. Mais la souveraineté de l'Eglise n'est pas de notre ressort, et nous passons immédiatement aux souverainetés temporelles.

La morale déclarant tous les hommes égaux, on pourrait en couclure que chacun ne dépend que de Dieu et qu'ils sont tous indépendanis l'un à l'égard de l'autre. On arriverait ainsi à une sorte de souveraineté individuelle qui ne serait pas complète, puisqu'elle n'entraînerait pas le droit de commander, mais qui constituerait l'indépendance relative des individus. Cette opinion a été soutenue en effet, bien qu'elle soit contredite par les faits et par toutes les nécessités sociales. Si elle était vraie en effet, il ne pourrait exister de loi humaine obligatoire; aucune institution ne serait valable que si elle n'avait obtenu l'assentissement unanime de tous ceux qu'elle intéresse; les lois pénales, par lesquelles la société maintient la sécurité publique et protége la vie et la propriété de tous ses membres, ne sauraient obliger celui qui aurait l'intention de les enfreindre. Nous ne revien drons pas sur ce que nous avons dit à cet égard aux mots DEVOIR, LOI, JUSTICE, AUTORITÉ, etc. Evidemment les hommes ne sont indépendants les uns des autres ni en fait ni en droit, et il existe dans la société un droit de commander; autrement la société elle-même périrait.

Cependant cette indépendance, que l'on doit nécessairement refuser aux individus, peut subsister, et elle subsiste de fait entre des sociétés diverses. L'humanité s'étant divisée dès l'origine en nations séparées, ce n'est qu'au sein de chaque nation que s'est exercée cette partie de la souveraineté qui se manifeste par le commandement Entre les nations il n'a subsisté que la relation d'indépendance, et c'est cette relation qui constitue surtout la souveraineté en droit des gens.

Mais au sein des nations, il'a dû se former nécessairement une autorité souveraine ayant le droit de commander. A qui doit appartenir cette autorité, et quelles en sont les limites? Ces deux questions embrassent tout le problème de la souveraineté intérieure, problème qui a reçu des solutions très-diverses. Pour traiter ces questions dans leur ordre d'importance, Dous commencerons par faire connaître les opinions générales qui ont été émises sur la souveraineté, puis nous traiterons des caractères et des limites de la souveraineté intérieure, et enfin de ceux de la souveraineté extérieure.

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Doctrines générales. Les doctrines des divers auteurs qui ont écrit sur la souveraineté, ayant été exposées en détail sous

les noms de ces auteurs, nous pourrons être très-brefs dans cet exposé.

On ne voit pas que les auteurs politiques de l'antiquité se soient occupés de la question de la souveraineté. On reconnaissait dans les républiques que la souveraineté appartenait à la masse des citoyens, on admettait aussi qu'un peuple acquérait la Souveraineté sur un autre en le soumettant par la force des armes. On contestait aussi aux tyrans et aux usurpateurs la domination injuste qu'ils exerçaient, mais en général on considérait la question plutôt du point de vue du fait que de celui du droit.

Le problème fut plus nettement posé par les théologiens du moyen âge. Ils reconnurent pour la plupart que la souveraineté appartient à la société. Vog. SAINT-THOMAS, BELLARMIN, BALMÈS, etc.

Dès cette époque, un élément nouveau avait été introduit dans la question. C'était le grand fait de la représentation. L'antiquité n'avait pas l'idée du système représentatif. La souveraineté qui appartenait au peuple devait être exercée par le peuple lui-même dans ses comices, et on ne concevait pas que cette fonction fût confiée à des délégués. Ce sont certainement les conciles qui ont introduit l'idée de la représentation dans le monde, car ils se considéraient eux-mêmes comme la représentation de l'Eglise entière, comine Tertullien le dit expressément. L'institution du système repré sentatif, qui consista d'abord à appeler antour du pouvoir et à faire participer à la souveraineté les représentants des diverses classes de la population, puis de la population tout entière, est sans doute le plus grand fait politique des temps chrétiens, et il étabit une différence fondamentale entre l'exercice de la souveraineté et les formes gouvernementales, et par suite entre les théories relatives à ces sujets, dans l'antiquité et dans les temps modernes.

