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la plus douloureuse. Lorsque sa mission est accomplie, elle pleure, commè Jésus, sur ses malheurs futurs, sans qu'elle puisse les éviter. Ce sont les mêmes douces plaintes et la même résignation suprême. L'heure du supplice arrive on viendra peut-être la délivrer. Non, cette fille d'un autre monde n'a aucun ami dans celui-ci. Charles VII l'a oubliée; Dunois lui-même, qui avait été quelquefois bon et paternel à son égard, ne tentera pas un coup de main héroïque, avec une poignée de gentilshommes, pour enlever la naïve guerrière au bûcher. Jeanne d'Arc est passée sur la terre comme un éclair divin; elle était bonne et pitoyable plutôt qu'aimante. Le bruit du combat exaltait seul ses esprits. Hors de là, elle était paisible et sereine: un enfant plein de candeur et facile à s'attrister; timide et toujours plus près des larmes que du sourire.

Avec tant de pureté, tant de calme, tant de sainteté, on ne peut pas, nous le répétons, faire de Jeanne d'Arc une héroïne de roman. Vous avez vu de ces lumières fantastiques, prêtes à s'éteindre dès qu'on en approchait. Eh bien! il me semble que Dieu aurait prêté à sa vierge quelque chose de cette nature fugitive, si quelque passion terrestre s'était élevée autour d'elle. Ainsi donc il était impossible, il eût été sacrilége de donner à Jeanne d'Arc un amour humain, de transformer l'ange en femme. C'eût été renouveler sérieusement la scandaleuse et impardonnable profanation de Voltaire. Tancrède et Clorinde ne sauraient trouver place dans la touchante et divine élégie de la Pucelle. Il y a de ces existences qu'il faut raconter avec foi, avec amour, sans y ajouter un seul mot, un seul ornement. Je ne connais rien de préférable, pour ce récit, au style simple et convaincu du chroniqueur. M. Alexandre Dumas a généralement respecté les détails d'une vie si chaste et si charmante. Il a trouvé çà et là quelques mots pleins d'émotion et de vérité; mais le dirai-je? l'auteur d'Antony me paraît trop sceptique pour écrire une légende. Il ressemble légèrement à ces trouvères matois qui riaient toujours un peu des pieuses naïvetés de leurs dits. Vous vous souvenez de cet air dont parle M. Alfred de Musset, où l'accompagnement se moque tout bas du thême. Eh bien! en lisant les pages de Jeanne d'Arc, j'entends de loin en loin le refrain de cet air-là. Il est vrai que, pour remarquer l'accompagnement, il faut avoir l'oreille fine et curieuse du critique. Un lecteur ordinaire ne saisira que le thême, et il le trouvera sincère. Peut-être l'est-il réellement. Vous verrez que ce sera moi qui aurai fait l'accompagnement, sans m'en douter.

L'auteur a rarement ajouté au fond du récit, et lorsqu'il l'a fait, il a voulu y mettre la réserve de l'artiste qui rafraîchit un vieux tableau de maître. L'illusion sera complète pour les lecteurs de romans. Je ne réponds pas que les historiens ne soient plus sévères; mais ce n'est pas pour eux, qui lá savent, que la vie de Jeanne d'Arc a été écrite. Lorsqu'on a affaire à un esprit aussi fécond et aussi varié que celui de l'auteur de Mademoiselle de Belle-Isle, on n'a jamais le droit de se fâcher sérieusement. Si vous approuvez son livre, tant mieux pour vous et pour l'écrivain; si vous l'aimez moins

que quelques autres, attendez au mois prochain; que dis-je? à la semaine prochaine, et une comédie attrayante, spirituelle, un roman cavalier, spirituel (il faut toujours répéter ce dernier mot quand on parle de M. Dumas) vous dédommageront amplement de votre bienveillant souci. Il n'est pas de romancier qui pratique l'indemnité avec plus de profusion. M. Alexandre Dumas traite ses lecteurs comme des émigrés; il faut convenir aussi, pour l'honneur de ses lecteurs, qu'ils lui sont toujours restés fidèles, et cette vertu vaut bien quelque chose dans notre temps de réputations d'un jour.

