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-Eh bien! dit-elle, chère petite, comment le trouvez-vous?
Qui cela? demanda Fernande, comme sortant d'un rêve.
Mais notre futur convive.

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Je ne l'ai pas remarqué, madame.

Comment? s'écria Mme d'Aulnay, vous ne l'avez pas remarqué? mais c'est un homme charmant, vous pouvez m'en croire sur parole. D'abord il a toutes les traditions du bon temps, et, pour nous autres femmes surtout, ce temps-là valait bien celui-ci. Puis, personne au monde n'a plus de délicatesse. Je ne sais pas comment il s'y prend pour faire accepter; mais, de sa main, la plus prude prend toujours. Ce n'est plus un enfant, soit; mais au moins celui-là, quand on le tient, on ne craint plus de le perdre ce n'est pas comme tous ces beaux jeunes gens, qui ont toujours mille excuses à présenter pour leur absence, et qui ne se donnent pas même la peine d'en chercher une pour leurs infidélités. Sans femme, sans héritier direct, pair de France, il est toujours à la veille d'entrer dans quelque combinaison ministérielle, pourvu qu'on penche vers les véritables intérêts de la monarchie. Eh bien! à quoi pensez-vous, mon bel ange? vous me laissez parler et vous ne m'écoutez pas.

-Si fait, je vous écoute, et avec grande attention; que disiezvous? Pardon.

Mme d'Aulnay sourit.

Je disais, continua-t-elle, que M. de Montgiroux était un de ces hommes dont la race se perd tous les jours, chère petite, et cela malheureusement pour nous autres femmes. Je dis qu'il a une gran-deur de manières dont nous verrons la fin avec sa génération; je dis qu'il est un des rares grands seigneurs qui restent; je dis que si j'avais vingt ans, je ferais tout ce que je pourrais pour plaire à un pareil homme. Mais j'ai tort de vous dire cela, à vous qui plaisez sans le vouloir.

Mais, ma chère madame d'Aulnay, il me semble que vous me comblez aujourd'hui, dit Fernande en essayant de sourire.

- Vous doutez toujours de vous-même, chère petite, et c'est un grand tort que vous avez vis-à-vis de vous, je vous jure. Eh bien! moi, je vous offre de parier une chose.

- Laquelle?

Double contre simple.

Dites.

C'est que nous rencontrerons M. de Montgiroux au bois avant T'heure du dîner.

-Et pourquoi cela?

Parce que vous avez produit une vive impression sur lui, parce qu'il est amoureux de vous, enfin.

Ces derniers mots percèrent le vague qui confondait toutes choses dans l'esprit de Fernande; sous une sorte de tranquillité d'esprit et de maintien, elle cachait le trouble intérieur, l'orage de la jalousie montait de son cœur à son cerveau; la résolution de ne plus revoir celui qui l'avait trompée, la nécessité d'une rupture, le désir de la vengeance même, bourdonnaient à ses oreilles, lui soufflant des projets confus, des décisions insensées. Au milieu de tout cela, une idée surgit tout à coup : Fernande, par la douleur même qu'elle éprouvait, sentait la faiblesse de son cœur. Si elle rencontrait Maurice, si Maurice, désespéré, suppliant, se jetait à ses genoux, elle pardonnerait, et, une fois qu'elle aurait pardonné, que serait-elle à ses propres yeux!... Il fallait donc rendre tout retour impossible; alors la femme qui avait aimé dans toute la pureté de son cœur, se rappela qu'on avait fait d'elle une courtisane, une femme galante, une fille entretenue; un changement brusque, bizarre, inattendu, se fit dans toute sa personne, un frisson courut par tout son corps, une sueur froide passa sur son front; mais elle essuya son front avec le mouchoir dont elle avait essuyé ses larmes : elle mit la main sur son cœur pour en comprimer les battemens; puis, comme si elle sortait d'un rêve épouvantable :

Que me disiez-vous, madame? répondit Fernande avec un sourire acre et une voix stridente; que me disiez-vous tout à l'heure? je n'ai pas bien entendu.

-Je vous disais, chère petite, reprit Mme d'Aulnay, que vous avez exercé votre influence ordinaire, et que notre convive est parti amoureux fou de vous.

-Qui, ce monsieur? dit Fernande. Ah! vous vous trompez, j'en suis sûre; il n'a fait aucune attention à moi.

Dites, mon bel ange, que vous n'avez fait aucune attention à lui, et alors vous serez dans le vrai. Ce monsieur, comme vous dites, est un homme de goût, et je vous réponds, moi, qu'il vous a appréciée du premier coup d'œil. Songez donc que rien n'échappe à ma perspicacité, à ma connaissance du cœur humain.

Et vous le nommez?

Mais je vous ai dit trois fois son nom, sans compter que Joseph l'a annoncé.

-

- Je n'ai rien entendu.

TOME XXV. JANVIER.

2

-Le comte de Montgiroux.

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- Le comte de Montgiroux? répéta Fernande.

- Vous le connaissez de nom, n'est-ce pas?

Très bien.

Vous savez alors que c'est un homme digne de toute considération?

-Je sais tout ce que je voulais savoir, répondit Fernande d'un ton qui indiquait qu'il était inutile de s'appesantir davantage sur ce sujet.

-La voiture de madame est prête, dit le domestique en ouvrant la porte.

- Venez-vous, ma chère amie? demanda Mme d'Aulnay. -Me voici, répondit Fernande.

Toutes deux montèrent en voiture. Sans doute le bruit et le mouvement opérèrent chez la femme de lettres la distraction habituelle; mais Fernande resta muette, insensible. Ses yeux voyaient sans distinguer, son ame entière se concentrait dans sa douleur. Elle était plongée au plus intime de ses réflexions, que sa compagne avait eu la discrétion de ne pas interrompre, quand tout à coup Mine d'Aulnay lui posa la main sur le bras.

