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puter, et succomba peu de jours après aux accidens inflammatoires qui furent la suite de sa blessure.

Après le mémorable combat de la Sickack, un grand nombre de blessés arabes gisaient sur le champ de bataille. Les chirurgiens militaires, ayant d'abord donné leurs soins aux blessés français, vinrent ensuite offrir les secours de leur art à ceux du parti de l'émir. Quelques-uns avaient des plaies ou des fractures graves qui commandaient impérieusement l'amputation.

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- On va te couper le bras ou la jambe, dirent à ces derniers nos officiers de santé.

Coupe! répondirent-ils sans sourciller, prenant nos chirurgiens pour des bourreaux, à cause de leurs tabliers tachés de sang par les précédens pansemens.

On s'aperçut de la méprise et on s'empressa de tirer les pauvres patiens d'erreur.

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Garde ta jambe, si tu veux, leur dit-on. Ce n'est pas pour te faire souffrir, mais uniquement pour te sauver qu'on te propose de la couper. En ce cas, je la garde.

-

Mais si on ne te la coupe pas, tu seras mort demain.

Qu'importe ? Ce qui est écrit est écrit. Si je dois mourir de ma bles. sure, je mourrai tel que Dieu m'a fait.

Tous, sans exception, firent la même réponse. On respecta leur volonté. Les trois quarts succombèrent; mais chez quelques-uns la force vitale reprit le dessus, et ils survécurent à des blessures réputées mortelles par les gens de l'art, et qui probablement l'auraient été pour des constitutions européennes.

Si la maladie et la douleur échouent contre le fatalisme inébranlable de l'Arabe, la mort ne le trouve pas moins fidèle à sa foi religieuse. Tant que la souffrance n'a point terrassé cet homme de fer, il continue de vaquer à ses travaux et à ses plaisirs avec autant de quiétude que s'il ne portait point en lui le germe de sa dissolution prochaine. Ses forces viennent-elles à le trahir, il tombe étendu sur le sol, se recommande à la protection du Prophète, et, la face tournée vers l'orient, rend le dernier soupir sans avoir une seule fois quitté ses vêtemens depuis le jour où sa maladie s'est déclarée. Nulle disposition testamentaire à prendre, nul devoir religieux à accomplir, ne viennent troubler, à cette heure suprême, le calme de son agonie. Le plus souvent il meurt sans songer à la mort, et c'est le marabout, dont les remèdes empiriques ont ordinairement hâté l'instant fatal, qui préside à ses funérailles, en sa double qualité de tebib spirituel et temporel.

FÉLIX MORNAND.

REVUE DRAMATIQUE.

Les évènemens ont été rares; les accidens ont été nombreux. Dans la première catégorie il convient que nous placions Bérénice. Après tant d'années le changement dans l'opinion publique n'est pas encore assez marqué pour effacer la première impression que produisit cette tragédie. On sait en effet que Bérénice eut quarante représentations de suite, tandis que Britannicus n'en obtint que huit. Mais pour nous cette pièce n'a pas l'attrait qu'elle eut pour les courtisans de Louis XIV. Aujourd'hui les amours de ce Romain et de cette barbare nous semblent trop françaises, et nous rappellent assez, comme couleur locale et vérité historique, la majestueuse perruque à flocons que surplombait le casque d'or des acteurs du XVIIe siècle.

D'ailleurs, outre l'écueil des allusions, que nous ne reprocherons pas à Racine, puisqu'il avait ordre d'en faire le plus possible, et qu'après tout nous pouvons les saisir, bien que de loin, certaines circonstances, dit le critique La Harpe, doivent diminuer ou augmenter le succès d'une pièce comme Bérénice. On sait que La Harpe poussa bien plus loin encore que Voltaire le culte de la tragédie de Racine, et que les mots magnifique et admirable ne suffisaient pas à son enthousiasme. Cependant ce critique avoue que plusieurs circonstances peuvent modifier l'admiration du public en présence de l'élégie tragique commandée par Madame Henriette, et ces circonstances sont, dit-il, étrangères à la pièce. La Harpe, en écrivant ces mots pour les prononcer au Lycée, a dû souffrir considérablement. Nous allons rappeler ici sans commentaire, sans altération, l'opinion de cet écrivain au sujet de

ces circonstances étrangères : « Une actrice d'une figure aimable et dont l'organe sera fait pour l'amour, tel qu'était celui de la célèbre Gaussin, attirera la foule à Bérénice; mais tout l'effet tenant à ce seul rôle, si l'exécution n'y répond pas, la pièce n'aura qu'un succès médiocre. »>