A côté du livre de M. Dumas, j'ai beau chercher, parmi les publications récentes, d'autres ouvrages qui se rattachent par quelques points au roman historique je ne rencontre que des écrivains sans vocation qui ouvrent la biographie universelle et rattachent à de grands noms les ridicules inventions de leur esprit. Au moment où j'écris ces lignes, Shakspeare, le roi de la fantaisie, est donné en pâture aux lecteurs de feuilleton. Le roman historique est devenu la ressource des auteurs impuissans qui ne trouvent pas en euxmêmes le principe d'une libre inspiration. Est-ce à dire pour cela que ce genre n'ait plus d'avenir? J'inclinerais presque à le penser, quand je vois la direction générale imprimée aujourd'hui aux productions romanesques. Le roman historique, même personnel, est une œuvre sérieuse et qui ne s'écrit pas en un jour : il demande de longues études, un dévouement consciencieux, une foi énergique. Il faut se sentir poussé, lorsqu'on veut l'entreprendre, par la fatalité du génie. Or, quoi qu'en disent quelques écrivains rêveurs, de nos jours la foi est rare. Après les excès de toute sorte qui ont signalé le triomphe légitime des nouvelles idées littéraires, une hésitation universelle tient tous les esprits en suspens. La génération actuelle ne sait plus, dans le double naufrage de la liberté et de l'autorité, à quel système se vouer, à quelle forme se soumettre. Quelques-uns, effrayés du vide de l'avenir et de la grande ombre du présent, ont demandé une animation factice au passé. Absurde tentative! Lorsqu'on a un souffle de vie, quelque vacillant, quelque faible qu'il soit. on ne doit pas se suicider dans l'espérance de renaître avec une jeunesse nouvelle. Le passé a laissé au présent tout ce qu'il avait de réellement vital, et c'est avec cet héritage, moins onéreux qu'on ne le croit communément, que les idées de l'heure présente gravitent vers une réalisation future plus ou moins éloignée. En attendant cette recrudescence mystérieuse, ne calomnions pas l'avenir où elle s'élabore. Les formes littéraires ne sont que les écorces successives du grand arbre qui porte l'idée. Qu'importe que l'écorce de cette année s'exfolie, que la forme naguère triomphante s'efface? Si le roman historique est destiné à mourir comme la tragédie, nous nous consoJerons de cette perte avec Walter Scott et quelques autres, comme les amis de la tragédie se consolent avec Corneille et Racine.

HIPPOLYTE Babou.

BULLETIN.

Pourquoi la chambre des pairs n'a-t-elle pas consacré plus d'un jour à la discussion de l'adresse ? Rien au début de la session ne lui imposait une telle hâte. A cette époque, il n'y a jamais encombrement de travaux, puisque les communications du gouvernement ne commencent qu'après la clôture des débats de l'adresse dans les deux chambres. Il n'y a guère d'exception que pour le budget, dont l'examen, selon le vœu de la charte, appartient en première ligne aux députés. La pairie est donc libre de toute autre affaire quand elle discute l'adresse au roi, et rien ne l'empêche d'examiner à fond toutes les questions politiques dont le discours de la couronne offre comme le résumé. Chose étrange! on s'est plaint souvent au Luxembourg que le temps manquait à la chambre des pairs, soit dans le cours, soit à la fin de la session, pour approfondir les choses, et voilà qu'au début, la pairie brusque en un jour le vote de son adresse!

Qu'on ne se méprenne pas sur notre pensée : nous ne demandons pas à la pairie une vivacité de passions politiques que sa constitution ne comporte pas; mais nous voudrions qu'elle profitât mieux des occasions qui lui sont offertes d'affirmer aux yeux du pays l'esprit qui la caractérise. Chaque année la chambre des pairs a la parole avant la chambre des députés. L'organisation permanente de son bureau lui permet toujours de devancer d'une semaine l'ouverture des débats au palais Bourbon. Pourquoi ne pas profiter de cet avantage? Encore une fois, il ne s'agit pas d'opposition ardente; mais il nous semble que sur les bancs de la pairie il ne manque pas d'hommes graves à la hauteur de toutes les questions, et pouvant jeter sur tous les problèmes une lumière désirable. On n'a pas une tribune pour la laisser muette. N'y a-t-il rien à dire sur la question financière ? Pourquoi attendre

la présentation du budget qui, au Luxembourg, est toujours si tardive? Nos rapports avec l'Europe, notamment avec l'Angleterre, la situation de l'Orient et de la Grèce, offraient aux diplomates et aux homines d'état de la pairie une carrière assez étendue. A l'intérieur, il n'y avait donc pas d'observations à faire sur l'esprit qui se révèle dans une certaine partie du clergé? La chambre des pairs a paru craindre de prendre l'initiative en quoi que ce soit : on eût dit qu'elle était lasse avant d'avoir commencé.

Tout s'est réduit à quelques altercations entre M. le marquis de Boissy et M. le ministre des affaires étrangères. M. le marquis de Boissy est décidément le tribun du Luxembourg, et il résume à lui seul toute l'opposition. A lui seul il fait l'office d'une armée; il harcèle l'ennemi, il l'attaque de front, il reste le plus long-temps possible sur le champ de bataille. S'il avait autant de tact que d'ardeur, autant de talent que de passion, ce serait un adversaire très redoutable. Ce n'est pas en répondant à M. de Boissy, mais à M. de Veyrac, que M. Guizot, qui seul a parlé au nom du gouvernement, a vivement blâmé la démonstration des légitimistes à Londres. M. le ministre des affaires étrangères a surtout insisté sur cette considération qu'il importait de ne pas laisser se réveiller dans les cœurs des passions violentes; que ce réveil serait un grand mal que le gouvernement doit combattre en s'opposant avec fermeté à des manifestations coupables.