A la fin du moyen âge cependant, les institutions représentatives s'effacèrent momentanément. La souveraineté passa de fait entre les mains des princes. La théorie éleva ce fait en droit. Voy. GROTIUS, HOBBES, etc.

Ce fut contre cette théorie que s'éleva au XVII siècle la doctrine de la souveraineté du peuple dont le représentant le plus remarquable est Rousseau. (Voy. ce nom.) En même temps surgirent les théories qui plaçaient la souveraineté dans la raison individuelle (voy. PHILOSOPHIE ALLEMANDE) et celles qui la répartissaient, avec Montesquieu et les partisans du gouvernement anglais et au moyen du système représentatif, entre la royauté, l'aristocratie foncière et la bourgeoisie.

La doctrine de la souveraineté royale fut reproduite au commencement de ce siècle par De Maistre, et De Bonald et elle est connue aujourd'hui sous le nom de doctrine de la légitimité et du droit divin. Le terme de légitimité ne fut introduit dans le lan

gage politique qu'après les événements de 1814 et 1815. On considérait alors comme légitimes les gouvernements qui avaient existé antérieurement à la révolution française, que ces gouvernements fussent répu blicains comme ceux de la Suisse, ou monarchiques comme ceux de la plupart des Etats européens. Sur ces données, il s'est formulé une doctrine dans laquelle on admet que chaque nation possède, en vertu de sa nature même et de sa constitution intime, certaines lois fondamentales qui cons tituent chez elle le droit et auxquelles elie ne peut déroger; que parmi ces lois les plus importantes sont celles qui concernent l'exercice de l'autorité suprême et sa transmission; que chez les nations monarchiques de l'Europe, cette autorité appartient ea vertu de dispositions spéciales de la Providence à certaines familles royales au sein desquelles elle se transmet par voie de succession.

Nous ne nous permettrons pas de juger ces diverses doctrines; mis nous exposerons avec quelques détails la théorie de la souveraineté la plus récente de toutes celles qui ont été données et qui est très-différente de toutes les autres. C'est celle de M. Bu chez. Nous laisserons parler l'auteur luimême (Revue nationale, 1847) :

« On entend par souveraineté, dans la science politique, l'autorité supérieure à toute autre qui a droit et pouvoir d'obliger, qui a droit et pouvoir d'imposer des devoirs. On comprend sans peine l'indispensable nécessité d'une telle autorité dans la entière sur la discipline des volontés et des société, dont la conservation repose tout entière sur la discipline des volontés et des intérêts, et qui commande quelquefois des sacrifices extrêmes. La souveraineté est le fondement, l'appui, la sanction de toule législation, de toute institution, de toute obéissance, de tout devoir, de tout droit; lorsqu'elle fait défaut en quelque chose, n'y a bientôt plus que dissolution et ruine.

Cependant la souveraineté parfaite n'ap partient point à l'homme ni à rien de ce qui est humain. La souveraineté parfaite doit-être en effet absolue, éternelle, immua ble, irrésistible, en un mot infinie: elle n'appartient qu'à Dieu.

«La souveraineté, parmi les hommes, tient de l'être même d'où elle émane. Elle est conditionnelle, relative, limitée, contingente, finie comme lui, et il est évident qu'il ne saurait en être autrement. Elle est conditionnelle, car les occasions de souve raineté ne sont pas constantes; elle est relative, car elle implique toujours une relation entre les hommes, elle se compose d'une proposition et d'une acceptation; elle est limitée, parce que tout acte de souveraineté concerne un objet déterminé; elle est contingente, parce que, l'occasion exis tant, l'acte de souveraineté n'est pas néces saire; enfin, par toutes ces raisons elle est finie.