Grace à ce jugement, nous allons trouver la question simplifiée. Il ne s'agira plus que de savoir si l'actrice qui a joué Bérénice a comme la célèbre Gaussin l'organe fait pour l'amour, et nous serons forcé de voir en même temps si elle a cette figure aimable dont parle le critique professeur. Tendre Racine! un admirateur fanatique réduit ainsi votre tragédie à un seul rôle, et l'effet de ce rôle à néant, s'il ne se trouve là une figure aimable et un organe fait d'une certaine manière ! Quelles transes, quelles perplexités pour les jeunes tragédiennes qui voudraient aborder ce rôle ! Ce pauvre La Harpe voulait dire moins que cela sans doute, et il prétendait seulement que l'actrice chargée du rôle de Bérénice fût blonde, avec des yeux bleus. Quant à cette voix sur laquelle il se montre d'une exigence tyrannique, peut-être eût-il été satisfait qu'elle ne fût pas trop rauque ou trop retentissante.

Nous qui n'avons pas vu Me Gaussin, mais Mlle Rachel dans Bérénice, nous déclarons que cette chevelure blonde et ces yeux bleus sont la seule chose qui lui manque pour remplir les conditions prescrites par La Harpe. Elle a su adoucir, assouplir en elle tout ce qui dépendait de sa volonté, elle a dompté la fougue de son regard qui par malheur jaillit d'une noire prunelle, elle a voilé de larmes et de soupirs sa voix brève et sonore. Le succès de Me Rachel a donc été fort grand, et a entraîné celui de la pièce.

Passons à quelque chose de nouveau. La comédie de M. Bayard, Un Ménage parisien, vient de réussir sans que la plus légère manifestation d'hostilité ait interrompu le cours de ces vers faciles et trop faciles peut-être. Nous n'entrerons que pour un instant dans la vie privée de cette comédie que beaucoup de gens reprochent à l'auteur comme un accès d'ambition mal fondée. Quoi! encore l'Académie! Eh bien! pourquoi M. Bayard ne chercherait-il pas comme tout le monde à frapper aux portes de bronze? C'est un procès hasardeux, mais le public n'y peut rien; laissez dire, ou plutôt laissez faire, adhuc sub judice lis est. Le Ménage parisien est une pièce bien construite, intéressante, et dans laquelle l'auteur a voulu mettre quelque chose de plus que des scènes. Le public, qu'on dit si malin, c'est-à-dire si malicieux, n'a pas vu tant de mystères à cette représentation. Caractères spirituellement tracés, mots heureux, intrigue divertissante, dénouement arrondi de façon à ne blesser personne, voilà ce qu'il a vu et applaudi : l'Académie viendra plus tard. La critique doit distinguer toujours dans le jugement du parterre le fait qui constitue le triomphe ou la chute, du droit qu'elle se réserve d'établir, selon ses faibles lumières; la critique déclare avant tout que M. Bayard a obtenu l'un de ces heureux succès qui grandissent chaque jour et deviennent un succès d'argent.

La raison en est simple, l'auteur a touché l'une des cordes qui vibrent le

plus éloquemment dans le cœur des hommes et des femmes, la liberté dans l'amour. Il nous peint les embarras d'une femme aimante qui, faute d'avoir consacré, c'est-à-dire scellé son bonheur, craint à chaque instant de le perdre; il représente un homme qui poursuit la chimère de sa liberté jusque dans un esclavage qu'il s'est fait avec joie, qu'il ne veut pas rompre, mais qu'il voudrait éluder selon ses caprices. Jetés au milieu du monde, ces prétendus époux, jeunes, beaux, riches, tremblent toujours, l'un de paraître trop marié, l'autre de ne pas le paraître assez. Vernange rêve la vie de garçon, il semble rajeunir tous les jours; la fausse Mme de Vernange en est venue à ce point d'inquiétude qu'elle n'ose plus presser son amant de l'épouser; pourtant elle est mère, elle doit le repos, l'honneur à son fils né d'un premier mariage, mais la crainte d'importuner Vernange, d'éveiller en lui l'idée de sa liberté, la honte d'un éclat, d'une rupture, tout la retient sur la pente du gouffre au fond duquel l'infortunée roule avec une rapidité toujours croissante. Tout à coup l'éclat qu'elle redoutait, l'affreuse tempête arrive. Au milieu d'un bal où elle conduit son fils, jeune officier de marine, le secret, mal gardé par un étourdi, dégénère en insulte, le bruit va devenir scandale, la femme qui pouvait perdre son amant est une mère à qui un duel peut enlever son fils; heureusement la nature et la morale triomphent. Pas de duel, mais une réhabilitation et un mariage, c'est-à-dire deux mariages.