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- Le comte de Montgiroux.

-Où est-il? demanda Fernande.

-C'est son coupé qui va croiser notre calèche.

En effet, un charmant coupé bleu-foncé et argent venait au grand trot d'un charmant attelage. Tout était jeune, le cocher, les laquais, les chevaux, tout, hors la tête qui passa par la portière, et qui jeta aux deux dames un gracieux salut.

Fernande répondit à ce salut par un charmant sourire.
Le coupé, emporté par sa course, disparut en un instant.
-Eh bien! cette fois, dit Mme d'Aulnay, l'avez-vous vu?
— Oui.

- Eh bien! comment le trouvez-vous?

- Mais, dit Fernande, je le trouve très convenable, et il me semble avoir bon air.

19

-Allons, allons, dit Mine d'Aulnay, j'avais peur que cette fois encore votre préoccupation ne vous eût aveuglée. Dans tous les cas, ce n'est pas la dernière fois que nous le rencontrerons, allez; soyez tranquille.

En effet, après un quart d'heure de promenade, et comme la voiture roulait lourdement dans une allée sablonneuse, les deux femmes virent de nouveau l'élégant coupé venir à leur rencontre. Seulement, cette fois, au lieu de passer rapidement, il ralentit sa marche.

Mme d'Aulnay échangea quelques paroles avec le comte de Montgiroux, qui, en plongeant ses regards dans le coupé, put voir que Fernande tenait à la main un des deux bouquets qu'il avait envoyés. A cette vue, la figure du comte s'épanouit, et ce fut avec une voix triomphante qu'en quittant ces dames, il cria à son cocher:

- A l'hôtel.

- Il s'en va ravi, dit Mme d'Aulnay.

- Et de quoi? demanda Fernande.

Il a vu que vous teniez son bouquet à la main.

- Vous croyez qu'il l'a remarqué?

-Coquette! vous l'avez bien vu aussi. Maintenant, il ne tient qu'à vous qu'il y ait sous peu une vacance à la pairie.

-Comment cela?

Tenez rigueur au comte, et j'engage ma parole qu'avant huit jours il se brûle la cervelle.

-Vous êtes folle!

Non pas. Vous êtes non-seulement aimée, mais adorée. Ne mêprisez point cela, allez; c'est très bon d'être adorée.

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Hélas! dit Fernande avec un profond soupir. - Puis tout à coup, reprenant cette feinte gaieté que depuis un instant elle avait appelée à son secours:-Mais je me rappelle, continua Fernande, nous dinons avec le comte, n'est-ce pas?

- Oui, et il est allé chez lui changer de toilette.

- C'est justement ce à quoi je pensais. Ne serait-il pas bon que vous me jetassiez chez moi pour que j'en fasse autant?

Allons donc! votre négligé est charmant. N'allez point altérer ce beau désordre, cher ange... vous auriez l'air d'avoir fait des frais pour lui. Si c'était un jeune homme de vingt-cinq ans, à la bonne heure; mais il ne faut pas nous gâter nos vieux, il n'y a plus que ceux-là d'aimables.

- Comme vous voudrez, dit Fernande, qui tremblait au fond du cœur, en rentrant chez elle, d'y retrouver Maurice.

La promenade continua pendant une heure encore, mais la conversation se termina là; ou si elle reprit quelque activité, M. de Montgiroux avait cessé d'en être l'objet.

En rentrant chez elle, Mine d'Aulnay trouva la table dressée. Il était évident qu'ainsi qu'il avait demandé la permission de le faire, le comte avait passé par là.

A six heures justes, on annonça le comte de Montgiroux.

Il entra, et saluant la maîtresse de la maison :

— Affirmez à madame, dit-il, que, pour venir à six heures, je ne suis pas tout à fait un provincial; seulement le désir de vous voir m'a poussé en avant, voilà tout.

Puis, avec une aisance parfaite, le comte s'assit, parla avec un charme extrême de toutes les choses dont on parle aux femmes, de la pièce nouvelle à l'Opéra, du prochain départ du théâtre Italien pour Londres, des projets de campagne, demandant aux femmes ce qu'elles comptaient faire, n'ayant, lui, rien de bien arrêté, et déclarant que si la chambre lui en laissait la liberté, il était prêt à se mettre à la disposition du premier caprice venu.

Et, en prononçant ces mots, il regardait Fernande, comme pour lui dire : Faites un signe, madame, et ce signe sera un ordre; énoncez un désir, et ce désir sera accompli.

Fernande répondit, comme le comte, qu'elle ne savait pas ce quelle ferait, mais, en tous cas, qu'ayant passé un hiver fort retiré, elle comptait, au retour de la belle saison, prendre sa revanche.

Mme d'Aulnay avait une comédie à mettre en scène; occupation qui devait la retenir à Paris.

On se mit à table. M. de Montgiroux, placé entre les deux femmes, fut également galant pour toutes deux, sans que sa galanterie eût rien de ridicule. C'était même bien plutôt la douce bienveillance d'un vieillard, l'urbanité d'un homme distingué, que de la galanterie dans le sens qu'on attache à ce mot.

Fernande, dont le goût était si fin, dont le tact était si parfait, ne put s'empêcher de reconnaître en elle-même que M. de Montgiroux était digne de la réputation que Mme d'Aulnay lui avait faite et quoique son sourire fût profondément triste, deux ou trois fois elle se surprit à sourire.

:

On se leva de table et l'on passa au salon pour prendre le café. Comme on reposait les tasses sur le plateau, l'on annonça à Mme d'Aulnay que le directeur du théâtre auquel elle allait donner sa pièce avait à lui dire deux mots de la plus haute importance.

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