Il y a pourtant une école philosophique

qui a voulu donner à l'homme la souveraineté absolue; mais, outre qu'il est irrationnel d'attribuer l'absolu à un être manifestement relatif, l'infini à un être fini, où est en l'homme cette force irrésistible, sans borne dans la vérité comme dans la puissance, cette absence de contingent, cette indépendance, qui sont les attributs de la souveraineté parfaite ? Cette école elle-même admet, pour la manifestation de l'absolu qu'elle place dans l'âme humaine, des conditions de contingence qui nient l'absolu, par exemple, la contingence du monde extérieur ou de l'objectif, celle de la réflexion, celle de l'instruction, etc. Passons donc, sans nous en occuper davantage, sur cette opinion philosophique, qui n'est en définitif qu'une pure affirmation, contredite incessamment par la pratique et l'expérience.

« Parmi les conditions qui limitent la souveraineté humaine, une seule doit nous occu per, parce que celle-là résume et comprend po. litiquement toutes les autres. Nous voulons parler de la liberté humaine; expliquonsnous: Quelle que soit la proposition imposée, les hommes sont libres de l'accepter ou de la repousser, c'est-à-dire d'obéir ou de résister. La liberté est une faculté essentielle de notre être, un don de Dieu, une condition d'existence, qu'il serait sans doute absurde de nier, mais dont il serait plus absurde de méconnaître les conséquences. Je ne tiens au reste ici compte que du fait spirituel ; ce fait seul est important; car, lors même que l'auteur de la proposition pourrait imposer Inatériellement la soumission, il n'obtiendrait que l'apparence de l'acceptation, en sorte que, au moment où la force lui manquerait, sa proposition serait comme non avenue. De ses efforts il ne recueillerait que ce qui s'attache aux actes de ce genre, la haine et l'exécration. Pour qu'une proposition quelconque devienne réellement souveraine, aussi complétement qu'elle peut l'être parmi nous, il faut qu'elle soit acceptée. Il en a été ainsi partout et toujours, la tyrannie même n'est possible qu'à cette condition: il faut que le tyran soit accepté de ses complices. Et si la tyrannie dure si peu, c'est que, en ce cas, la souveraineté n'est fondée que sur une conjuration d'intérêts individuels opposés à ceux du grand nombre, et que des coalitions de ce genre ne dépassent guère la durée des individus. eux-mêmes.

En résumé, on conçoit deux espèces de souveraineté la souveraineté absolue, qui appartient à Dieu, et la souveraineté conditionnelle ou finie, qui appartient à l'homme. La limite de celle-ci est la liberté humaine, en sorte que, pour qu'une proposition destinée à devenir souveraine, le devienne réellement, il faut qu'elle soit acceptée. La souveraineté humaine suppose donc deux espèces d'actes: une initiative et une accep

tation.

Mais ici s'offre une difficulté qu'il s'agit de résoudre. Entre l'initiative et l'acceptation, il y a un abime qui semble infranchis

sable. Quand on considère chacun de ces actes séparément, lorsqu'on les voit dans leur essence réelle, comme de simples phenomènes de liberté ou de volonté, on n'aperçoit aucun motif pour qu'ils coïncident et se répondent. Il y a mille probabilités pour que les multitudes de volontés diffèrent, il n'y en a aucune pour qu'elles s'accordent. Ajoutez que, lorsqu'il s'agit de souveraineté, il s'agit toujours, pour le grand nombre des hommes, d'abdiquer, en quelque chose, leur libre arbitre; qu'il s'agit toujours de s'imposer des devoirs pénibles, contraires aux passions, à l'instinct, aux intérêts; et il vous sera impossible de comprendre que jamais l'initiative et l'acceptation puissent se rencontrer.

« Cette concordance nécessaire serait incompréhensible et inadmissible s'il n'y avait en présenee que toutes ces libres volontés dont il vient d'être question, s'il n'y avait, en un mot, vis-à-vis l'un de l'autre, qu'on passe cette expression dans l'intérêt de la clarté, que le souverain et le sujet. Tout se réduirait alors à une question de force: il n'y aurait jamais place à une soumission volontaire. Mais il n'en est point ainsi. Il y a toujours entre le souverain et le sujet quelque chose de commun qui est le fruit de l'éducation : ce sont des croyances, une langue morale, une intelligence commune, en un mot, tout ce que donne l'éducation. C'est là le terrain commun de l'initiative et de l'acceptation; c'est là qu'elles se rencontrent nécessairement, et, par suite, c'est là la source et la raison de la souveraineté.