Empêcher le réveil des passions est un but louable, mais sera-t-il atteint? Il est permis d'en douter qnand on a vu l'impression produite sur la chambre des députés par le dernier paragraphe du projet d'adresse. « La conscience publique, dit l'adresse, flétrit de coupables manifestations. Notre révolution de juillet, en punissant la violation de la foi jurée, a consacré chez nous la sainteté du serment. » Il était impossible de s'élever avec plus d'énergie contre la conduite du parti légitimiste. Aussi sur les bancs de la droite l'agitation était grande. M. Berryer s'est rendu snr-le-champ dans les bureaux du secrétariat pour s'assurer de visu des expressions consignées dans l'adresse. Des membres du parti légitimiste, même parmi ceux qui n'ont point été à Londres, se livraient aux récriminations les plus amères. On veut nous flétrir, disaient-ils, et l'on n'ose pas nous exclure. Au moins le gouvernement de la restauration avait le courage de ses passions; il fit saisir Manuel de vive force; aujourd'hui, on veut déshonorer des députés sans oser proclamer ouvertement leur indignité.

On comprend combien la discussion sera vive. Ce n'est pas à coup sûr sans y avoir réfléchi qu'on a atteint d'un bond les dernières limites dans l'appréciation de la conduite des légitimistes. L'écrivain distingué qui a tenu la plume au nom de la commission connaît la valeur des termes. On s'est proposé d'aller aussi loin que possible; on ne s'est pas contenté de blâmer, de condamner, on a voulu |étrir, et c'est sur ce terrain brûlant que s'engagera le combat. Évidemment le ministère croit de son devoir et de son intérêt de donner à cette lutte une extrême gravité. Il veut montrer cette fois qu'il sait être résolu. C'est une revanche qu'il a besoin de prendre.

Avec le paragraphe sur les légitimistes, la phrase la plus remarquable de l'adresse est celle qui a trait au droit de visite. On y rappelle les négociations promises qui doivent tendre à replacer notre commerce sous la surveillance exclusive de notre pavillon. En parlant ainsi, la commission a compris qu'elle avait l'avantage de prendre l'initiative pour exprimer la véritable pensée de la chambre; si elle ne l'eût pas fait, un amendement fût venu, dans le cours des débats, combler la lacune de l'adresse. Cette considération a dû aussi déterminer le ministère à consentir à cette initiative; de cette manière, il prévient le triomphe d'un amendement qui aurait pu partir des rangs de l'opposition.

Au surplus, si la phrase sur les négociations promises prévient un amendement, elle rouvre solennellement le débat sur le droit de visite. Elle est une preuve convaincante de la persévérance de la chambre à suivre la même pensée. Dans les affaires où des négociations sont entamées, une sage réserve est sans doute imposée au cabinet, c'est son devoir, c'est son droit. Toutefois, la chambre voudra savoir si les négociations promises ne sont pas un leurre, et si elles doivent aboutir au résultat souhaité dans un avenir qui ne soit pas trop chimérique. Au sujet de l'Angleterre, d'autres questions surgiront. L'adresse, qui répète beaucoup d'expressions du discours de la couronne, s'est abstenue de reproduire les mots de cordiale entente. Elle ne parle que d'un accord de sentimens entre les deux cabinets de France et d'Angleterre sur les évènemens de l'Espagne et de la Grèce. C'est encore un hommage aux véritables intentions de la chambre. Dans les rangs même de la majorité, on avait pensé que le ministère n'était pas resté dans une juste mesure par la vivacité de ses expressions en parlant de nos rapports avec l'Angleterre.

Sur la question de la liberté d'enseignement, l'adresse reproduit d'une manière textuelle la phrase du discours de la couronne. Toute modification eût pu être considérée comme un affaiblissement. Il est probable qu'à la chambre des députés on n'imitera pas le silence gardé à la chambre des pairs, et qu'il sera question à la tribune de la conduite de certains représentans du clergé. On voit que ni les questions irritantes, ni les difficultés sérieuses ne font défaut au début de cette session. Pour notre part, nous ne sommes pas frappés autant que certaines personnes de l'indifférence universelle qu'on dit être le caractère de notre époque. Aujourd'hui, selon nous, on n'est pas tant indifférent qu'indiscipliné et égoïste. On a même si peu d'indi férence pour ses intérêts et ses opinions politiques, qu'on en cherche à tout prix la satisfaction, sans s'inquiéter de ce qui pourrait être utile au bien général, à la cause dont on se dit le soldat.

Voyez ce qui s'est passé au sein de la majorité dans l'affaire de la dotation. Des députés conservateurs n'ont pas craint de prendre brusquement l'initiative du refus, sans s'embarrasser si par cette conduite ils ne blessaient pas les plus hautes convenances. De son côté, le minis ère n'a pas su prévenir une telle incartade. On est un peu confus aujourd'hui de tant d'incon

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