Ici commence notre rôle. Le bruit des applaudissemens rendra plus doux à l'oreille de M. Bayard les reproches que nous devons lui faire. Peut-être même ce bruit deviendra-t-il si fort qu'il couvrira l'incommode bourdonnement de la critique. Prenons-le, grace à ce beau succès obtenu par M. Bayard, sur le ton d'une entière franchise. Pourquoi, puisqu'il traitait sérieusement une idée d'un ordre sérieux, l'auteur s'est-il assez peu préoccupé dès-lors de ses moyens pour qu'à la première analyse sa trame reste à découvert? Comment expliquer cette incroyable négligence d'une femme telle que Mme de Vernange qui consent à confier, sans garantie, sans prévision, son sort et son honneur, l'avenir et l'honneur de son fils, à un homme qu'elle aime, mais qu'elle sait frivole et inconsidéré? Mme de Vernange, veuve, mère, riche, sans tache, n'avait-elle pas le droit d'exiger la main de son amant? M. de Vernange pouvait-il refuser cette satisfaction nécessaire à une femme dont le choix l'honorait aux yeux du monde, puisqu'enfin la société joue en cette pièce le premier rôle? Que dire de ces gens du monde que rien ne force à braver ses lois, que tout engage à les subir, de ces gens qui, égaux en naissance, en fortune, égaux par l'âge, assortis enfin sous tous les rapports, vont de gaieté de cœur se jeter dans le drame noir? Voilà une grande faute, et ces gens-là méritent bien toutes les imprécations que leur lance la vieille Mme d'Hervet, cette Mme Pernelle mitigée dont Me Desmousseaux a si finement saisi l'agréable caractère.

M. Bayard aurait pu certainement trouver des raisons valables pour justifier cet incroyable abandon des droits d'une femme respectable; mais il ne

l'a pas voulu parce qu'il avait une autre idée en tête. Il voulait prouver, en poète comique, combien le mariage est plus avantageux aux hommes volages que cette prétendue indépendance de ce qu'il nomme les ménages parisiens. Le mari dont la femme est tranquille pour l'avenir affiche avec plus de liberté ses prétentions au papillonnage, il fait le jeune homme avec bien plus de sécurité; les reproches l'attendent moins cruels au retour, il n'a pas à redouter le farouche espionnage, l'interception des billets doux, le fiacre persévérant, aux stores baissés, qui suit son cabriolet par les rues de la ville, les portiers corrompus, les menaces sinistres. M. Bayard, en un mot, présente sa morale sous une enveloppe agréable à l'œil; il glace et dore la pilule aux ennemis de cet ennui légitime dont il prône gaiement les douceurs. Or, comme nous ne voulons pas croire que l'auteur du Ménage parisien ait prétendu nous faire purement et simplement une apologie du mariage, nous acceptons sa formule. Marions-nous pour être libres, marions-nous pour être garçons tout à notre aise. Mais avant d'adopter cette morale, demandons compte à M. Bayard d'un mariage de trop qu'il a introduit dans son épopée matrimoniale. M. et Mme Vernange étant bien et dûment mariés, le fils, qui n'a que dix-huit ans, pouvait encore attendre; nul doute qu'avec l'exemple de sa mère et de son beau-père, exemple fécond en enseignemens, il n'eût de lui-même plus tard, c'est-à-dire en temps opportun, courbé la tête sous le joug légal. Il y a dans la comédie de M. Bayard trop d'intérêt pour que ce mariage de deux enfans ait pu lui paraître indispensable, et la pièce avait suffisamment prouvé. Marions-nous, mais enfin ne nous marions pas trop. Nous eussions, quant à nous, supplié M. Bayard d'ajourner le mariage du jeune marin à sa vingt-deuxième année et à sa deuxième épaulette. . Nous pouvons passer au détail. Les caractères appellent notre attention. Les plus remarquables sont sans contredit ceux de Me d'Hervet et de Salbris. Me d'Hervet représente le monde avec sa haute raison, qui résulte de ses préjugés même. Salbris est un curieux, une mauvaise langue; par bonheur il n'est pas méchant. Aussi chacun a-t-il aimé ce personnage et s'est-il intéressé volontiers à l'indiscret qui sourit toujours en face et fait la grimace par derrière. On doit à ce personnage l'une des plus jolies scènes de la pièce, celle où Salbris, qui sait ordinairement tous les secrets, se trouve ballotté par quatre personnes qui lui reprochent une indiscrétion qu'il n'a pas commise, mais qu'il brûle de commettre pour savoir de quoi il s'agit. Regnier a joué ce rôle avec une délicatesse et un goût exquis. M. d'Hervet, l'esprit fort en théorie, qui sacrifie aux préjugés en pratique, qui n'a peur de rien, mais qui tremble toujours, est une figure moins habilement, moins originalement dessinée. Le personnage de Vernange ne saurait être gai; l'homme étourdi, l'homme oublieux, l'homme de plaisir, peuvent à la longue produire un égoïste. On n'aime donc Vernange que triste, inquiet et repentant. Quant à Mine de Vernange, sauf l'énorme faute qui pèse tout entière sur son rôle, elle est intéressante et convenablement placée dans toutes les situations de

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