« Cette communauté, qui est la faculté, la richesse la plus précieuse dont Dieu ait doté l'humanité, se résume en deux principes la morale et la nationalité. Nous allons parler de l'une et de l'autre.

«Par morale, nous n'entendons pas seulement la loi des relations des homines entre eux, de leur relation avec Dieu et le monde, mais nous entendons tous les dogmes qui y sont nécessairement adhérents et qui en forment l'indispensable sanction, c'est-à-dire la doctrine de la création, celle de la destination de l'homme, celle de l'immoralité de l'âine, celle des récompenses et des peines après cette vie, etc. La croyance que nous posons ici est celle qui est acceptée partout et qui le fut dans tous les temps: elle a été une des bases fondamentales de la souveraineté dans les républiques aussi bien que dans les monarchies; elle l'est encore aujourd'hui. Nous ne parlons pas ici par hypothèse nous posous un fait.

« Cette morale est fondamentalement la même partout; elle repose sur le sacrifice de soi et sur la discipline de soi-même. Elle a été immuable, quant à l'essence, quoiqu'elle ait reçu des accroissements; car ces accroissements consistent tous dans l'extension du sacritice que nous devons faire de nous-mêmes à nos semblables. Cette morale a été proclamée de tout temps et suivie comme un commandement donné

par Dieu lui-même. Et, en effet, quand on considère que nul ne doit obéissance qu'à un pouvoir supérieur au sien, quand on considère enfin que, pour obéir, il faut croire, on ne comprend pas qu'il y ait des hommes assez faibles pour ne pas voir qu'une telle nécessité est un argument de foi supérieur à tous les doutes. Quand ensuite on remarque que cette morale a conservé l'espèce humaine par des prescriptions précisément contraires à celles que la raison humaine ou plutôt la raison animale eût inspirées, on trouve là un argument de vérité qui est audessus de toute contradiction.

« Cette morale, malgré tout ce qui a été tenté contre elle, est encore aujourd'hui toute puissante. Ce n'est qu'en se revêtant de son manteau que les doctrines adverses ont eu un instant de vie. C'est par les principes qu'elle en a tirés que la révolution française a été grande et puissante. Les souvenirs odieux qu'elle & laissés viennent précisément de ce qu'elle a nié. Aujourd'hui la haute aposition de Pie IX est due aux essais de réalisation qu'il tente dans le sens de cette morale; et on peut défier qui que ce soit de faire, sans encourir le blâme universel, un acte qu'elle désapprouve, ou un acte qu'elle exalte, sans être accueilli par un applaudissement général.

« La morale est donc toujours ce qu'elle fut, le terrain commun des actes généraux de souveraineté; je dis actes généraux, parce que ce sont ceux qui concernent tous les hommes, toutes les nations, et que partout on accepte.

« La nationalité est un principe moins large, mais qui n'est guère moins puissant. Disons d'abord ce que l'on doit entendre par nationalité : nous y avons quelque droit; car c'est nous si nous ne nous trompons, qui avons rappelé ce mot dans la langue politique.

«Depuis que ce mot a été remis en usage, la plupart des hommes qui s'en servent n'entendent désigner par là qu'une certaine communauté d'habitation, de coutumes et de langage. Il est cependant facile de voir que ces ressemblances ne suffisent pas pour constituer une nationalité; car on connaît un grand nombre de populations qui, dans des positions semblables, étaient néanmoins séparées en plusieurs peuples aussi divisés entre eux qu'ils étaient unis dans leur propension. L'histoire prouve que c'est la nationalité qui produit ces ressemblances, mais qu'elle n'en résulte pas. Elles sont sans doute très favorables à la réunion des hommes en état de société; elles sont toujours une conséquence de cet état, mais elles ne le constituent pas. C'est par l'union des volontés et des actes que les hommes sont réellement en société. Or, ils ne peuvent vouloir et agir en commun que par l'acceptation d'un même but d'activité. Théoriquement donc et pratiquement une nation, un peuple, une cité ne sont autre chose qu'un but commun, adopté et pour

suivi par plusieurs hommes et par plusieurs générations. Or qu'est-ce qu'un but? c'est en même temps une tendance et une croyance qui sont les mêmes pour tous les associés; c'est une vérité et un devoir auxquels tous obéissent avec foi et dévouement, que tous transmettent et enseignent à leurs enfants jusqu'à épuisement de cette vérité ou de ce devoir. Pour la France, par exemple, la réalisation politique du catholicisme fut, pendant une longue suite de siècles, le but clair el compris de tous, auquel elle dévouait ses forces. Encore aujourd'hui tout son amour, tous ses désirs tendent à la réalisation de quelques-uns des principes que le christia nisme a donnés au monde. Ainsi, dans toute nation, dans toute société, il y a un but commun d'activité hautement avoué ou incomplétement défini, mais profondément empreint dans les consciences et dont chaque citoyen ou chaque associé est en quelque sorte une incarnation vivante. C'est là le terrain de la souveraineté sociale ou nationale, ce but est pour les hommes qui portent un même but national ce que la morale universelle est pour l'humanité; c'est le principe d'un cominun esprit, d'un commun vouloir, d'une commune intelligence; c'est un criterium souverain dans les choses politiques. Or, dans ce principe, il y a toujours quelque chose de la morale universelle. En effet, si l'on considère attentivement d'où il est dérivé lui-même, on voit qu'il représente une position ou une fonetion qu'une société s'est attribuée vis-à-vis de cette morale. De là résulte en définitive que, dans chaque nation, la souveraineté s'appuie encore sur quelque chose, où elle participe, à un certain degré, du divin et absolu pouvoir qui a donné à l'homme la terre pour domaine, avec le devoir de l'administrer, et comme moyen de remplir ce devoir, l'association avec la loi qui doit la régir.

En résumé dans les quelques paragraphes qui précèdent, nous avons établi que la souveraineté absolue n'appartient qu'à Dieu, tandis que l'espèce humaine ne pos sède qu'une souveraineté relative, finie, contingente. Nous avons démontré ensuile que cette souveraineté relative, finie, contingente, a besoin d'être acceptée. De là, pour que la souveraineté soit intelligible e l'acceptation possible, la nécessité entre les hommes d'un terrain commun de croyances et de doctrines. Nous avons fait voir que pour l'humanité entière ce terrain est la morale révélée, et pour chaque fraction de l'humanité ou pour chaque peuple, le but ou le principe d'activité qui constitue s condition d'existence comine peuple. Nous avous remarqué que chaque but nationa particulier doit être considéré, en général, comme une fonction vis-à-vis de la morale universelle ou une division du travail visà-vis du devoir commun imposé à tous les hommes. Nous avons montré entis qu'en raison de l'existence de ce terrain

d'acceptation, la souveraineté humaine participe presque toujours, si ce n'est toujours, en quelque chose, de l'autorité et de la souveraineté divine à laquelle nous devons la loi morale. »>

Souveraineté intérieure.— Quel que soit le pouvoir qui exerce la souveraineté, cette souveraineté est soumise à des limites certaines qui ne peuvent être dépassées légitimement.

En effet la souveraineté de la société est subordonnée à la souveraineté supérieure de Dieu, et elle ne peut s'exercer que dans les limites de la loi morale que Dieu a imposée à l'humanité entière.

Le but des sociétés n'est que la réalisation de cette loi morale. Ce sont donc les conditions de cette réalisation qui déterminent celles de la souveraineté.

Vainement on chercherait une autre base au droit souverain de la société. En dehors de la loi morale, on n'en pourrait trouver qu'une, l'utilité dont l'école de Bentham surtout a fait le principe de la législation. Mais l'utilité évidemment ne peut fonder un droit. On a dit que l'individu devait consentir à ce que son utilité particulière fût sacrifiée en vue de l'utilité commune. Il y doit consentir en effet, mais en vertu de la loi morale, parce que cette loi l'y oblige, et dans les limites de cette loi. Autrement on ne verrait pas comment un nombre d'hommes quelconque pourrait exiger avec jus tice qu'un individu ou un nombre d'individus plus faible que le leur se sacrifiât à leur utilité. L'homme vaut l'homme. En dehors de la loi morale aucun homme ne doit rien aux autres, et du moment qu'un nombre quelconque d entre eux sacrìtient à leur propre utilité celle d'autrui, ils commettent une injustice, fussent-ils cent mille contre un seul. L'utilité seule ne saurait donc justifier le droit de commander. Mais il est vrai qu'en vertu de la loi morale la société a le droit d'ordonner tout ce qui est nécessaire à l'accomplissement de cette loi morale et, par suite, à sa propre conservation et à la réalisation de son but. De là un droit de commander légitime même pour les choses simplement utiles, quand elles rentrent dans ce but social consacré par la loi morale.

D'autre part, cette utilité détermine elle même les limites de la souveraineté relativement à la loi morale même. Cette loi est donnée aux hommes pour qu'ils l'accomplissent librement, et la société ne doit intervenir pour en assurer l'accomplissement que quand sa propre conservation et la réalisation de son but l'exigent. Il est tels préceptes moraux qui, bien que parfaitement obligatoires pour les individus, ne doivent jamais faire l'objet d'une loi sociale, parce que la société n'est pas assez intéressée à leur accomplissement. Pour que la Souveraineté sociale s'exerce légitimement, il faut donc que les commandements qu'elle fait en vertu de la loi morale aient un caractère d'util:té bien constatée.

Pratiquement on peut résumer toutes les conditions de la souveraineté sociale dans cette formule: Il faut que les commandements de la société soient à la fois justes et utiles. Et il suffit, quant à la question de justice, qu'ils ne soient pas injustes et qu'ils soient réellement utiles au point de vue de la conservation de la société et de l'accomplissement de son but.

La souveraineté suppose d'ailleurs nécessairement un droit qui est la conséquence naturelle des données précédentes. Elle est juge elle-même de ce qui est juste et utile, et la présomption légitime est en sa faveur plutôt qu'en celle de l'individu qui voudrait s'opposer à ses commandements. De lè l'obligation générale pour l'individu d'obéir quand la souveraineté a parlé. Cette présomption cependant ne saurait constituer un droit absolu; car il pourrait se faire dans telle circonstance que l'individu eût raison contre la société. Mais Dieu seul peut être juge dans une pareille question, et humainement parlant le droit de l'individu de refuser obéissance à la souveraineté réelle serait la dissolution même du lien social.

La souveraineté sociale se manifeste par la loi et par la force,

Il appartient au souverain de faire la loi, c'est-à-dire, d'établir les règles générales que nécessitent l'organisation de la société, l'accomplissement de son but et les rapports individuels. C'est par la loi que le souverain oblige les membres de la société, ou comme on disait anciennement les sujets, et qu'il constitue le droit humain. - Voy. DROIT, LO, LÉGISLATION.

Quelquefois la souveraineté se manifeste immédiatement par la force sans loi préalable. Ce droit appartient incontestablement en effet au souverain tant qu'il reste dans les limites de la justice et de l'utilité. Mais de fait cet emploi immédiat de la force n'a lieu que dans les Etats despotiques ou ceux qui sont sur l'échelle la plus inférieure de la civilisation. Dans les états policés la force n'intervient que pour assurer l'exécution de la loi. Dans ces Etats l'emploi de la force n'émane donc pas de la souveraineté même et ne suppose pas une part de l'autorité souveraine; il ne constitue dans la société qu'une fonction spéciale semblable à toutes les autres. A ce point de vue l'exécution des lois suppose deux ordres de fonctions principales: les fonctions administratives el exécutives en général (voy. POUVOIR), et les fonctions judiciaires. Voy. ORGANISATION JUDICIAIRE.

L'institution du gouvernement représentatif a soulevé, de notre temps, une question importante: celle de savoir si la souveraineté pouvait être déléguée. Les écrivains placés au point de vue du droit individuel et de la raison absolue, ont mié que cette délégation fût possible, la souveraineté étant inhérente à l'individu et ne pouvant en être séparée d'aucune manière. La question n'a un intérêt véritable que

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